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un beau dîner avec Yquem 1936, mais les vins ne sont pas tous parfaits

  • François Audouze
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J’arrive au restaurant de l’hôtel Bristol pour ouvrir les bouteilles d'un nouveau dîner. Livrées plusieurs jours à l’avance elles ont été mises debout hier par Jérôme Moreau, très efficace sommelier. Du matériel de travail m’attend déjà, attention à laquelle je suis sensible. Ludovic, jeune sommelier, va m’accompagner dans cette cérémonie devenue un rite, l’ouverture des bouteilles.
Je suis fortement déçu par les trois bordeaux rouges, qui semblent fatigués, ce qui ne me plait pas. Alors que La Mission Haut-Brion 1964 est un vin solide d’une année solide, avec, de plus, un niveau dans le goulot, ce qui est exceptionnel, je suis prêt à le déclarer mort tant il me déplait. L’Ausone 1953 aussi d’un bon niveau est décevant au nez. Le Coutet 1952 (Saint-émilion et pas Barsac) a un nez fatigué, mais j’ai plus d’espoir. Tout ceci se corrigera avec l’oxygène. Là-dessus, le Sauternes de 1943 me semble fade. Je suis évidemment dépité et encore plus, car j’avais apporté trois flacons supplémentaires au-delà de mes bouteilles de réserve, des bouteilles en danger de mort. Il convient d’expliquer pourquoi.
Une chaîne de télévision doit filmer ma cave principale dans les prochains jours. J’ai demandé à un ami de ranger quelques recoins. Il a eu aujourd’hui entre les mains des bouteilles souffrantes ou quasi mortes. C’était l’occasion de les faire goûter aux hôtes de ce soir, plutôt que de les jeter. C’eût été bien si les trois bouteilles apportées s’ajoutaient à des bouteilles saines. Mais si certaines des bouteilles officielles sont peu brillantes, cela fait trop. Je décidai donc de rajouter les deux bouteilles de réserve que j’ai toujours, « pour le cas où », et que j’ai rarement l’occasion d’utiliser. Ce qui fait qu’au lieu des dix bouteilles prévues, nous allons boire quinze vins, les dix prévus, les deux de secours, et les trois moribonds de cave. On verra que beaucoup de surprises furent au rendez-vous.
Les hôtes de ce dîner arrivent avec ponctualité et j’explique les règles de fonctionnement, pour mieux profiter du repas, sur un champagne Charles Heidsieck 1982. D’une belle couleur de pêche dorée, la bulle encore vivante même si elle s’est assagie, ce champagne explique bien le monde dans lequel nous entrons. Les saveurs sont intenses, équilibrées, profondes. C’est un beau champagne d’expression, plein de gaieté. Des petites amuse-bouche délicats, fort épicés - mais c’est la façon du chef - ont permis de voir comme un champagne change selon la saveur qu’il accompagne.
Le menu composé par Eric Fréchon avec les conseils de Jérôme Moreau n’avait pas nécessité que j’intervinsse car les audaces me paraissaient toutes justifiées. Il fut d’un grand plaisir confortable :
Chamalot parmesan, beignets de lotte, cornets de foie gras aux anguilles, maquis /
Bouillon cube de foie gras de canard, langoustines mi-cuites au gingembre, coriandre et cébettes /
Topinambour et truffes noires, cuites en croûte de foin, bouillon mousseux au jus de truffe /
Filet de Sole farci aux girolles, sucs d’arête réduit à peine crémé /
Pot au feu de cochon et bœuf, volaille au foie gras, os à moelle et céleri rave /
Fourme d’Ambert /
Poire caramélisée cuite à l’étouffée, jus aux zestes de clémentine semi confite, glace à la vanille.
Dans notre assemblée, trois convives sont déjà des familiers de ces dîners et six sont dans les limbes dont une femme, hélas une seule, très connaisseuse en vins. Un restaurateur attentif s’est mêlé à des groupes d’acteurs du monde des affaires et de la finance. La Belgique et le Luxembourg ont dépêché de leurs meilleurs gastronomes.
Le premier champagne bu debout dans le beau hall d’entrée de l’hôtel, joyeux et solide crée un contraste fort avec le champagne Laurent Perrier cuvée Grand Siècle dont les vins doivent dater de 1995 à 1997, très probablement. Le premier est masculin, le Laurent Perrier est féminin, aérien, d’un charme étourdissant. Quelle belle idée de lui avoir associé dans sa présentation graphique une tulipe blanche et une sorte d’écharpe blanche ! Ce champagne floral, de fleurs blanches, a le charme d’un effeuillage raffiné.
Le Gewurztraminer Gustave Lorentz réserve 1966 est une des surprises, assez étonnante, de cette soirée. Son nez était épanoui à l’ouverture. Il est flamboyant quand on le boit. Ce Gewurztraminer est étrangement goûteux, d’une personnalité énigmatique et fait chanter le palais. Sur le bouillon joliment raffiné, c’est une merveille de vin et un chef d’œuvre d’accord. Nous sommes en plein rêve, et les « oh » et les « ah » commencent à fleurir.
Le topinambour d’Eric Fréchon est un plat absolument exceptionnel. Il lui fallait de grands vins. J’avais tant vanté les mérites d’un vin rare, convoité de tous les amoureux des vins, que toute le monde fut déçu de la performance du Montrachet Comtes Lafon 1990. C’est un grand vin, doré à souhait, au nez discret, ce qui est anormal pour un Montrachet, très expressif quand il s’ouvre dans le verre, mais qui n’arrive pas à passer les vitesses. Il est coincé sur la première, et délivre moins de la moitié de ce qu’il devrait. On sent la promesse, mais la promesse seulement. Le coup de dés d’Eric, que j’ai approuvé non sans angoisse, c’est de mettre sur le même plat blanc et rouge. Et miracle, La Mission Haut-Brion 1964 que j’avais annoncé mort à mes hôtes, existe. De plus, le plat le dope. Bien sûr, on sent quelques imperfections. Mais le vin peut être bu, et bien bu. Et comme le Montrachet joue petit bras, cela motive encore plus la Mission Haut-Brion. Le plat est incontestablement délicieux.
La sole accueille deux vins. C’est immédiatement le Château Coutet Saint-Emilion 1952 qui s’inscrit opportunément dans la logique du plat. Le vin a souffert. Il est torréfié, truffé. Mais c’est ce qui convient à la sauce de la sole. Le Château Ausone 1953 essuie ses pieds avant d’entrer. On sent qu’il va mettre des patins pour ne pas déranger. Il est discret, mais on pressent qu’il s’ouvre. Il va parler. Et alors, on perçoit toute l’intelligence de ce très grand vin. Il manque d’une once de panache ce soir, mais on reconnait sa race. Je dois avouer que je l’ai bien aimé, comme beaucoup de convives, mais il pourrait beaucoup mieux montrer.
Comme le Charles Heidsieck, Le Corton Bouchard Père & Fils 1980 a été ajouté au programme. Nous aurons donc trois vins sur le pot au feu, merveilleux faire-valoir calibré pour ces bourgognes généreux, subtils et sans la moindre faute. Le Corton porte le message clair de la Côte de Beaune, joliment calligraphié. Le Chambolle Musigny les Amoureuses P. Misserey et Frère 1981 est chaleureux, épanoui, jeune, fringant. Qu’il remplit bien la bouche ! Et le Chambertin Charles Viénot 1934 est émouvant. En bouche, je sens une perfection aboutie, une chaleur communicative, une définition de trame du plus beau point. C’est immédiatement accessible tant le vin est bien fait. Vin magique que j’adore.
Nous allons maintenant goûter les trois vins pris en cave pour « délit de sale gueule ». Le Château Margaux non millésimé, d’une mise négoce, que nous avions déjà, lors d’essais précédents avec des amis, daté du millésime 1931, se montre époustouflant. Il faut dire que la blessure venait d’un mouvement malencontreux de mon ami qui rangeait la cave. Un choc, la capsule se fend, le vin s’écoule à peine, mais cela suffit pour imposer qu’on le boive. Ce furent les bienheureux participants de ce dîner qui en eurent le bonheur. Vin magnifique qui rachetait à lui seul les blessures des autres bordeaux.
Le Lynch-Moussa 1953 au niveau trop bas était incomestible. Le Château Trottevieille 1967 blessé lui aussi n’avait pas un charme suffisant pour qu’on s’y intéresse.
Le Haut Sauternes Guillaume 1943 a été rebouché par un ami expert, qui m’avait donné aussi le bouchon d’origine. Quelle avait été la blessure justifiant cette intervention, je ne sais pas. Ce vin devrait remercier la fourme qui lui a permis de paraître à peu près intelligent. Vin très agréable dans ce rôle là, ce vin est assez fade. Très belle couleur, nez poli, discours un peu affadi, il est buvable, sans plus.
Trompettes, sonnez maintenant, car le Château d'Yquem 1936 au bouchon d’origine, d’un niveau irréprochable est d’une perfection irréelle. J’avais de la décennie 30 l’image d’Yquem peu botrytisés. Or ce 1936, que j’ai déjà bu, est ici pimpant, joyeux, magnifique. Il est dans la lignée des Yquem que j’adore, aux tons d’orange, de mangue, d’abricot. C’est magnifique, d’un équilibre absolument parfait. Joyeux, il me plait plus que le 1937 que l’on a bu à l’académie des vins anciens. La poire d’Eric Fréchon est très belle. Mais un si beau sauternes ne gagne rien avec le dessert. Il fallait le déguster seul, dans son impériale beauté.
La tradition des votes fut de nouveau respectée (on en fit l’impasse lors du dîner au château d’Yquem). L’Yquem 1936 récolta sept votes de premier, le Chambertin 1934 un vote de premier, comme le Laurent Perrier et le Gewurztraminer. Les plus fréquents dans les votes furent Yquem 1936, Chambertin 1934, Gewurztraminer 1966 et Ausone 1953 (qui recueillit 6 votes). Neuf vins eurent au moins la faveur d’un vote. Mon vote fut : Yquem 1936, Chambertin Charles Viénot 1934, Gewurztraminer Gustave Lorentz réserve 1966, Ausone 1953. Des lecteurs se demandent parfois si je ne suis pas trop laudatif sur les vins anciens. On aura vu que ce soir je ne fus pas tendre pour certains. Les plus mauvaises surprises furent paradoxalement créées par les vins les plus solides, le Montrachet 1990 et la Mission Haut-Brion 1964 au niveau impeccable. Grâce – une fois de plus – à un oxygène salvateur, des vins que l’on aurait écartés ont pu être bus avec joie, comme ce Margaux 1931 qui recueillit trois votes, ce Coutet 1952 que la sole fit exister. L’insolente suprématie d’Yquem s’est encore manifestée. C’est dans l’ordre des choses.
Ce restaurant est bien rodé, avec une équipe efficace. Eric Fréchon nous a délivré une cuisine solide, exactement dans la ligne des vins anciens car il a fait des plats très purs. Ce fut totalement convaincant. J’ai retrouvé en ouvrant les bouteilles une apprentie sommelière que j’avais fait pleurer en la morigénant quand elle avait failli renverser un flacon irremplaçable il y a quelques mois. Elle ne se souvenait de rien. Tant mieux. Mes convives ont approché des vins anciens sublimes comme le 1936, le 1934 et le 1966. Ils auront compris que le temps flétrit des vins qui ne traversent pas les années sans dommage. Cela renforce l’intérêt des actions que mène l’académie des vins anciens pour que les vins anciens soient bus avant qu’il ne soit trop tard.
Malgré la très normale déception que certains vins fussent affaiblis, je suis heureux de cette expérience, qui montre la réalité de ce monde passionnant, où les réussites justifient pleinement les risques que l’on prend.


Cordialement,
François Audouze
10 Avr 2006 20:35 #1

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François,

Je ne comprends pas bien votre démarche de mettre un Montrachet 1990, tout de même très jeune, parmi d'autres vins si venerables ?
10 Avr 2006 21:16 #2

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Ma démarche est de créer un repas comme on crée une symphonie.
Et chaque repas doit être une oeuvre différente.
Et chaque repas doit me faire plaisir.
J'avais envie d'essayer ce Montrachet, car il m'arrive de mettre des vins jeunes aussi.
Je ne veux être astreint à aucune règle, aucun code.
Je mets des petits et des grands vins, des grands anciens, et parfois, ici ou là, un jeune.
Il me faut de la liberté.
C'est primordial pour moi.
Donc ce Montrachet a sa place à ce moment là.
J'en attendais plus, mais ça ne change rien au raisonnement.
Au dîner que j'ai fait à Yquem, il y avait un Grands Echézeaux DRC 1991.
Au dîner chez Pignol il y avait un Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1993.
Donc, je glisse un jeune quand je le sens.


Cordialement,
François Audouze
10 Avr 2006 21:24 #3

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François,
"je glisse un jeune quand je le sens";n'est-ce pas un peu tendancieux???ah!ah!
déçu de votre appréciation sur le MONTRACHET 90 LAFON;je serais curieux de savoir pourquoi il ne s'est pas livré;présentait-il un défaut quelconque?
pas de trâce d'oxydation ou de vieillissement atypique?
merci de vos commentaires qui nous mettent "l'eau" à la bouche.
amitiés
bertrand
12 Avr 2006 19:16 #4

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J'ai été franchement déçu que le Montrachet ne se livre pas alors qu'il était ouvert depuis 4 heures.
ça m'a tellement énervé que je n'ai pas cherché à savoir pourquoi.
Un Montrachet Comtes Lafon 1990, c'est quand même théoriquement une valeur absolument sûre. Eh bien non.
Aucun signe particulier. Légère teinte un peu bronzée mais si peu.


Cordialement,
François Audouze
12 Avr 2006 19:24 #5

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François Audouze a écrit:
> J'ai été franchement déçu que le Montrachet ne se
> livre pas alors qu'il était ouvert depuis 4
> heures.
> ça m'a tellement énervé que je n'ai pas cherché à
> savoir pourquoi.
> Un Montrachet Comtes Lafon 1990, c'est quand même
> théoriquement une valeur absolument sûre. Eh bien
> non.
>
Mr Audouze , c'est très courageux de votre part ...j'ai moi même parlé de ma déception , suite à la dégustation du Meursault " Charmes" 89 du domaine ( vin ensensé dans la RVF à la présentation du millésime 89: j'ai eu beaucoup plus d'émotion lors de la dégustation d'un joli Pinot Blanc du domaine Boxler ( payé 10 e ) . ...je vais peut être m'intéresser au domaine Buisson !

ps : Non,je reste fidèle au domaine Roulot ...aucune déception depuis plus de 20 ans ....les 89 étaient superbes !
12 Avr 2006 20:48 #6

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Jean-Luc,

Je partage ton point de vue: je n'ai eu aucune déception avec les vins du Domaine G. Roulot, et ce, comme toi, depuis plus de 20 ans ;)

amitiés,
Thierry
12 Avr 2006 21:21 #7

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Les vins de Roulot goûtés au domaine en mars 2006 nous ont parus intéressants, un peu en retrait par rapport aux meilleurs 2004 (Leflaive, Carillon, Boillot), dans un style confortable, propre, un peu trop sobre peut-être ...

Cr à suivre ...
13 Avr 2006 12:24 #8

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Modérateurs: GildasPBAESMartinezVougeotjean-luc javauxCédric42120starbuck