Belle visite cet été au domaine, où j'ai pu rencontrer Benoit et Sébastien Danjou. Alors certes, il y a les vins, mais il y a surtout les rancios...
Voici donc un petit texte dont vous trouverez la version en images sur le
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Dans la mémoire du Domaine Danjou-Banessy...
C'est l'été, le soleil brille, caressant notre pelage estival, nous incitant à l'évasion. Mais il existe plusieurs façons de s'échapper. On peut choisir la version pragmatique, mettant son cul dans un avion, direction les Seychelles, en enchainant les cocktails sur une plage paradisiaque. On peut aussi, se la jouer crise économique mondiale et planter une tente dans son jardin. Certains se hasardent aussi à mettre à profit les conseils avisés de Bison Futé pour développer, non sans réel plaisir, leur ravissement pour la promiscuité, (l'A7 recèle pour cela une typicité hors normes...) quand d'autres savent rester raisonnable en feuilletant le Guide du Routard de la Corse, sans photo certes, mais très bon support pour déployer son imagination. La crise est là, chacun son remède, l'évasion fiscale ayant pris le pas sur l'évasion estivale, la simplicité est souvent de mise. Et chanceux que nous sommes, il se trouve que la France est plutôt du bon côté, en termes de plaisirs estivaux.
Bref, chacun son truc, le mien c'est les Granola (merci aux bouffeurs de Pépito de rester tolérants) et le poisson. C'est pour ça, d'ailleurs, que je suis installé dans le Lauragais, à 150 km minimum d'un coin d'eau salée. Mais c'est une autre histoire... Donc dans cette quête d'un remake de Thalassa version La Cuisine Des Mousquetaires, nos valises ont élu domicile pour quelques jours dans le Roussillon, terre de cailloux, de soleil, de cailloux, de vignes, de cailloux, de poissons et encore de cailloux. Le rayon marée repéré, l'estomac en sécurité, il fallait donc trouver de quoi faire voyager les papilles au fond du verre. Rendez-vous était donc pris avec les frères Danjou, Benoît et Sébastien, vignerons au domaine familial à Espira de l'Agly.
C'est derrière un grand portail métallique, en plein centre du village, que se cachent les installations permettant à ces deux jeunes vignerons de donner vie à leur passion. L'accueil est chaleureux, on parle du vin, mais aussi de ses à côtés... Le legs familial, cette passion intergénérationnelle que l'on sent sincère dans le poids de chaque souvenir partagé. Le goût, aussi, ici on préfère la finesse à l'extraction, le vin doit être bu avec plaisir... Sébastien illustre parfaitement cet objectif, se remémorant les nombreuses bouteilles faisant goutter les tempes, annihilant tout contentement gustatif. On aborde aussi le problème de l'AOC, ses réunions, dans lesquelles les vignerons ne galvaudant pas la terminologie accompagnant leur travail quotidien sont trop peu présents pour faire entendre leur voix. Son cahier des charges trop rigoriste, ne permettant pas de s'exprimer pleinement. Benoît et Sébastien ne sont pas des philanthropes, l'AOC est nécessaire pour l'export, alors on s'adapte... Et puis la vigne. Les deux frères sont heureux de posséder un panel large et révélateur du terroir régional. Diversité des sols et des cépages, au domaine Danjou-Banessy on trouve d'ailleurs, une très belle cuvée 100% carignan gris.
Donc, on parle, on échange, bien d'autres sujets seront abordés, mais on est pas là simplement pour beurrer des tartines ! Il est temps de passer à la dégustation...
Il n'y a, en ce moment, que trois cuvées à la vente. Nous commençons donc par Coste Côtes du Roussillon blanc 2011, un 100% macabeu, fin, sur des notes de fruits blancs, une touche crayeuse rehaussée d'une pointe miellée, un beau vin manquant un poil d'expressivité. Le second blanc sera clairement un coup de cœur. La Truffière VDP des Côtes Catalanes blanc 2011 est un 100% carignan gris dont la fraicheur n'a d'égal que la profondeur qui l'habite. Difficile de ne pas lui donner des accents bourguignons... Un grand vin profitable dès à présent, mais qui se fondra encore avec quelques années de garde. Roboul Côtes du Roussillon rouge 2010, est un vin issu de jeunes vignes de mourvèdre et grenache. Volumineux, il propose un profil semblable aux blancs. Une belle densité mais aucune lourdeur, de la mûre, de l'olive, un vin sudiste d'un beau classicisme.
Nous passons ensuite aux vins en cours d'élevage, La Truffière Côtes du Roussillon Villages rouge 2012 est un vin encore massif porté par une belle minéralité. Carignan et grenache composent cette cuvée qui s'annonce prometteuse. Estaca VdP des Côtes Catalanes rouge 2012 emporte mes faveurs, ce 100% grenache sur schistes excelle par sa fougue et son volume. Des notes d'agrumes, un très beau fruit rouge m'enchante, c'est franchement un grand en devenir.
Prêt à être mis en bouteille nous goûtons ensuite une nouvelle cuvée. Un carignan 2012 (mais pas que) récupéré et exploité depuis peu, qui s'avère fluide et très digeste. Le genre de vin que j'aime, prêt à se faire glouglouter en un rien de temps... Pas forcément fan de syrah du Roussillon, nous dégustons ensuite Mirande 2011, un beau jus, encore un peu réduit, c'est moins mon style mais c'est sanguin, fumé et franchement bien fait. Pour clore cette dégustation, nous goûtons Espurna 2011, un cinsault qui sera embouteillé en octobre. La vendange n'aura permis que d'en produire 400 litres, une paille, mais qui révèle un jus au nez discret, porté par la cerise, une structure tannique importante mais d'une belle finesse. Une très belle bouteille à attendre.
De la vigne au verre, le processus doit rester le plus naturel possible, beaucoup de temps passé à la vigne, maîtrise des rendements, fermentations sans intrant, travail par gravité, sulfitage très léger à la mise (20 mg/L). Sébastien le justifie notamment par le fait que les vins n'étant pas donnés (entre 14 et 35 euros environ), un peu de stabilité ne fait pas de mal, et permet d'éviter les déceptions.
On aurait pu en rester ici, mais le domaine Danjou-Banessy a aussi une mémoire... Un temple, révélateur de l'Histoire, traversant les décennies, immuable bonificateur de nectars. Sous quelques plaques de tôle ondulée, entre quatre murs de parpaings, à la merci des affres du froid et du tourment des chaleurs estivales, se cache la cave à rancios. Ici chaque douelle est imprégnée du temps passé, l'odeur de la plénitude gustative régionale plane, intimidant le chalant qui comme moi, se prend à chuchoter pour ne pas déranger les perpétuels locataires de ce lieu magique. Car, sous ce modeste toit repose l'histoire d'une famille. Les fûts de rancios sont alignés comme autant de pages d'un album photo familial, on distingue à la craie les années et on se plait à imaginer les événements ayant poussé les générations précédentes à collecter ces jus, avant de les oublier pour que justement les souvenirs perdurent. La naissance de l'un, le mariage de l'autre... autant de raison pour le grand-père de Sébastien et Benoît d'empiler ces fûts.
Ainsi nous voilà parti, la pipette à la main, pour une belle remontée dans le temps. Nous commençons par les Rancios secs, élevés comme des jurassiens, ils ont fini de manger leurs sucres et ne sont donc pas mutés. Moins tendus que leurs confrères fait de savagnin, ils sont tout de même passionnants, dévoilant tour à tour des notes d'orange, d'amande ou de noix de coco. Un peu de café parfois, de la noisette, du cacao... mais toujours de la finesse, frais et gourmand, le Rancio sec, quand il est bien fait, mérite ses lettres de noblesse, même en Roussillon. Nous basculons ensuite dans un univers plus doucereux. Les Rivesaltes VDN muté sur grains, possèdent une sucrosité liée à l'ajout d'alcool avant la fin de la fermentation alcoolique. À la dégustation, le constat est là : la fraicheur et la fluidité des jus s'acquiert avec les années. Devant la fougue des Rivesaltes jeunes, comment ne pas penser à un carreau de chocolat ou une corbeille de fruits rouges... Mais quand arrivent les plus vieux nectars, les fragrances résonnent comme des émotions... Parenthèse de vie préservée, quand un 1979 frôle vos lèvres et que vous vous retrouvez transporté sous un ciel d'étoile, Oscar Peterson et son Hymn To Freedom comme bande originale de cette échappée vinique. Pas de doute, au fil des années qui s'égrainent, on se prend à imaginer ces histoires, ces accords, comme si le verre était assiégé par des personnalités diverses, fruit du hasard et de l’œuvre du temps.
Un moment rare vécu dans la simplicité d'une rencontre avec deux passionnés de la vigne et du vin, proposant une gamme de grande qualité, mais aussi, gardien d'un trésor, reflet de la liberté laissée au vin d'arpenter la vie et le temps qui passe, pour nous servir au creux d'un verre, des récits initiatiques aux profondeurs insoupçonnées.