Le lendemain de la visite chez Kollwentz, la journée sera consacrée à la visite de
Rust
. Sis sur la rive ouest du Neusiedlersee, ce village de moins de 2000 habitants est la plus petite municipalité à statut d'Autriche, héritage de la charte royale obtenue au XVIIème siècle de la part du roi d'Hongrie en échange d'un paiement considérable de l'or liquide produit par la ville : le fameux
Ausbruch (d'après Wikipedia allemand, 60 000 florins et 500 tonneaux d'Ausbruch de furmint en 1649). Le temps est radieux, le ciel d'un franc et beau bleue avec gelées blanches le matin puis une presque sensation de chaleur l'après-midi au soleil.
M'étant laissé une marge d'organisation, je déambule dans le village, visite les rives pleines de roseaux, prends un café sur la charmante place du village et débouche devant la porte de la
Weingut Feiler-Artinger
.
Je n'ai pas pris de photos ce jour-là et c'était une dégustation à l'improviste ; n'en demeure pas moins que j'ai étais reçu de charmante façon et ai pu également faire un tour des vignes avec Kurt Feiler. Weingut Feiler-Artinger appartient au RWB de Kollwentz et est géré officiellement à pleine main par Kurt Feiler et sa femme Katrin depuis 2013. Viticulture certifiée Biodyvin depuis 2008. Comme tous les vignerons qualitatifs et exigeant, le but est de bien travailler à la vigne afin d'intervenir le moins possible en aval au chai. Le style diffère de Kollwentz en raison du terroir ; en effet Rust est très différent du Leithagebirge où travaille Kollwentz, et Kurt Feiler utilise beaucoup plus les cuves inox ainsi que les grands fûts qu'Anton Kollwentz sans oublier un focus plus important sur les vins à botrytis.
De façon contre-intuitive pour l'outsider de Rust qui aura seulement entendu parler de l'Ausbruch et du lac, le village se targue de produire tout type de vins (sec & botrytisé dans les deux couleurs) grâce à ses deux grands terroirs que sont le
Hügelland
(pays des collines) situé à l'Ouest et la
Ufer (rive) située à l'est et donc attenante au lac. Le Hügelland en dépit de ses seulement 60m de dénivelé présente suffisamment de relief pour protéger ses vignes du brouillard d'arrière-saison propice au botrytis, assécher la masse d'air par effet d'abri, ou même ombrager certains vignobles afin de les rendre plus propices au pinot noir. La
Ufer permet aux brouillards automnaux d'entrer dans les vignes et apporte le botrytis qui donne son si célèbre Ausbruch.
Par conséquent, Rust produit aussi bien du Cabernet-Sauvignon dans les terroirs les plus chauds du Hügelland, que du Pinot Noir dans ceux restés à l'ombre et au sec, sans oublier Cabernet Franc, Syrah, Merlot ainsi que les indigène BF & Zweigelt. En blanc, Chardonnay, Traminer, Welchriesling, Muscat, Pinot Blanc ou Neuburger se partagent les différents terroirs.
Le tour dans les vignes était très intéressant et Kurt Feiler est absolument passionné par ses terroirs, et prolixe d'explications approfondies sur les différences de sol, d'exposition, de capacité à recevoir le botrytis etc... Mon Hochdeutsch superficiellement maîtrisé me fait rater probablement 50% du contenu mais je comprends qu'il y a 5 niveaux différents dans le vignoble, 3 côté
Ufer et 2 côté
Hügelland, que le nord de Rust a un sol extrêmement riche en calcaire, notamment sur la dalle du fameux Ried Mariental. Ils sont en train de retaper avec ses confrères tous les murs de pierre qui soutiennent chaque niveaux (si la pente est si faible, c'est parce qu'il y a eu un gros travail de terrassement et de nivellement au fil des siècles par les vignerons dixit Kurt). Toujours au Nord de Rust se trouve de nombreuses pentes qui tournent le dos au lac et ne prennent pas les brouillards. Ils sont très propice aux cépages rouges et dépendamment de la persistance de l'ombre sont plantés du PN jusqu'au Cabernet Sauvignon.
Venons-en aux vins. La gamme s'ouvre avec des bulles, toutes à base de raisins rouges. Ce sont de purs vins d'été de rafraîchissement à boire au litre et qui coûte à peine plus cher que des sodas : friands, fruités, légers et allègre sans grande profondeur. Le
Sekt rosé de BF est lui un peu plus coûteux et ambitieux offre une prestation à mi-chemin entre le Cerdon du Bugey et une bulle rosée à empreinte crayeuse qui donne une finale de zeste de pamplemousse.
La gamme de blancs secs est vaste également. Le
Welchriesling et le
Pinot blanc simple avec élevage en cuve accompagnent parfaitement un barbecue entre amis ; simple et efficace. Les
Pinot blancs & Chardonnay en DAC Leithaberg passent par du vieux bois et gagnent en texture et profondeur avec de légères traces d'élevage. C'est un peu plus sérieux et peut accompagner des brochettes de poulet par exemple, le prix demeurant raisonnable (moins de 10€). Les "grandes" cuvées voient beaucoup plus de bois neuf avec le
Neuburger du Ried Umriss (du fruit plutôt très exotique) et enfin le
Gustav (hommage au fondateur) qui est un assemblage à légère dominante Neuburger/Chardonnay. C'est élevé mais la matière m'a semblé capable de le digérer in fine. Pas testé le welschriesling de macération.
Les vins sucrés sont séparés des Ruster Ausbruch. Gamme bien étagée commençant par le
Quartett Spätlese (4 cépages blancs en Spätlese) qui est bonne carte de visite et constitue dans l'absolu un rapport prix/travail/plaisir excellent : en effet 9,5€ pour un vin à 16° potentiel est bradé par rapport aux efforts à consentir et aux risques pris. Le
Traminer Auslese au même prix est un peu plus simple aromatiquement mais une acidité plus cristalline qui rend le vin frais et digeste. La
Beerenauslese monte d'un cran dans la maturité aromatique ainsi qu'en texture, mais toujours avec une trame acide qui maintient la sapidité. La
Beerenauslese de Zweigelt est un cépage rouge qui prend le botrytis avec beaucoup de succès, cela donne une palette aromatique un peu étonnante de grenache, papaye, groseille avec le rôti de botrytis en prime. Cela change et c'est très plaisant en plus d'être vraiment singulier à l'Autriche. Enfin, l'
Eiswein de Gelber Muskateller cueilli le 24 décembre au grand dam de Katrin obligée d'aller dans les vignes à la frontale après la messe de minuit présente l'acidité la plus tranchante ainsi que des arômes plus frais que ses compères.
Les
Ausbruch se distinguent par un style mettant nettement plus le fruit en avant : on n'est pas très loin de la cuisine moléculaire dans le sens où on croque le fruit sous forme de vin. C'est assez spectaculaire. L'
Ausbruch Essenz Weissburgunder est le sommet de la gamme des sucres avec ses 350g/L de SR : là c'est de la poire au sirop d'une netteté et d'une pureté impressionnante un peu monolithique mais d'un équilibre certain.
Les rouges sont très nombreux en raison de la diversité des cépages plantés et des niveaux de gamme. Les vedettes restant les BF, ainsi qu'un Pinot Noir haut de gamme. Ne les ayant pas tous dégustés, je peux simplement dire que le
Solitaire qui constitue le pinacle en rouge de la maison bénéficie des 13% de Merlot pour apporter un peu de souplesse au vin comparés aux BF de Ried.
En conclusion, une très bonne expérience pour une sollicitation à l'improviste. Un producteur qui propose un assortiment impressionnant et d'une grande générosité dans sa salle de dégustation très agréable. Un style de vin différent de Kollwentz que je qualifierais d'un peu plus frais et rugueux pour les rouges en tout cas (terroir oblige). Vaut amplement la visite, mais ne pas hésiter comme toujours à solliciter un RDV, surtout s'il n'y aucun germanophone dans la troupe.
En soirée, ce sera dégustation chez
Selektion Vinothek Burgenland
, caviste et bar à vin situé juste en face du Schloss Esterhazy.
Très bel endroit situé sur la grande place en face du château, avec une terrasse. Placé haut de gamme, c'est un caviste qui regroupe tous les meilleurs producteurs de la région ainsi qu'un bar à vin où plus de 30 vins sont offerts à la dégustation par volée de 3. C'est vaste, le personnel connaît ses vins sur le bout des doigts et la sélection est tant pointue que prestigieuse en vin de la région ainsi que quelques autres classiques autrichiens des autres régions. Si les tarifs côté caviste ne sont pas extrêmement compétitifs, l'offre de vin au verre est en revanche vaste et excellente et les tapas de bonne qualité avec mention spéciale au pain qui m'aura enchanté durant tout mon voyage globalement.
Je commence par les blancs. Et comme je ne fais rien comme tout le monde, ce sera par les blancs
hors Burgenland.
Vin n°1 : Weingut Gross, Ehrenhausen an der Weinstraße (Südsteiermark) - Weißburgunder Ried Kittenberg 2018
12,5°.
Fiche technique.
Grand producteur du Südsteiermark, membre du STK. Matthieu (Hyllos) trouve ses vins accablés d'élevage. Le
Ried Kittenberg
est classé 1STK dans l'évaluation interne à l'organisation. Sol combinant calcaire et ardoise, pente allant jusqu'à 60% pour une altitude de 450m. 100% Pinot blanc. Fermentation spontanée et 12 mois d'élevage en fûts de 2400 L sur grosses lies puis suivi de 8 mois en cuve inox sur lies fines.
Robe présentant quelques signes d'évolution. Bouquet très assertif de citron vert, poire, un peu de tournesol. C'est complexe et "électrique" ; à l'antipode de la mollesse. Sous le palais, on retrouve des arômes de fruits mûrs mais croquant avec une acidité présente, mûre, non crissante. La trame déroule une finale énergique avec une impression de sol et d'épice très forte qui picote le bout de la langue. C'est très bon et même si ma sensibilité à l'élevage est très aléatoire, je n'ai pas eu l'impression d'en trouver. En fait, c'est probablement le Pinot Blanc le plus cintré et tendu que j'ai bu et ça se rapproche plus d'un riesling sec mosellan en terme d'impression fuselée. De la bel ouvrage !
Vin n°2 : Weingut Leth, Fels am Wagram (Wagram) - Roter Veltliner Ried Fumberg 2021
13°.
Fiche technique.
Producteur noté 4/5 étoiles par Falstaff, 3/5 grappes par Gault & Millau, 52 ha sous gestion. Wagram se situe au nord-est de Vienne, c'est un plateau où Napoléon gagna une bataille d'où le nom de l'avenue rayonnant de l'Arc de Triomphe. Le Roter Veltliner n'a aucun lien avec le Grüner Veltiner et est une spécialité de la région. Cru situé à environ 300m, sol principalement sableux et de loess, exposé au vent. Fermentation spontanée sans contrôle particulier de température en bois d'acacia puis élevage d'environ un an dans ce même contenant (pas d'indication de volume).
Robe plus claire que le vin précédent. Bouquet étonnant avec des fruits assez rouges tels groseille, fraise acide ou même griotte aux côté de fruits du vergers croquants. En bouche, la texture est assez onctueuse sur des arômes qui semblent plus mûrs qu'au nez. Le constraste de style avec le vin précédent est net. C'est bon également et à mettre sur du gibier à plume par exemple.
Vin n°3 : Weingut Rudi Pichler, Wösendorf (Wachau) - Grüner Veltliner Ried Hochrain 2010
13°.
fiche du domaine
. Rudi Pichler fait partie des indiscutables stars de la Wachau avec un vrai amour du GV qui constitue 65% de son encépagement. Le Ried Hochrain est l'un des grands cru de la vallée sur un sol de loess.
Robe présentant une robe pleinement dorée tirant vers l'ambrée. Nez aromatique de GV avec de l'évolution (miel). En bouche, on retrouve le GV de Wachau dans toute sa splendeur mais apaisé par le temps. C'est large, onctueux en bouche avec de la poire, de l'abricot ainsi que du miel pour la gourmandise avant que les épices et autres arômes de concombre glacé, fenouil ne déroulent et ne s'achèvent sur les fameux amers nobles de la région. Si les arômes cités ne semblent pas sexy chocolat, c'est très intéressant en bouche, complexe et singulier. C'est évidemment un vin de gastronomie, c'est un vin qui nécessite également une éducation ; il ne faut pas compter sur celui-ci pour "cracker" quelqu'un sur le vin.
La volée de vin rouge (seuls le PN à gauche et le Cabernet-Sauvignon de Rust sont sur la photo).
Vin n°4 : Weingut Wachter-Wiesler, Deutsch-Schützen (Südburgenland) - Bela-Joska Blaufränkisch 2021
12,5°.
Fiche technique.
Wachter-Wiesler fait partie des valeurs montantes du Burgenland depuis quelques années. C'est le propriétaire d'Aloïs Lageder qui me l'avait recommandé. Le Süd Burgenland produit de façon générale les BF les plus fines autour de l'Eisenberg qui est partagée avec la Hongrie. L'un des pionniers du lieu est Uwe Schiefer même si maintenant le porte-flambeau est Roland Velich de Moric (qui est le vigneron autrichien le plus considéré sur la scène mondiale en ce moment). Bela-Joska est le loup déguisé en agneau de la gamme puisque c'est tarifé comme un Gutswein alors qu'il inclut des vignes de l'Eisenberg.
Robe relativement claire avec bords rubis. Nez avenant de petits fruits rouges, un peu de terre et poivre noir. En bouche, c'est simple, direct, franc, sans une énorme profondeur ni densité certes : fruits rouges et noirs, épice et trame acide émergeant en milieu de bouche avec une matière fine mais qui ne se délite pas. Une vraie version junior de la BF qui se boit sans difficultés ni grand cérémonial. RQP top !
Vin n°5 : Weingut Peter Schandl, Rust - Pinot Noir 2020
14°.
fiche technique.
18 mois d'élevage en barrique française. Plantation de vignes âgée entre 17 et 40 ans dans les hauteurs du Ried Umriss & Grosser Wald dans le Ruster Hügelland.
Vin n°6 : Weingut Gassner, Rust - Cabernet-Sauvignon 2017
14°.
fiche technique.
28 mois d'élevage en barrique
En dépit d'une légère évolution sur le CS, la robe du Pinot Noir a une teinte un peu plus violette dans sa transparence tandis que le CS est plus tuilé. Globalement, on a là une confrontation de deux archétypes de leur genre. En effet, le PN a un nez floral, délicat et élégant tandis que le CS a pris les arômes d'élevage avec un aspect sombre et puissant nettement plus impressionnant qui ne joue pas la séduction. En bouche, la démarcation pourrait reprendre les mêmes termes : séduction et facilité d'un côté, puissance, énergie et morgue de l'autre. Ce PN joue dans le registre de la finesse - ce qui ne va pas de soi dans le contexte autrichien aux étés très chauds - avec une texture assez soyeuse et aérienne, loin de l'usuelle confiture "Nouveau Monde" à l'ancienne que l'on rencontre souvent. Le CS a lui un tigre dans le moteur qui a encore besoin de se domestiquer. C'est moins immédiat comme plaisir mais c'est très bon, surtout à table !
A suivre avec Angerhof Tschida & Kracher...