C’est une grande joie d’être invité chez Nicole et Jean-Loup à Bourges un dimanche d’automne. Jamais il n’est possible d’oublier de tels moments. C’est une journée d'étoiles dans les yeux, intemporelle, c’est cela, hors du temps, où l’on oublie le monde extérieur, en joyeuse assemblée, avec les fidèles compagnons de route que j’ai toujours un immense plaisir à retrouver dans la cave aux merveilles, au cœur de cette magnifique ville de Bourges.
Ce dimanche d’automne est peut-être plus particulier que d’autres, un changement de décennie pour notre hôte et voici que le thème des étiquettes dont le millésime finit par six s’annonce à nous. Autant vous dire que quand Jean-Loup fête son anniversaire, nous le fêtons dans la pourpre cardinalice autour d’un art culinaire parfait orchestré de main de maître par Nicole et d’étiquettes glorieuses !!!
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Un anniversaire tout en délices et en feu d’artifice autour de divins calices des millésimes en six
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Vin n°1 :
En accompagne ment des galettes aux pommes de terre
La robe est magnifique, d’un jaune or brillant. Le nez est intense, quelle aromatique !!! Un peu d’écorces d’orange, de jus d’oranges pressées, de fruits jaunes, des épices, du curry, du safran, un peu de grillé, des agrumes, quelle complexité !!! La bouche est d’une grande justesse, une grande droiture, un grand volume, c’est à la fois, fin, élégant, raffiné, relativement vineux, mais avec une acidité remarquable sur du citron jaune juteux, avec toujours cette petite sensation persistante d’écorces d’orange. C’est finement iodé, salivant, sur une superbe élégance, une grande persistance et une grande rémanence. C’est tout simplement magnifique !!!
Excellent + / Grand vin
Il s’agit de :
Roederer – Champagne – Cristal 1996
Vin n°2 :
En accompagnement d’un foie gras poêlé, crème de vinaigre balsamique
La robe est d’un or clair brillant. Le nez est exubérant : agrumes, ananas, passion, mangue, pâte de fruits, grand volume. L’intensité sur le carpaccio d’ananas victoria et les fruits de la passion est juste démentielle !!! La bouche est d’une complexité immense, folle même. Quel volume, quelle largeur, une quintessence de fruits exotiques (et là, le carpaccio d’ananas et de passion, vous avez l’impression d’y être !!!), de jolies notes florales le tout porté par une acidité résiduelle d’une justesse diabolique, une richesse apportée par quelques sucres résiduels, une petite pointe de miel, de fins amers en finale, avec une longueur sensationnelle et quelle rémanence. Un vin sublime !!!
Excellent + / Grand vin
Il s’agit de :
François Cotat – Sancerre – Les Culs de Beaujeu – Cuvée Spéciale 1996
Il est à noter que l’accord avec le plat s’est révélé juste parfait, étirant le vin encore plus et estompant l’impression de sucres résiduels. C’était fusionnel.
Vin n°3 :
En accompagnement d’un homard rôti au beurre vanillé (ce plat de Nicole m’a fait hérisser les poils sur les bras, tellement mes papilles étaient tourneboulées, exceptionnel !!!)
La robe est or, très brillante. Le nez est sur l’abricot, le caramel, c’est très puissant, devenant tarte aux abricots même. Il évoluera sur de fines notes beurrées, puis de la pêche jaune. Quelle puissance !!! La bouche est du même registre, de très grande puissance, sur l’abricot, les fruits jaunes, la pâte d’amande, un fin boisé classieux, une très grande largeur, une énorme matière indomptée en l’état (le vin semble d’une jeunesse étincelante !!!), une très belle acidité résiduelle, de fins amers et une longueur monstrueuse. A l’aération, j’y ressens des notes de vanille et de coco et la salinité est plus présente, l’élevage est vraiment luxueux. C’est un superbe vin, certainement un infanticide en l’état qui sera très grand dans quelques années.
Très bien + / Excellent en l’état, futur très grand vin à mon humble avis…
Il s’agit de :
Domaine Leflaive – Bâtard-Montrachet Grand Cru 2006
Vin n°4 :
En accompagnement d’un clafoutis aux morilles (miam miam +++++)
La robe est d’un très bel or très brillant. Le nez est d’abord miellé, succinctement finement houblonné, puis noblement floral, calcaire, coquilles d’huître, avec un peu de cire, d’encaustique, quel équilibre olfactif !!! La bouche est d’un équilibre redoutable, divin même, la justesse est parfaite, c’est un équilibre entre largeur, finesse, élégance, avec un jus royal, riche, puissant, un élevage luxueux. C’est un vin ultra classieux, un véritable défilé de mode à lui tout seul, avec une magnifique tension. A l’aération, le nez va évoquer un superbe sirop de poires et la poire juteuse et aromatique se fait de plus en plus présente, avec également des notes de pêche et de brugnon. Un vin de très haute couture, d’une précision parfaite. C’est un véritable chef d’œuvre qui s’étire en longueur.
Excellent + / Grand vin
Il s’agit de :
Clos Rougeard – Saumur – Brézé 2006
Vin n°5 :
Sur le même plat, puis plus tard sur les comtés (7 mois, 12 mois, 20 mois)
La robe est très dorée, presque caramel, ambrée. Le nez est truffé, de belles notes de noix fraîche, on ressent les notes oxydatives, puis des écorces d’oranges confites, u peu de rose et de pâtes de fruits. La bouche est structurée, tendue, avec de belles notes de curry d’abord doux puis évoluant Madras, de curcuma, de colombo, c’est salin. Un bel équilibre juste. Le vin a semblé plus à l’aise sur les fromages en fin de repas qu’après la série des blancs qui l’a un peu écrasé. Je reste persuadé que les effets de séquence et de série ne lui ont pas été bénéfiques et qu’il aurait certainement brillé plus dans une série avec des vins moins impressionnants ou n’émanant pas autant de personnalité et de structure. Cela reste néanmoins une très belle bouteille à l’équilibre juste.
Très bien (+)
Il s’agit de :
Domaine Peyre-Rose – Coteaux du Languedoc – Oro 1996
Vin n°6 :
En accompagnement d’une terrine de sanglier
La robe est grenat. Le nez est exubérant de fruits, très aromatique et expressif, mais très expressif du cabernet franc aussi !!! C’est un pur fruit, très juste, très pur, avec des notes terriennes. La bouche est savoureuse, juteuse, d’une grande gourmandise, avec un fruité intense, un toucher de bouche délicat, digeste, sapide, ça glisse sur le palais, quelques petites notes poivrées, une grande justesse, c’est presque aérien, très fin. Un vin de jolie persistance, porté par une très belle acidité basale. C’est vraiment un cabernet franc de très grand plaisir, le pied quoi… Le fond de verre exprime des notes de confiture/gelée de fraise/framboise et de belles notes de cerise. C’est très très beau !!!
Très bien + / Excellent
Il s’agit de :
Clos Rougeard – Saumur-Champigny – Les Poyeux 2006
Vin n°7 :
En accompagnement de tartelettes aux aubergines et champignons truffées
La robe est rubis dense à franges un peu brunies. Le nez est très intense, un fruit gourmand, charmeur, des fruits rouges complexes et charnus, un poil de prune voire de pruneau, de cerise kirschée, puis de cerise noire, de bonbon anglais, de cèdre, de bois précieux. La bouche est d’une sapidité superlative !!! Quel toucher de bouche magnifique, une salinité parfaite, un fin parfum de violette et de menthol, un fruit intense, une fraîcheur remarquable, un fruité juteux et savoureux, une grande gourmandise, une magnifique longueur. C’est un vin exceptionnel !!! Impossible de ne pas voyager entre Bordeaux et Rhône Nord, puis Rhône Nord et Bordeaux !!!
Excellent + / Grand vin
Il s’agit de :
Château de Pibarnon – Bandol 1996
Vin n°8 :
En accompagnement d’un râble de lapin à la tapenade (très goûteux)
La robe est d’un rubis très soutenu, très dense, très peu évoluée. Le nez est absolument démentiel, époustouflant !!! C’est une essence rare de violette, de fleurs, un peu de bacon, de viande des grisons, quelle complexité. La bouche en est encore plus impressionnante. L’élevage est classieux, luxueux, palace, Bugatti Chiron même !!! La matière est simplement énormissime de précision, de structure, d’équilibre et de complexité. Le jus est d’une pureté à couper le souffle. C’est ultra complexe et aromatique, le toucher de bouche est subtil, les tanins sont très fins, le fumé est très fin, le fruit est présent partout, une largeur exceptionnelle mais pas écrasante pour un sou, une fraîcheur parfaite. L’équilibre est souverain, la précision est juste époustouflante. Il n’y a rien à dire, on est proche de la perfection. Un vin sublime et sublimé par un accord somptueux avec le plat.
Excellent ++ / Très grand vin
Il s’agit de :
E. Guigal – Côte-Rôtie – La Turque Côte Brune 2006
Vin n°9 :
En accompagnement d’un bœuf au wok aux billes de poivron rouge
Mais que peut-il bien passer après un tel flacon aussi grandiose ??? Eh bien un flacon grandiose, avec un petit supplément d’âme…
La robe est dense, rubis profond, très peu évoluée. Le nez est très très classieux, de petits fruits poudrés, une essence de bois précieux, une grande élégance. C’est à la fois intense et délicat, de très grande finesse. On ressent un caractère de réserve voire d’austérité luxueuse, qui se méfie mais qui demande une grande spiritualité pour se laisser découvrir et dès lors, on y retrouve la caverne d’Ali Baba et un vrai trésor !!! La bouche est d’une intensité profonde, d’une délicatesse et d’une justesse absolument royales, mais sans superflus, c’est rempli de dignité, d’autorité, mais sans orgueil, la précision est d’une franchise absolue, le vin est intensément terrien, avec une très fine note de paprika intense et formidable, pas de celle que l’on retrouve sur un joli Bordeaux mais de celle que l’on ne trouve que dans l’âme des plus grands seigneurs du Médoc. L’acidité est salivante, magnifique, elle rend le vin vibrant dans son austérité luxueuse et dans sa jeunesse étincelante. Ce vin bien que bien moins charismatique que le précédent possède un supplément d’âme qui me fait vibrer et m’apporte une grande émotion. La rétro est d’une complexité pharaonique. C’est sûrement le plus grand Bordeaux qu’il m’ait jamais été permis de déguster.
Excellent ++(+) / Très grand vin
Il s’agit de :
Château Margaux – Margaux – 1er Grand Cru Classé 1986
Ce vin n’est pas démonstratif, il est juste vibrant d’émotion et c’est ce qui me fait le préférer au précédent.
J’ai été tellement plongé dans ma bulle que j’en ai oublié le plat pour le coup… Mille excuses !!!
Vin n°10 :
En accompagnement de différents comtés (7mois, 12 mois, 20 mois)
La robe est d’un or soutenu étincelant. Le nez est terriblement expressif, d’abord d’un grand classicisme avec de la noix fraîche, des fleurs +++, du curry puis des notes absolument remarquables de café italien, voire même de marc de café. La bouche est ultra complexe, c’est rond, charnu, épicé (curry doux, curcuma, colombo, safran). Le vin est juteux, salivant, avec une acidité sublime sur un citron glacé qui vient équilibrer une légère sensation subjective de quelques sucres résiduels. Un vin de grande richesse, au jus aromatique et fin, puissant mais parfaitement équilibré, de longueur phénoménale. C’est un magnifique jaune !!!
Excellent (+)
Il s’agit de :
Marius Perron – Château-Châlon – Vigne aux Dames 1976
Vin n°11 :
En accompagnement d’une poire gratinée aux amandes pralinées, macaron aux amandes
La robe est d’un or doré profond, brillant, à la limite de l’ambré. Le nez monstrueux (dans le bon sens !!!) : mandarine, Mandarine Impériale, eucalyptus, abricot, thé. La bouche est extraordinaire d’équilibre : une grande concentration alliée à une suavité magnifique, de l’abricot confit, de la réglisse, un botrytis très pur, un confit savoureux. Ce vin complexe, de noble équilibre, de très grande finesse se révèle également par sa fraîcheur, sa salinité et sa grande longueur. C’est tout simplement somptueux.
Excellent
Il s’agit de :
Château Climens – Barsac 1er Cru 2006
Ce vin est terriblement séducteur pour son jeune âge, mais je ne doute pas qu’il deviendra encore plus profond avec plusieurs années de cave supplémentaires
Le débrief
Avec autant d’immenses flacons dans cette seule série, j’avoue que je n’ai pas envie de faire un classement ici.
Néanmoins Margaux 86 m’a profondément marqué et chamboulé en tant qu’amateur de Bordeaux et ayant été élevé au Bordeaux. Je n’avais jamais goûté que le 94 auparavant il y a quelques années et je l’avais déjà trouvé assez exceptionnel.
Je reconnais qu’il m’a procuré plus d’émotions que La Turque 2006, qui pourtant est un vin absolument monumental et proche de la perfection. Mais que sera cette Turque en 2036 quand elle aura 30 ans ? Sûrement un vin avec une âme sensationnelle et un esprit impérial au regard d’un Margaux 2026…
Il est difficile de juger les autres vins. Il est aussi difficile de juger mon exhaustivité. Dans la mesure du possible j’ai tâché de trancher mon avis avant la découverte de l’étiquette. Mon avis sur Margaux 86 dont les avis sont partagés sur LPV a été tranché avant la levée de l’aveugle. N’ayant pratiquement aucune expérience des 1ers grands crus classés d’autant plus avec un âge certain, mon impression première avait été d’osciller entre les Pichon, les Léoville, et Palmer, car sans aucun repère précis, ou par crainte de dire une belle bêtise, je ne sais pas... Je reconnais qu’il ne faudra plus avoir peur dorénavant de citer l’un des 1ers devant un tel niveau d’excellence. En tout cas, j’espère bien que l’expérience se reproduira un jour…
Au niveau des blancs, le Brézé (mon 1er) et le Cotat sont des monuments. Brézé m'a particulièrement perturbé au départ, car devant un tel vin, j'étais absolument perdu, les marqueurs du chenin étaient initialement parfaitement dissimulés dans un ensemble absolument magnifique. Pour Cotat, cette cuvée spéciale me rappelle une certaine familiarité avec une Cuvée Paul 1999 goûtée il y a quelques années. C'est une grande bouteille.
Cristal 96 est certainement l'un des plus grands Champagne que je pense avoir goûté à ce jour.
La Vigne aux Dames 76 de Marius Perron m'a rappelé un magnifique 79 goûté à LPV75
il y a deux ans
.
Pibarnon m'a totalement déboussolé pour trouver son origine à l'aveugle (et je ne pense pas avoir été le seul).
Cher Jean-Loup, que ta trentaine triomphatrice (n’y vois pas malice !!!) te conduise sous les meilleurs auspices toujours loin des abysses et des précipices avec Nicole, ta complice de toujours, en grande orchestratrice, et j’espère que nous aurons encore la chance, longtemps, de profiter de tels délices et de tels feux d’artifice. Que la vie et le bonheur vous soient toujours propices.
J’espère, cher Jean-Loup, qu’il te restera plein de millésimes en six à déguster et à découvrir.
Encore un immense merci de me faire profiter de tels instants d’amitié, de gentillesse, de générosité, de jubilation et de délectation !!!
Vivien