Bravo Sophie pour cette intervention, c'est très exactement dans l'esprit de ce que je pense et que je souhaitais exprimer ici.
Il est clair que ce n'est pas parce qu'une molécule est "naturelle" qu'elle est forcément inoffensive ou préférable à une molécule de synthèse !
Exemples très simples de produits "naturels" et "écologiques" autorisés en bio :
Roténone : classé toxicologiquement, dangereux pour les poissons, forte toxicité sur certains auxiliaires (acariens prédateurs, etc), efficacité très limitée (d'où risque d'emploi excessif)
Pyrèthre : classé Xn (nocif par inhalation, contact avec la peau et ingestion), dangereux pour les poissons, très toxique pour certains auxiliaires, action non sélective sur les insectes
Permanganate de potassium : classé Xn, très phytotoxique (un peu comme un désherbant, finalement...), écotoxicologie mal connue
Cuivre : toxique en milieu aquatique, toxique dans le sol à concentrations trop élevées (ces concentrations existent couramment lorsque le cuivre a été utilisé comme seul traitement pendant des décennies)
Par comparaison, de plus en plus de produits de synthèse ne sont pas classés toxicologiquement, et leurs doses d'emploi sont bcp plus faibles (souvent de l'ordre de quelques centaines de grammes à l'hectare !), tout en étant généralement bien plus efficaces... Et clairement il vaut mieux à mon avis utiliser UNE fois un produit très efficace au bon moment, que de devoir faire des traitements répétés avec un produit peu efficace et tout aussi toxique, voire plus...
Evidemment, je suis bien conscient que les procédures d'homologation sont contestables, et fortement influencées par les intérêts économiques ; il n'empêche qu'à mon avis, entre un produit classé et un non classé, le premier a quand même plus de chances d'être néfaste...
Il ne faut pas non plus négliger les intérêts de l'autre côté : l'agriculture bio/naturelle a le vent en poupe, rapporte (aussi) de l'argent, et il y a un intérêt économique certain à pouvoir présenter un produit "bio" ou "naturel" au consommateur... On a donc tout intérêt à ce que le consommateur soit persuadé que "bio" = "naturel" = respect de l'environnement = zéro risque... Or, dans les faits, il est parfaitement possible d'être certifié bio tout en polluant les nappes phréatiques et les rivières, en détruisant le sol et les insectes, tout cela au nom de l'utilisation de molécules "naturelles" et de "pratiques ancestrales"... (ce qui ne veut pas dire que tous le font, bien évidemment, et heureusement il y a de véritables gens talentueux qui ont réussi à réduire fortement toute forme de traitement, "bio" ou pas !)
Il y a aussi des vignerons, de plus en plus nombreux, qui affichent des trucs du genre "viticulture sans produits (systémiques) de synthèse, sans herbicides (résiduaires), etc". Non seulement, cela ne les engage à rien, mais en plus il n'y a absolument aucune justification à considérer a priori certaines catégories de produits comme automatiquement plus "mauvaises" (j'attends qu'on m'explique pourquoi un produit systémique serait *forcément* plus néfaste qu'un produit de contact, autrement que par des arguments plus philosophiques que scientifiques)
Enfin, il y a un autre point à ne pas négliger : au prix où sont les produits de synthèse, surtout les plus modernes, un vigneron a tout intérêt à en utiliser le moins possible !
D'une manière générale, il y a pas mal de mythes à pourfendre dans ce domaine, sans parler de la "com" de bcp de vignerons qui a généralement pour seul but de rassurer et de donner une image "écologique" et "qualitative" en caressant le consommateur complètement ignorant de la viticulture dans le sens du poil par rapport à l'idée qu'il se fait (généralement fausse) de ce qui est "écologique", "terroir", et "qualitatif" d'un côté, et de ce qui est "industriel", "chimique" ("chimique" = "mauvais"), "anti-qualitatif", de l'autre...
Du coup, tout vigneron "à la mode" se doit de dire qu'il n'utilise pas ou peu de produits de "synthèse", qu'il passe 24h/24 dans sa vigne, qu'il "privilégie" le travail du sol (ça mange pas de pain et ça donne un image très terroir, tradition, etc peu importe si les labours répétés sont néfastes), qu'il fait 580000h par an de travaux en vert (à force de tout enlever entre grappes, entre-coeurs, bourgeons et feuilles on se demande ce qu'il peut rester...), qu'il ne met pas de vilains engrais (enfin, jusqu'au prochain redressement dans 10-15 ans), qu'il vendange en cagettes en triant chaque grain à la loupe un par un, etc...
A côté il y a quantité de domaines qui désherbent, qui font une fumure d'entretien chimique, qui traitent avec les produits systémiques modernes, qui limitent au maximum les travaux en vert en se contentant d'un palissage de qualité et en gérant bien la vigueur des souches, qui mécanisent au maximum, qui vendangent à la machine... et qui obtiennent des raisins (et du vin) excellents, car pas de carences à la vigne, état sanitaire impeccable, rapport SFU/production bien étudié, etc... raisins qui parfois vont être achetés par le vigneron "à la mode" qui s'est fait "couillonner" sur une parcelle, à ne pas vouloir traiter...
Maintenant, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : il y a aussi toute une armée de vignerons passionnés qui font un véritable travail intelligent dans leurs vignes sans en faire grand cas, simplement en respectant les bonnes pratiques agronomiques et en restant insensibles aux phénomènes de mode et à la "com" bidon associée...