Bonjour,
sur ce sujet voici un mail (mai 2002) que j'avais envoyé sur un autre site:
J'ai pu lire sur plusieurs sites internets que l'OIV (Office international du Vin) fait de plus en plus pression pour que l'INAO accepte certaines pratiques en France, notamment l'adjonction de copeaux de bois dans les cuves. Tout cela me laisse dubitatif, d'autant plus que certains vignerons semblent séduit par ces pratiques (courantes pour les vins du
nouveau monde).
Voici par exemple ce qu'en pense M. Meslin, propriétaire du château Laroze (grand cru classé, Saint-Emilion). Cet avis est-il partagé au sein
des crus classés?
"la législation vinicole devra évoluer pour permettre des pratiques
encore tabous en France ; pas n'importe lesquelles bien sûr, mais tout le monde sait que des copeaux de bois dans un bon vin avec du microbullage adapté peut donner un fort bon résultat nettement moins cher que l'élevage classique en barriques. Pourquoi le fait de mettre du bois dans du vin est interdit car considéré comme de l'aromatisation alors que l'inverse est fortement recommandé ?".
Voici un article que j'avais archivé:
" LA PRESSE D'AILLEURS Le dimanche 02 septembre 2001
La France vinicole a soudain le vin triste
Réal. Pelletier
La Presse
L'industrie vinicole française a soudain le vin triste, elle qui au cours des siècles a patiemment habitué les amateurs, de par le monde, aux nuances infinies que sols et climats conjugués peuvent donner. Elle voit un peu partout ses parts de marché fondre, au rythme des glaciers des pôles, et au profit des multinationales du Nouveau-Monde, vendues à l'idée, moderne s'il en est, que c'est le consommateur qui doit décider ce qu'un vin doit goûter.
En pleine croissance, les gros viticulteurs américains, imités en cela par d'autres nouveaux joueurs, les Australiens et les Chiliens notamment, ont décidé que la façon de faire française est anti-économique: laissant les «anciens» buveurs à leurs fadaises de dégustateurs, ils attaquent massivement les «nouveaux» marchés en leur proposant une couple de familles de vin (chardonnay, cabernet sauvignon), qu'on uniformise dans un premier temps, quitte ensuite à leur greffer des nuances répondant au «goût du consommateur». Les sciences du marketing et du laboratoire se conjuguent ici pour offrir aux buveurs de par le monde non plus ce que la Terre peut humblement donner, mais ce que «le» mythique consommateur des manuels de marketing «demande».
Les nouveaux buveurs de vin. «Pour plusieurs jeunes consommateurs, pouvoir retrouver le goût des cerises ou des mûres dans un cabernet est une expérience merveilleuse», explique à Business Week Richard Sands, pdg de Constellation Brands Inc., société viticole de l'à‰tat voisin de New York, en pleine expansion avec un chiffre d'affaires de 700 millions de dollars US. C'est que le goût de ces jeunes a été formé au contact de boissons très fruitées (artificiellement souvent d'ailleurs, faut-il dire) et que le passage au vin est facilité du fait qu'ils puissent retrouver dans la boisson de table des adultes les saveurs de leur enfance. Dominant dans l'offre de Constellation Brands: les vins à goût de fruit, comme ce chardonnay à saveur de pêche vendu sous l'étiquette Arbor Mist.
E. & J. Gallo, le plus grand producteur américain, a aussi développé une ligne de vins à saveur de fruits. Ces seules catégories de vins à saveur de fruits ajoutée, de Gallo et de Constellation, représentent un volume de sept millions de caisses par année, dépassant désormais à elles seules l'ensemble des importations de vins français aux à‰tats-Unis.
Et ça dépasse les à‰tats-Unis. Une jeune Britannique croisée dans une boutique de vins à Londres explique que «les vins du Nouveau-Monde» sont moins rébarbatifs que les vins français en ce qu'ils sont moins acidulés. Bon!
L'apport de la technologie.
Bien sûr, un tas de règlements édictés par le Bureau des alcools, du tabac et des armes à feu des à‰tats-Unis (oh là là ! la jolie salade!) empêchent les producteurs de trafiquer le vin à leur guise, note le New York Times. Il est interdit par exemple d'ajouter des matières colorantes ou des saveurs artificielles au vin.
Mais les sciences et techniques, dans la production du vin comme autrement, ont su contourner les règles, depuis le début de la maturation jusqu'à la mise en bouteille, de manière à en arriver à répondre à cette fameuse notion, qui devient tranquillement classique pour tout, de «l'attente du consommateur».
Les viticulteurs (américains) aiment dire en pub que leur vin pousse dans le vignoble; mais de plus en plus de ces vins produits aux à‰tats-Unis poussent en laboratoire, dit la reporter Alice Feiring dans le New York Times. La gamme des nouvelles techniques est considérable: le recours aux copeaux de chêne fumés (interdits en régions d'appellation contrôlée en France) contribuent de plus en plus largement d'abord à une uniformisation de base du goût du vin; ensuite les saveurs fruitées sont obtenues par un savant recours à toute une gamme de levures, aux accents de fruits tropicaux souvent. Vous aimez un vin à saveur de banane? Vous aurez du vin à saveur de banane!
Une affaire de goût, mais de coûts aussi. Trop sucré le raisin de Californie (90% de l'industrie viticole américaine)? Qu'à cela ne tienne, tout un jeu de techniques permet de contenir l'acidification à un taux acceptable, évitant de heurter les palais et, à la limite, d'avoir à se défaire de mauvaises récoltes, comme certains Français sont tenus de le faire.
Une entreprise californienne, Enologix, a mis au point un logiciel capable de déterminer avec précision, à partir du jus rendu par le raisin, quelle est la valeur potentielle de marché qui en résultera en bout de production, procurant donc des indications sur le façon de traiter le nectar en cours de route. Soixante-cinq producteurs déjà ont acheté le logiciel, y compris deux gros joueurs, Diamond Creek Ridge et WillaKenzie.
Les puristes boudent... dans leur coin.
Les technologies nouvelles se sont emparées de la fabrication du vin. Les puristes s'en avisent d'ailleurs, depuis longtemps en France, mais maintenant aux à‰tats-Unis. Roger B. Boulton, professeur émérite de viticulture et d'oenologie à l'Université de Californie à Davis, est amer: «Chaque fois que je goûte un vin qui ne me raconte pas son lieu et son climat, j'en éprouve une déception», dit-il au New York Times. L'Américain Jeffrey Davies, négociant en grands vins installé à Bordeaux, se plaint à Business Week de ce que la planète sera bientôt noyée de vins «génériques» que deviennent les chardonnay et les cabernet sauvignon. Il se prend déjà de nostalgie à l'idée qu'en viennent à disparaître, dans la culture du vin, les différences profondes entre, disons, un chardonnay très sec produit à Chablis, dans le nord de la Bourgogne, et un autre plus liquoreux élevé à quelques dizaines de kilomètres plus au sud, en Côte d'Or.
Mais la révolution du vin est en marche et on ignore ce qui pourra l'arrêter: elle touche les méthodes de production, mais aussi le marketing, les structures de propriété et la distribution. Sous tous ces rapports, la France est demeurée une nation viticole incrustée dans des façons de faire quasi médiévales, juge Business Week, qui a consacré sa page couverture la semaine dernière à cette révolution du vin, en marche sous l'impulsion des grandes entreprises américaines.
Pendant que triomphent les génériques chardonnay et cabernet sauvignon, la viticulture française, indécrottablement parcellaire, demeure empêtrée, aux yeux de BW, dans le dédale de 450 appellations contrôlées, chacune soumise à des exigences rigoureuses d'authenticité et des normes de production (irrigation interdite par exemple) qui affectent la position concurrentielle de la France sur le marché international.
à‰cueils économiques.
Sur le plan de la propriété, le seul Bordelais compte quelque 20 000 exploitants de toute taille, pendant qu'ailleurs dans le monde, toute l'industrie est en phase active de super-concentration de propriétés. Ainsi, une maison comme Seagram, renommée pour ses spiritueux, est devenue en douce troisième producteur de vin au monde. C'est par contre un nom rattaché à la bière, Foster's, d'Australie, qu'on trouve en deuxième position, pendant que la californienne Gallo occupe la tête du peloton.
Les françaises du vin ont toujours plus ou moins snobé le marketing moderne: Gallo y investit à fond. Le cas de l'important marché britannique est intéressant. à€ elle seule, Gallo y a consacré l'an dernier, en promotion et publicité, plus de deux fois ce qu'y ont investi tous les producteurs de bordeaux réunis.
En Grande-Bretagne, une poignée de grandes chaînes d'alimentation contrôlent 70% de la vente du vin et elles préfèrent avoir affaire à quelques grands distributeurs qu'à une ribambelle d'agents de petits producteurs.
Les Anglais consomment trois fois plus de vin qu'ils ne le faisaient en 1960, les Américains deux fois plus, mais la part française sur ces deux marchés considérables est en baisse. Et ce qui n'aide pas les viticulteurs français, c'est que la consommation nationale est, elle aussi, en baisse: le Français moyen buvait annuellement 26,5 gallons de vin en 1960, il n'en consomme plus que 14,5 gallons.
Dans l'intervalle, producteurs américains et australiens ont entrepris de convertir même les consommateurs français à leur vins génériques et parfumés aux essences caraà¯bes, tout comme, dans la génération précédente, McDonald's l'avait fait, non sans certain succès, au chapitre de la restauration. Reste à savoir jusqu'où le goût des Français «évoluera», s'il doit «évoluer». Et surtout jusqu'où les viticulteurs français accepteront, en termes d'initiatives technologiques et commerciales, de... mettre de l'eau dans leur vin. à€ tout événement, c'est une grande culture multimillénaire qui est ici défiée. Au nom de la rentabilité mondiale. "