LPV75: le millésime 2015 au domaine Hubert et Laurent Lignier
Au moment de définir les domaines auxquels mes camarades et moi souhaitons absolument rendre visite, celui de Hubert et Laurent Lignier figure dans les premiers noms unanimement évoqués. Il faut dire que les visites et dégustations annuelles ont ravi à chaque fois l’ensemble du groupe. Direction Morey-Saint-Denis donc. Nous entamons la fin de semaine et Laurent a pris sur son temps où il ne reçoit habituellement pas pour nous accueillir.
La protection contre la grêle
- Je voulais vous emmener voir les filets anti-grêle sur Clos la Roche mais le temps est menaçant. J’ai 4 rangs de test sur 111 mètres.
NDLR: photo prise le lendemain. Sur Mâcon les vignes avec filets ont eu 20% de perte au lieu de 90%. Ils sont disposés en position verticale le long du rang. Ils sont tendus pour offrir plus de résistance.
- Vous en êtes encore au stade de l’expérimentation?
- Oui, le BIVB passe régulièrement pour prendre des mesures. Chaleur, hygrométrie, production, maladie. Il y a-t-il davantage de mildiou? etc.
- Les filets ne gênent-ils pas les traitements?
- La limitation de couverture des produits de traitements est plutôt faible, 7-8% seulement. Cela varie avec les systèmes de traitement. Nous avons des machines avec soufflerie et c’est bien plus efficace.
- Ne limitent-ils pas l’ensoleillement?
- Il y a des prélèvements pour regarder la maturité. Une chose est constaté en revanche, selon la couleur du filet, il y a eu moins de grillure en 2015 et quasiment pas en 2016.
La vinification
- Comment se déroule la vinification dans la cave?
- Nous avons 20 jours de fermentation. Du préfermentaire à froid. Le jus passe dans une crayère et y est refroidi. Il est ensuite réinjecté. Je mesure la densité 2 fois par jour pour voir si la fermentation s’est arrêtée. Je récupère le jus de presse et l’ajoute de manière séquentielle pour m’assurer que cela ne devienne pas trop tannique. Je pige une partie au pied. Je contrôle également la température pour qu’elle ne dépasse pas 34°C. Et lorsqu’il s’agit de vider la cuve, j’aime bien le faire à 24°C. Cela évite le goût de marc.
- Les levures sont indigènes j’imagine.
- Oui, une vingtaine en général. Et il y en a toujours une « killeuse », à savoir une qui prend le dessus par rapport aux autres.
- Avez-vous été tenté de mettre de la vendange entière, la matière de 2015 paraît le supporter?
- Oui, un peu. 25% par exemple sur Clos la Roche, plus qu’en 2006.
- Vous préférez pourtant érafler en général.
- Le millésime s’y prêtait. En temps normal, j’évite la rafle. Le risque est que le jus prenne toujours le même passage et qu’il extrait trop de verdeur. C’est plus homogène sur des raisins égrappés.
2016, un millésime noir / 2015, un millésime qualitatif
J’avais déjà pris quelques nouvelles peu de temps après le gel. La visite au domaine nous a permis d’en savoir davantage.
- Vous devez à présent avoir un peu de recul sur les dégâts liés au gel et au mildiou.
- Sur Morey et Gevrey, 1er Crus et Grands Crus compris, nous ne sommes pas impactés. Le volume produit en 2016 est donc globalement légèrement supérieur à en 2015. Sur Chambolle et Pommard, -50% en 2016. En Nuits Saint-Georges et appellations régionales, -70%.
- Les vignes en plaine ont été grandement touchées.
- Oui, nous ne faisons que 5 pièces sur 1ha 25 de Bourgogne Grand Chaliot au lieu de 25.
- Cela devait être difficile de maintenir le bio.
- Effectivement ce ne fut pas de tout repos. Je m'en suis bien sorti sur les vignes situées sur Gevrey et Morey (1er Cru et Gd Cru compris), mais j'ai eu beaucoup de mal à contenir le mildiou sur les vignes situées en bas de côteau (B. Aligoté, Passetoutgrain, Bourgogne) aux sols plus argileux et humides, ainsi que sur Chambolle, Nuits St Georges. En fait, les vignes qui ont subi des dégâts suite au gel du 27-28 avril 2016 ont toutes été plus impactées par le mildiou, comme si leurs résistances diminuées, elles ne sont pas parvenues à contenir ce nouveau fléau qui a suivi.
Chambolle Musigny les Bussières
Un vin un peu froid. Il faut le réveiller un peu pour percevoir des fruits rouges et noirs. De la mûre, de la myrtille, de la fraise très foncée. Quelques tanins. Un vin contenu avec une finale tirant sur l’acidité de la groseille.
B
- Quelles ont été les dates de vendanges?
- Le 8 Septembre pour 2015 et le 28 Septembre pour 2016.
- Vos confrères en Rhône nous indiquait l’homogénéité des maturités d’un endroit à l’autre sur 2015. Etait-ce le cas ici?
- Oui, nous avions entre 13 et 13,5°.
- D’ailleurs, comment décidez-vous l’ordre des vendanges?
- Je fais deux prélèvements. Un à 8-10 jours et un autre à 3-4 jours.
- Tous les vignerons croisés ont loué la qualité des raisins en 2015. Monsieur Reynaud disait avec humour qu’il n’était pas nécessaire d’être vigneron en 2015.
- Le tri fut effectivement bien plus facile. Lorsque nous avons eu 4 à 5% de grains écartés en 2014, nous n’en avons que 1 à 2% en 2015.
- Vous nous aviez dit l’an passé que peu de jus sortait à la presse.
- Je pensais avoir une diminution de rendement de 20%. Elle fut de 12% finalement.
Morey Saint Denis la Trilogie
Une bouche plus présente, un peu plus dense. Des tanins bien souples. Toujours des fruits noirs, de l’élégance mais une concentration supérieure.
B+/TB-
- Nous ne faisons que 25 à 26hl. -30%. En 2014 nous faisons 13 pièces. En 2015, 10. Nous avons eu beaucoup de millerands. Le vin est en tonneau depuis 16 mois.
- C’est une période assez longue et nous ne sentons pas beaucoup de réduction. Au domaine Croix Jeudi matin, elle était plus marquée.
- Cela dépend de ce que l’on y met. A l’entonnage j'ajoute un litre de lies fines sur chaque fût.
Gevrey Chambertin les Seuvrées
Les tanins sont plus aiguisés. Des fruits sombres également ici. Une bouche avec des notes de graphite. C’est persistant.
B+
- Nous avons 2 parcelles. Une en cordon, l’autre en Guyot. On retrouve des déjections des Combes.
- La canicule n’a-t-elle pas provoqué une grillure plus importante?
- Nous n’avons presque pas eu de grillure. Le raisin s’est adapté à la chaleur dès Juin. Le feuillage a en revanche beaucoup souffert sur la vigne de Gevrey Justice. Beaucoup de feuilles étaient tombées. Le sol y est très drainant et gravillonneux.
- Avez-vous été tenté de faire différemment avec un millésime si chaud?
- La vinification a été plus courte dans son ensemble. Nous avons eu 17 jours de fermentation au lieu de 20 notamment. La malo s’est faite assez vite.
Morey Saint Denis 1er cru les Chaffots
« Il s’agit de 45 ares au dessus du Clos Saint Denis. »
Un nez plaisant, gourmand, aérien. En bouche l’équilibre est haut, frais. Il existe dans le même temps une assise avec une impressionnante matière. Et les fruits noirs se révèlent avec quelques degrés en plus.
TB
Les métayages et fermages du domaine
- Vous avez plusieurs vignes en métayage ou en fermage. Combien d’hectares représentent-elles?
- Un métayage de 31 ares sur Combottes. Les Riottes en fermage. 10 ares de Clos la Roche qui sont assemblés avec le reste. En GFV, 35 ares de Nuits Saint Georges et Pommard et en 2010, 1,25 ha de Bourgogne Pinot Noir "Grand Chaliot" situés à Nuits. Presque 2,5 ha donc. Après, pour Pommard, nous faisons 500 bouteilles pour 42 ares. Nous passons de 5 pièces en 2015 à 2,5 en 2016.
- Allez-vous continuer à croître?
- Nous allons planter du Chardonnay en Côteau Bourguignon.
- Faire du blanc va vous changer bien des choses.
Morey Saint Denis 1er cru Vieilles Vignes
Un vin avec de la hauteur, un port altier, sans lourdeur. De la groseille, des petites baies, de la fraise d’un rouge vif. Un peu d’accroche de VE mais c’est bien chouette. On perçoit également des micro-billes lissées. en texture.
Excellent-
- Il y a 25% de vendanges entières ici également. Le sol est similaire à celui du Clos la Roche sur la partie des Faconnières.
- Comment conservez-vous l’âge moyen des vignes? Vous devez nécessairement avoir des remplaçants.
- Les jeunes vignes sont vendangées avant et elles sont mises dans le village.
- Pour revenir un peu sur les conséquences de 2016, avez-vous perçu des impacts sur le millésime 2017?
- Oui, les bois sont plus cassants dans les zones gelées. Nous recourons donc à des crochets pour réaliser les attaches.
Gevrey Chambertin 1er cru les Combottes
Un nez floral. Une bouche cylindrique. Quelques tanins asséchants contribuent à une légère austérité. Une acidité qui étire l’ensemble à l’horizontal.
TB- Un peu strict à mon goût. Camarade Antoine a adoré.
- Le sol est plus sableux, plus drainant. Le grain est fin sur les 30 premiers centimètres. En comparaison Clos La Roche est argileux en surface. Les Combottes auraient pu être classées en Grand Cru. Elles sont entourées de 3 Grands Crus. Elles se trouvent en pied de coteau, là où les vins les plus complexes se font. Regardez les grands crus du domaine de la Romanée Conti.
- A quoi est du son absence en Grand Cru?
- Il y a plusieurs raisons. La parcelle ne touche pas Chambertin. Et ce sont surtout des vignerons de Morey qui l’exploitent. Ils ne souhaitaient pas à l’époque payer la taxe. Et il y a eu un vigneron qui a appelé son vin Combottes Chambertin. Un jugement a été prononcé contre et une jurisprudence a été créée.
Clos la Roche Grand Cru
100% fûts neuf François à la dégustation mais 1/3 sur la cuvée globale.
Un nez magiquement envoûtant. De la fraise, de la violette, de la rose. C’est onctueux, un toucher épais et lisse. Une parfaite densité. L’acidité rehausse l’ensemble.
Excellent+
- Vous nous aviez évoqué l’agrandissement de la bâtisse l’année dernière. Où en êtes-vous?
- Je vous en avais parlé? Les travaux commencent demain
.
Quelques vins âgés et un entretien avec une légende
Laurent ne déroge pas à son immense hospitalité. Il réfléchit un instant: « Qu’est-ce que je ne vous ai pas encore fait goûter?… Je sais. On va voir où le millésime en est.»
Vin mystère n°1
Une robe évoluée, un beau nez sur les girolles et les morilles. La bouche contraste. Elle est serrée, très vive. La finale se fait sur l’amertume du pamplemousse.
AB+
- L’acidité nous fait penser à 2008?
- Exact. C’est un Chambolle.
- Cela demeure bien vif.
- Effectivement. Je vais vous ouvrir autre chose
Vin mystère n°2
Une épaisseur plus importante, des tanins manifestes. L’acidité revient mais il y a du répondant en face, des épices.
« Il s’agit d’un vin des hospices de Nuits, les Didiers 2008. J’achète régulièrement cette cuvée et en fait l’élevage.
Et parce que sa générosité est à la mesure de son talent, notre vigneron nous ouvre un troisième flacon.
Vin mystère n°3
Un registre différent. Des notes fumées, de la viande grillée mais également des fruits et encore de la matière. La robe témoigne d’un âge bien avancé. Nous tentons plusieurs années entre 1992 et 1999. Et il s’agit de Morey Saint Denis 1er cru VV 1993. Un régal!
TB+
- J’ai croisé votre père et il a une vitalité incroyable encore.
- Ah, mon père, nous répond Laurent avec un sourire joyeux. Dès qu’il a su que j’étais en voyage quelques jours, il est venu travailler les vignes avec le tracteur. Vous vous rendez compte, à 81 ans. Quelle énergie!
- Je vous le confirme, c’est bluffant.
Petit retour en arrière de quelques heures. J’aperçois une silhouette descendre de sa machine aux alentours du domaine alors que je sais que Laurent n’est pas encore revenu de voyage. Je me rapproche, il s’agit d’Hubert. Je me permets d’engager en tâchant de ne pas trop l’importuner:
- Monsieur Lignier bonjour,
- Bonjour,
(…)
- Il fait bien beau. Vous devez profiter du temps pour faire les travaux nécessaires dans les vignes.
- Ah les cycles végétatifs sont un peu perturbés cette année. On se repère habituellement avec les fleurs d’amandiers fin Février pour des vignes à la toute fin Mars. Alors que cette année, les amandiers ont éclos début Mars et la vigne avait presque 2 semaines d’avance.
- Depuis la création du domaine, quel a été le plus gros changement pour vous? La mise en bouteille de vos propres vins peut-être? Vous étiez parmi les premiers à le faire sur Morey.
Hubert réfléchit un instant
- Nous faisions beaucoup de travaux à cheval auparavant. Le tracteur nous a facilité bien des tâches. Celui que vous voyez pèse 3,5 tonnes. Le moteur est puissant. On peut l’équiper de soufflerie pour faire les traitements. Nous en avons un autre de 2 tonnes et demi. Mais tout cela reste bien lourd pour les sols. Celui que j’affectionne pèse 1,5 tonnes. Il a plus de 50 ans. Ils mettaient des moteurs de Dauphine à l’époque.
- Merci beaucoup Monsieur.
- Avec plaisir.
Comme chaque année la dégustation au domaine Lignier est un grand moment. Laurent n’est jamais avare dans ses explications didactiques ni dans son partage. 2015 y est peut-être un peu moins gourmand mais certainement taillé pour les décennies. D’immenses remerciements donc à Laurent et son père.
Edit: précisions très utiles du domaine .