Bientôt, la taille va être terminée. Une de plus. On est entré dans la ligne droite avant le printemps. Le temps s’accélère encore plus qu’avant ; et il n’y avait pas besoin de ça car il allait déjà suffisamment vite…
Encore deux à trois semaines et il n’y aura plus trace de l’ancienne saison dans les vignes.
Historiquement (et logiquement), la taille d’une parcelle est suivie de la réparation de son palissage. Ainsi, le pliage et l’acanage interviennent alors que les piquets usés ou manquants ont été changés.
On reviendra plus tard sur les termes pliage et acanage (travail consistant à attacher la souche).
Lorsque le personnel a été mensualisé il y a pratiquement 15 ans et que le travail à la tâche a été supprimé, j’ai pensé changer cette façon de faire pour l’adapter à une autre logique.
Pour moi, le travail à la tâche à de nombreux inconvénients qualitatifs. Mais il a aussi un avantage qui est une certaine flexibilité du travail. Et pour l’organisation des chantiers de taille, un vigneron qui a perdu du temps (pour maladie par exemple), peut travailler avant ou après les heures de travail officielles ou le week-end pour compenser son retard.
Avec des gens mensualisés, il est beaucoup plus difficile, voire impossible de faire rattraper un retard pris. Aussi, j’ai privilégié la taille à la réparation du palissage.
Ainsi, un vigneron taille d’abord ses parcelles et ensuite il en répare le palissage.
Les vigneronnes interviennent dans la parcelle pour le pliage quand elles le souhaitent, indépendamment du vigneron.
La « perte » en termes de qualité de travail de cette organisation contre-nature est toute relative car il n’y a pas des milliers de piquets à changer dans une parcelle.
Et les vigneronnes repassent aussi dans toutes les parcelles plus tard en mars-avril pour attacher les jeunes plants qui viennent d’être mis en terre. Elles en profitent donc pour attacher tout cep oublié.
En opérant ainsi, on gagne en sécurité car le vigneron se focalise sur la taille. Quand celle-ci est finie, on sait exactement combien il nous reste de temps pour réparer le palissage avant le début du travail suivant (qui est en général la complantation).
On ne peut pas faire sans tailler la vigne ; par contre, on peut très bien rester un an avec un palissage réparé très sommairement ou moins parfaitement qu’il le faudrait. Si un vigneron devient trop en retard pour une cause ou une autre, on a peu de chance de mettre ces parcelles en danger de non-taille lors du débourrement de la vigne.
Pour ne pas prendre de retard pour la suite, il faut que la taille et la réparation du palissage soient achevées au 15 mars.
Donc, en fonction du nombre de jours disponibles, on répare plus ou moins le palissage. Il y a les piquets usagés à changer, les fils à réparer, les piquets de bouts à aligner,…
C’est un vrai travail qu’il faut aussi soigner. On peut aller plus ou moins vite en fonction du niveau de précision que l’on se fixe.
Pour nous qui labourons intégralement les vignes, les piquets (=grands piquets + marquants) sont beaucoup plus sollicités pour protéger les souches lors du passage des charrues.
On en change sûrement plus que ceux qui désherbent chimiquement.
Pendant longtemps, chaque vigneron changeait les piquets seul dans sa parcelle. Quand ils étaient à la tâche, ils avaient tendance à en mettre moins que nécessaire pour aller vite. Je devais donc passer derrière eux et vérifier par moi-même si tout était fait correctement, et parfois faire repasser.
Avec les vignerons mensualisés, il n’y a plus cette tentation du travail fait à moitié. Au contraire, ils se sont mis à faire les choses dans la plus pure logique. Ils travaillent à deux. L’un d’eux place le piquet alors que l’autre regarde le travers du rang pour s’assurer que le piquet est à sa place. C’est la même chose pour les enfoncer : il faut avoir l’œil d’une personne un peu éloignée pour savoir quand il faut arrêter de taper au marteau.
Les deux travaillent mais il n’y en a qu’un à la fois qui manipule les piquets ou le marteau.
C’est plus long, mais sur le long terme, les ceps restent parfaitement alignés dans les deux sens et sont tous enfoncés à la même profondeur.
Le gain qualitatif n’est pas énorme, mais sur le rang, chaque pied à le même espace à sa droite et à sa gauche pour développer ses rameaux. Et en plus, c’est plus esthétique.
Surtout quand on pense que la parcelle doit rester en place au moins 50 ans !
Corinne et moi travaillons séparément à la maison (champ des treilles), je sais que même en s’appliquant, ce n’est jamais parfait, loin de là…
Je ne prends que des piquets en acacia fendu. C’est très difficile à trouver dans les dimensions d’une vigne à 1m.
Le marché des piquets sciés est beaucoup plus important. Mais moi, je suis un paysan et j’ai dans mes gênes quelque chose qui me dit que quand on ne respecte pas le fil du bois, le piquet dure moins longtemps (et peut aussi se déformer).
Lorsque je suis arrivé à Pontet-Canet, il y a 20 ans, il n’y avait plus que des piquets sciés. J’ai pu trouver un approvisionnement de l’Ariège. Mais il s’agissait de petits faiseurs qui ne pouvaient pas assurer une régularité de production. On a donc cédé aux sirènes des piquets en pin injecté. Ils avaient l’avantage d’être produits de façon industrielle donc disponibles à tout moment en en grande quantité.
Malheureusement, mon aversion naissance vis-à-vis des produits chimiques m’a très vite amené à revenir à l’acacia fendu.
Entre temps, le marché des pays de l’Est s’est ouvert et en France, on est devenu trop fort ou trop intelligent pour produire nos propres piquets.
Ils arrivent de Roumanie, Hongrie,…
On pourrait parler des jours entiers sur les difficultés à travailler avec ces gens là, même lorsqu’il y a un distributeur local entre nous.
Souhaitant toujours du fendu, je sais que je reste dans un marché de niche (un peu comme le bio en agriculture).
Mais je n’arrive pas à me faire à l’idée de prendre des jolis piquets minuscules, tout bien sciés dans des petits fagots de 25 mais qui ne durent que le temps de les planter. Certes, ils ne sont pas chers, mais comme il faut les changer souvent, on se demande où est l’économie (à moyen terme). Mais le moyen terme n’intéresse plus personne maintenant. On vit l’instant, pour la suite…
Dans la région, nous sommes quand même quelques uns (pas nombreux) à rechercher du piquet fendu d’assez gros diamètre.
Peut-être qu’un jour, on pourra retravailler avec du bois français. Qui sait ???
Voilà, c’est un peu long, mais vous en savez un peu plus sur notre façon de travailler.