Petite leçon de dégustation
Jacky Rigaux
________________________________________
En terme tactiles, concernant le toucher de la bouche, c'est la façon dont le vin stimule le palais qui va nous intéresser tout particulièrement. Ce sont ces sensations qui permettent le mieux d'apprécier la complexité et la typicité d'un vin : la consistance, la souplesse, la viscosité, la texture, la vivacité, la persistance aromatique et l'aptitude au vieillissement. C'est la dégustation du gourmet.
La consistance
Un vin de terroir est toujours consistant. En chaque terroir digne de ce nom, le raisin arrive à maturité physiologique optimale et donne naturellement un vin consistant. C'est la matière du vin, sa charpente, son corps, ses épaules, sa concentration naturelle.
Cette consistance provient de la cuvaison (macération pré-fermentaire, fermentation, macération post-fermentaire pour les vins rouges, fermentations et élevage des jus sur les lies pour les blancs).
Au cours de la cuvaison sont extraites diverses matières du raisin, et tout particulièrement les tanins. S'il n'y a pas de consistance au départ, le vieillissement n'apportera rien de plus !
une concentration par diverses techniques modernes (concentrateurs, osmose inverse, macération de copeaux de chêne, ajouts de matières industrielles...) peut faire illusion, mais, à l'aération et surtout au vieillissement, on découvre l'absence de complexité de tels vins techniques.
La souplesse
La consistance d'un vin de terroir doit toujours se révéler avec souplesse en entrant en bouche. La sensation d'astringence, naturelle dans les vins rouges jeunes, ne doit s'imposer que dans un deuxième temps.
Le dictionnaire Larousse considère la souplesse comme la "flexibilité de la consistance". Pour apprécier la souplesse, il convient de malaxer le liquide sans qu'il ne donne une sensation de dureté au palais.
On peut réapprendre à apprécier la souplesse en dégustant dans la foulée du flan et des oeufs au lait (ou en mleurette !). Le flan entré en bouche, quand on appuie dessus, s'écrase et disparaît. Cela donne une sensation de mou en bouche. Quand on appuie sur les oeufs en meurette en bouche, on ressent une impression de "ressort matelassé" selon l'heureuse formule de Jean-Marc Quarin. C'est celà, la souplesse.
La viscosité
Un grand vin de terroir génère en bouche une bonne viscosité. Sensation essentielle, c'est celle de la qualité des tanins.
Les vignerons de talent, respectueux de leurs terroirs, limitent leurs rendements, ne récoltent jamais leurs raisins par commodité mais toujours par maturité, et opèrent de surcroît un tri sévère à l'arrivée en cuverie.
La centration sur la viscosité, c'est donc la perception de la qualité du tanin : rond, enrobé, gras, ferme, dur...
Le tanin est naturellement présent dans les peaux et sur les pépins. En bouche, il déclenche des sécrétions salivaires.
Un grand tanin donne toujours une sensation paradoxale d'astringence (c'est tannique) associée à une sensation huileuse.
Un grand vin de terroir laisse toujours le palais subtilement huileux.
On ressent d'abord les tanins, puis cette merveilleuse sensation huileuse, l'égale de celle conférée par les grandes huiles d'olive de terroir.
La texture
Shakespeare, sans doute initié par un gourmet, parlait des grands vins de France et des nectars de Bourgogne, vantant leur velouté, leur soyeux, leur délicatesse de fruit... Un vin de terroir se doit d'offrir un toucher de bouche qui évoque la soie, le taffetas, le velours...
Dès le temps du fût et de la prime jeunesse en bouteille, les grands terroirs présentent une texture inégalable.
Quand les années ont dompté leur fougueuse jeunesse, et tout particulièrement en millésimes exceptionnels et grands, les vins de Bourgogne "se fondent", associant à leur noble consistance la race de leur texture veloutée, offrant des émotions gustatives des plus émouvantes.
Pour réapprendre à apprécier la texture d'un vin, il suffit de toucher des étoffes, de comparer le toucher de la soie à celui de la toile de jute par exemple.
En bouche, on peut procéder à l'expérimentation suivante : une carotte que l'on va râper avec une râpe fine et une râpe épaisse. C'est la même carotte, mais elle donne deux sensations très différentes.
La vivacité
La vivacité est conférée par l'acidité naturelle du vin.
La fermentation alcoolique suivie de la fermentation malolactique opèrent de subtiles transformations qui vont assurer une vivacité racée au vin et ciseler sa consistance tout en égayant sa texture.
C'est la vivacité qui fait vivre le vin en bouche. Elle met bien sûr également en relief la fraîcheur aromatique de tout grand climat de Bourgogne.
C'est l'aptitude du vigneron à vendanger à maturité physiologique optimale, et non par commodité, qui sera la clé d'une vivacité rayonnante.
Pour celà, bien évidemment, un contrôle strict des rendements est requis, et un tri féroce exigé, pour un équilibre au plus près de la perfection.
La persistance aromatique
Un grand vin de terroir a "de la longueur en bouche". Il ne suffit pas d'être aromatique et tannique, avec un goût de bois prononcé, comme savent l'être les vins techniques. Il faut que sa complexité s'actualise également par une longue présence en bouche. Plus un vin est long, plus sa persistance aromatique s'impose.
On parle de finale, de sève, tout particulièrement avec les vins blancs, de "codalies" également.
On compte en seconde l'intensité ressentie en bouche, avant qu'elle ne décline.
Cependant, c'est l'analyse de cette persistance aromatiquequi réjouit le plus l'amateur !
Tous les grands crus et les premiers crus ont une grande persistance aromatique.
L'aptitude au vieillissement
Un grand vin de terroir est fait pour durer, et toute sa complexité ne se décline vraiment qu'après un long vieillissement, variable selon la qualité des millésimes.
Il est des millésimes exceptionnels et grands qui offrent au vin la possibilité de tenir un siècle de plus. En bons millésimes, l'espérance de vie est moins grande.
En millésimes moyens et petits, mieux vaut déguster les vins sur une dizaine d'années !
Bien évidemment, ce sont les grands crus, et les premiers crus les plus prestigieux qui ont le plus grand potentiel de vieillissement.