Quand la viticulture associe effort de qualité, risque, vision culturelle et respect du terroir, elle devient un art vrai et le contenu des bouteilles devient plus que du vin, il contient une partie de l’âme de celui qui l’a produit pour le plus grand plaisir des personnes qui auront la chance de le posséder, puis de le partager lors de sa dégustation.
Cette dimension est de plus en plus atteinte en Alsace, elle est le fruit de l’association au travail pur de la vigne d’une démarche intellectuelle et souvent culturelle.
Olivier Humbrecht ne s’est pas contenté de prendre en charge le domaine Zind-Humbrecht aux terroirs déjà fabuleux.
De part ses nombreuses formations, des gens de qualité dont il a su s’entourer, de son travail incessant pour viser de petits rendements avec une expression vraie du terroir et, enfin, pour son choix pour l’agriculture biologique, il a sublimé son héritage, le menant, de l’avis de beaucoup, au firmament des vins alsaciens.
En cela, il a pleinement atteint cette notion de l’art que j’ai tenté de décrire plus haut.
Depuis maintenant 15 ans que je suis le domaine, chaque millésime m’a un peu plus convaincu de toutes ses qualités, à tel point, mais c’est un autre débat, que j’ai toujours trouvé le prix de ces vins acceptables, surtout de par cette dimension artistique qu’ils véhiculent.
A ce titre, chacune de ses vendanges tardives que j’ai eu l’occasion de boire a fait l’objet d’une émotion vraie lors de sa dégustation, que le vin soit bu jeune ou que j’ai pris le temps de l’attendre.
On pourrait donc se poser la question de l’intérêt de cette lettre, si ce n’est un déballage pompeux de superlatifs à la gloire d’Olivier Humbrecht.
Le problème, c’est que, si on considère que le niveau atteint approche la perfection et possède une dimension artistique, on est en droit de se demander à quel public tout cela est finalement destiné.
Le but ultime est-il de réjouir les sens des passionnés ou est-il de simplement faire parler de sa production dans la presse spécialisée, assurant ainsi la pérennité de l’écoulement des produits par les cavistes, au grand bonheur de ces derniers ?
Faut-il transformer ces vins en produit de luxe, qu’on s’arrache pour la seule possession de son contenant (je dis bien contenant) ?
Faut-il en arriver à ce que les cavistes eux-mêmes, par crainte de porter atteinte à sa majesté, n’osent même plus tenter de défendre les souhaits des clients ?
En refusant de façon croissante aux particuliers d’accéder au domaine, Olivier Humbrecht a déjà voulu s’inscrire une première fois dans cet esprit. Il y a quelques années, il a, en effet, voulu se démarquer des dégustations au domaine en remplaçant celles-ci par une présence ponctuelle chez les cavistes afin d’y faire gouter ses vins, du moins, ceux qu’il voulait bien sélectionner, opérant ainsi une première forme de tri.
Ensuite, il est passé à une sélection croissante des cavistes qui le représentaient, le facteur dominant du choix semblant être l'importance du selling out.
C’est ainsi que durant 5 ans de nombreux amateurs passionnés, clients du "Vin Passion" à Bruxelles, se sont vus privés de l’accès à ses produits. Le deuxième tri s'est ainsi lentement mais surement effectué.
Il semble aujourd’hui, que même la fréquence des visites aux journées portes ouvertes des cavistes soient mises à mal. J’en veux, pour exemple, et à ma connaissance, l’absence totale de visite en Belgique depuis 16 mois, soit l’impossibilité totale de pouvoir déguster 2 millésimes…
Jusqu’à ce jour, j’avais fermé les yeux sur tout cela et continué, contre vents et marée, à croire dans les vins d’Olivier Humbrecht, dépensant sans vergogne,lors de cette dernière année, une somme très peu raisonnable pour ce que je continuais à définir comme une forme d'art.
Mais récemment, par une toute petite phrase, Monsieur Humbrecht m’a bien fait comprendre, combien des gens comme moi n’avaient aucune importance.
Après avoir accepté l’idée d’accueillir le groupe de dégustation dont je faisais partie, moyennant, je l’accorde, certaines réserves, il ne lui a pas fallu 24 heures pour annuler cela, tout simplement « parce qu’il avait changé d’avis ».
Cela représentait pour nous la réalisation d’un rêve absolu et par son changement d’avis, Olivier Humbrecht a détruit notre rêve et a ramené brutalement mes pieds sur terre.
En cela, je l’en remercie. Combien de jeunes autres talents, pleins de fougue, je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer depuis lors.
Aujourd’hui, Monsieur Humbrecht, car c’est bien à vous que ceci s’adresse, je sens que votre but est proche : utiliser toutes vos qualités antérieures pour produire des vins « People » réservés à l’élite dont vous assurez jusqu’à la sélection, au mépris de toute forme de respect pour ceux qui, in fine, dégusteront vos vins.
Je vous souhaite énormément de chance dans votre entreprise, mais ce sera, désormais, sans moi.
Patrick Böttcher
Bruxelles