..et les Vaudois, alors?
Parmi le déluge de posts sur les (souvent excellents) vins de nos amis valaisans, voici un modeste contre-poids lémanique. J'avais mis de côté le supplément gastronomique de la Tribune de Genève du 4 septembre 2004 afin de le lire à tête reposée. En sujet principal, "Le canton de Vaud comme on ne l'avait encore jamais bu". Quatre pleines pages intéressantes, dont cinq portraits qu'il vaut la peine de résumer ici (avec quelques commentaires du sous-signé en sus):
1. Raymond Paccot - Domaine de la Colombe à Féchy.
"..il faut que les racines s'enfoncent profondément dans le sol, pour aller chercher la minéralité, dit-il. Car le vigneron de Féchy à un dada: le terroir. "A la limite, je me fous du cépage. Commençons par retrouver et magnifier le terroir. On verra ce qu'on y plande ensuite."
Tiens, il commence à m'intéresser.. le bonhomme
Paccot a opté depuis cinq ans pour une culture inspirée de la biodynamie. "..il a fallu se mettre à poil, faire table rase et tout réapprendre. Evidemment, les voisins m'ont d'abord pris pour une fou. Du genre: Dis donc, tu vas nous infecter avec tout ton fourbi! Et puis, certains se sont apreçus qu'avec du soufre, du cuivre et des tisanes, on pouvait arriver à quelque chose." Bel euphémisme. Paccot bat en brèche quelques idées préconcues, en particulier sur l'expressivité du Chasselas. On met ici son nez dans de vrais vins de terroir, nets, ciselés, entiers. Des vins comme on en a rarement produit dans ce coin de Suisse (pour moins de 12 Francs). Depuis des années, il a ajouté quelques cordes à son arc ampélographique. Du Chardonnay par exemple, dont il tire une cuvée réserve ébouriffante de fraîcheur et de densité. Mais aussi un sauvignon qui, en 2002, allie richesse, pureté et nervosité. Côté rouge, la maison mitonne deux belles cuvées: la première rassemble gamaret, garanoir, pinot et gamay en un vin gourmand et charnu, au style méridional. Quand à la seconde, uniquement composée de pinot noir, elle conjugue richesse de texture et élégance aromatique. De quoi fair pâlir plus d'un Bourguignon. Et le millésime 2003, qui dort encore en fûts, pourrait se montrer plus somptueux encore. Oui. A Féchy, Vaud, Suisse!
2. Raoul Cruchon - Echichens (près de Morges)
Il est à la base d'Arte Vitis, club ed vignerons vaudois et militants. Mais aussé promoteur de la renaissance du pinot servagnin et responsable du passage en biodynamie de quelques uns de ses confrères. Comme Paccot, Cruchon estime urgent de retrouver le terroir. "La chimie a uniformisé la viticulture et les goûts des consommateurs. Avec cette logique de vigne hors sol, on va dans le mur. Le Chasselas est le cépage qui a la plus longue histoire ici, mais il faut aussi coller aux demandes du public. Si tu n'évolues pas, tu finis par te retrouver en schlaps dans la rue, assis sur tes cartons avec tes théories.." (sic). Cruchon collectionne les spécialités: viognier, merlot, gewurtztraminer, gamaret, chardonnay, mais en gardant chasselas et Pinot noir en fil rouge de son domaine de 35 ha.
Plus loin.. "les chardonnays 2003, encore en fût, marient fraîcheur, expressivité et matière. Tout ça devrait donner des vins formidables. Pourtant, le patron n'est pas encore satisfait. "Un de nos enjeux pour les dix prochaines années, c'est de quitter les arômes variétaux, et de réaliser un grand chardonnay d'expression. Ou on y arrive, ou on arrache tout!".
Exigeant, le Monsieur..
Côté Pinot noir, avec la "Raissennaz", Cruchon tutoie carrément la Côte de Nuit. Profond, concentré, racé, il s'orne de tannins juteux et s'achève sur une longue finale sur le fruit noir.. Des pinots suisses de cette trempe, on les compte sur les doigts d'une main. Et encore..
Egalement un assemblage Merlot-cabernet qui mûrit en fût. Nez truffé et chocolaté, bouche puissante tout en rondeurs et en fruit mûr. Même totp avec la syrah, dont la race aromatique et la profondeur de corps promettent un fin formidable. Enfin, le gamay "ultimo", issu de vendanges tardives.. un vin épicé, confituré, "à déguster avec un sanglier l'hiver, au coin du feu"...
3. Henri Chollet - Domaine du Graboz à Aran
"..Henri Chollet à de gros favoris blancs, modèle Jules Ferry, et un air de franche bienveillance imprimé sur le visage. Il parle de ses vins, sans fausse modestie ni orgueil démesuré. Il parle aussi de ses vignes en terrasses, qui s'agrippent au coteau de Villette, sur six ha cultivés en production intégrée... Comme tous les as de la viticulture vaudoise, Chollet mise sur l'expression du terroir. Son crédo, c'est la fraîcheur. Pour préserver l'acidité, jamais ses vins blancs ne font la deuxième fermentation, dite malolactique... Dès lors, on ne s'étonne pas du caractère précis, élancé et digeste des blancs de Chollet. "Dans un millésime comme 2003, l'acidité est feintée par le gras" note-t-il en passant. Aucune de ses bouteilles ne démérite. Ni l'aérien Pinot blanc "La Petite Corniche", ni le superbe Sylvaner "Derrière les Fagots" issu de vignes plantées en 1920. Sans oublier un Chardonnay "Sous le Chêne", prometteur quoiqu'un brin fermé. Mais avouons-le, rarement on avait dégusté de Chasselas comme chez Chollet. Ce cépage, parfois si effacé et modeste, prend ici des ailes. Le voici devenu aromatique et élégant, friand et fougueux. Une métamorphose. Un tour de magie. Le vigneron produit plusieurs cuvées parcellaires de la "Dame Claire" au nez de poire et tilleul. Puis un "Vase 10" à la bouche longiligne et gourmande, s'achevant sur un long frisson minéral. Grand classe. Huit rouges: un gamay ample et juteux, un Pinot noir dense et ourlé de beaux tannins fins. Un Merlot, croquant et charnu. Ou encore une splendide Mondeuse "Le Vin de Bacouni" (18 francs), souple et structuré, aux entêtantes notes de cuir, de myrtilles et d'iris. On s'y noierait. Henri Chollet fait ausi partie de la grappe de viticulteurs qui ont sauvé le plant robert, une variété de gamay jugée pas assez productive. Il donne un vin noble et racé, au nez profond de fruits noirs, d'épices douces et de terre fraîche préludant une bouche grasse et tendue, à la finale vibrante. Tous ces vins sont vinifiés sous bois et ne seront disponibles qu'en novembre - pas longtemps car la demande est aussi longue que ses rouflaquettes!"
4. Maison Hammel - Fabio Penta à Rolle
"En 1995, Fabio Penta s'est vu confier par la Maison Hammel à Rolle, la création d'une série de cuvées de prestige... Avec une viticulture scrupuleuse, des rendements bridés, une vinification de pointe et quelque talent évidemment. Les Chardonnays, riches et boisés. Les rouges, puissants mais séducteurs. Et les vins doux, probablement les breuvages les plus ambitieux de la gamme, épatent les dégustateurs. Jamais encore sur Vaud on avait goûté des liquoreux de cette envergure. Les vendanges tardives de Penta offrent de formidables numéros de funambule entre richesse sucrée et acidité fruitée. Ce fameux équilibre, trop souvent absent ailleurs. Il faut ainsi goûter le malvoisie issu de vendanges tardives de pinot gris, du Clos de Châtelard" à Villeneuve, dont la belle fraîcheur s'habille d'une étourdissante gamme aromatique. Ou l'opulente mais étonnament digeste Abroisie du Domaine du Crochet à Mont sur Rolle, mariant un Chardonnay passerillé et un pinot gris concentré sur souche par une folle bise d'octobre. Cela dit, les rouges impressionnent aussi. Le Domaine du Crochet encore, avec son méridional Merlot 2002, qui offre une superbe matière veloutée après un nez de pruneau et cerise. Mieux encore, la cuvée Charles-Auguste 2002, assemblage dominé par le syrah dont la bouche tendue et serrée s'achève par une finale explosive sur le fruit cuit. Le millésime 2003, encore en fût, promet un vin plus classe encore..!
5. Domaine Dugon, Bofflens
"Sur les côtes de l'Orbe, parent pauvre de la vie viticole vaudoise, abrite un pionnier de ce terroir récemment redécouvert. Christian Dugon, qui, au fil des années est parvenu à inscrire Bofflens sur la carte des vins suises. Les siens sont droits et francs, sans vice ni chichi. "Il y a vraiment un micro-climat ici, bien plus sec qu'au bord du Léman" explique ce vigneron au verbe mesuré. "Chez nous, la terre a toujours été favorable aux rouges". Lui a misé sur le pinot noir, plutôt à son affaire en ce piémont jurassien, mais aussi sur les gamaret, garanoir, riesling, sylvaner et gewurztraminer. L'amateur de gamay devrait aller faire un tour chez Dugon, mûr et structuré, ou le gamay d'Arcenant - une sélection à l'ancienne un brin plus épicé et sauvage, qui surprend par la race, la plénitude et le dynamisme de sa bouche. Assemblé avec du Gamaret, garanoir et pinot en une "Grande ouche" expressive, ample et séduisante. Mais aussi en un "Arpège" des mêmes cépages, plus du .. cabernet-sauvignon! Solidement bâti, au fruité ample autant que généreux. Le premier vaut 12 francs. Le second 16. Qui disait que les vins suisses étaient chers?"
En espérant que cette petite ballade vaudoise, donnera à certains, l'envie de faire quelques détours sur le chemin du.. Valais!
Alain