Le vin du Tarn, c’est le Gaillac : du moins est-ce la vision actuelle que nous en avons. Cela n’a pas toujours été ainsi et le département fut à une époque couvert de vignes, dans un monde de polyculture. La réglementation administrative imposée par l’INAO (institut nationale des appellations d’origine), si elle a promu des terroirs qualitatifs a aussi limité les productions dans d’autres aires. Il est vrai également que le Phylloxera s’était déjà bien chargé de faire le ménage.
L’AOC Gaillac est clairement délimitée pour les vins blancs en 1938 et étendue aux vins rouges et rosés en 1970. Une zone bipartite si on ne prend pas le temps de regarder de près que le Tarn coupe en deux rive dissymétriques et de nature différentes : calcaire et argilo calcaire à droite et graveleuse à gauche. Mais c’est oublier que le vignoble de Gaillac est plus complexe et communément on convient d’ajouter le plateau cordais à ces terroirs qui se distingue des premières côtes qui regarde la rivière. Il est également admis que la rive gauche de graves convient mieux aux rouges et la rive droite aux blancs… Vous tous qui lisez ces lignes avez sans doutes bus autant de vins qui sont comme de contre-exemples frappants à cette volonté de classification désuète.
Dans la définition classique d’un terroir, il est possible de se mettre d’accord sur le fait qu’il s’agisse d’un « lieu » disposant d’un sol, d’un sous-sol, d’une altitude, d’un climat d’une pente et d’une exposition : et déjà, on comprend mieux la petitesse d’esprit de la classification binaire du terroir gaillacois. A cela s’ajoute ce qui est essentiel à la vie de ce terroir et aux résultats qu’il peut donner : la dimension humaine : à la fois historique et conjoncturelle. Historique, parce que l’homme ou les hommes qui se sont succédés ont pu modifier le terroir par la construction de terrasses, de murets séculaires ; ils ont pu aussi avoir une influence que la nature même du sol, le modifiant par la adjonction de pesticides, engrais naturels et moins naturels, par le choix des labours, du nombre de ceux-ci, de leur profondeur. Conjoncturelle parce qu’au quotidien, en fonction de plusieurs facteurs, qui peuvent être climatiques, économiques, qualitatifs, productivistes, le vigneron fait des choix, quant au travail du sol et du matériel végétal mais aussi dans son chai sur les interventions sur le vin en gestation jusqu’à sa commercialisation. Le choix même du ou des cépages, bien entendu est une décision et l’alchimie de l’assemblage et de l’élevage des jus vient encore ajouter à la complexité de tout ce qui précède. Les qualités du millésime (c'est-à-dire essentiellement climatiques) viennent en dehors des choix humains (même si ceux-ci peuvent et doivent s’y adapter) parachever l’imbroglio de circonstances qui jalonne l’identité de ce que nous retrouvons dans notre verre.
Tout cela pour en arriver à la conclusion suivante : la terre, la division administrative et le vin ne sont rien sans l’homme et un grand terroir dans les mains d’un mauvais artisan ne donnera jamais un grand vin. Aussi est-il très illusoire que d’avancer des qualités supposées à des appellations ou des concepts établis : « j’aime bien le Gaillac » « Je n’aime pas le Gaillac ». Ces phrases sons des non-sens. Imaginez ce que peux penser le parisien moyen qui achète une cuvée carte noire de Gaillac trouvée sur les linéaires de sa grande surface : s’il en tire des conclusions définitives (ce qu’il fait souvent), ces dernières sont terribles pour les vins d’ici. Mais allons plus loin encore : « la Gaillac, ça ne vieillit pas » : comment tirer de telles conclusions et surtout de telles généralités quand on a mesuré toute la diversité des critères qui peuvent influer ? Cela n’enlève rien à la définition ou à l’émergence d’une typicité, c'est-à-dire aux caractéristiques qui peuvent amener à définir le style des vins d’une appellation : appellation qui n’a, du reste, raison d’être que par le caractère commun aux vins que l’on y produit, que l’on peut et doit retrouver. Bien sûr, il reste à définir ce que peuvent être ces caractéristiques communes, cette typicité gaillacoise : ce quelque chose qui peut faire dire à un dégustateur qui boirait un vin sans en connaître l’origine : « ça, c’est du Gaillac ! ». Si pour d’autres appellations du Sud Ouest, cela pouvait être aisé jusqu’à il y a peu : Madiran, Cahors, Fronton, Marcillac, des appellations qui se sont concentrées sur un cépage en particulier, l’affaire est bien moins commode pour l’appellation Gaillac qui si elle possède des cépages qui lui sont propres, permet des assemblages avec d’autres bien moins ancrés géographiquement. Cela s’ajoute à la grande diversité des types de vins produits. (en dehors des Vins mutés, Gaillac est l’une des rares à les produire tous !) Si j’ai précisé plus haut que cela était vérifiable pour les appellations mentionnées, l’imparfait est employé à dessein : la volonté de produire des vins haut de gamme a tendance à gommer les particularismes. Quand d’ailleurs, l’un de ces particularismes tient dans la finale tannique à l’extrême que l’on essait de gommer comme à Madiran, la technique vient alors au secours de la standardisation.
Mais revenons à ce qui nous préoccupe : les uns et les autres. Je suis toujours un peu sidéré de voir en lisant la presse spécialisée quels sont les noms gaillacois qui ressortent le plus souvent : force est de constater que je ne retrouve pas mon tiercé gagnant. Alors d’où viennent ces dissensions ? J’ai tendance à croire qu’en plus d’être habile vigneron, il faut être grand communicateur. Au XXI ième siècle, la recherche de l’identité paysanne et sincère passe par la maîtrise des techniques du marketing. Quel paradoxe ! Les mêmes trois noms reviennent sans cesse, les même trois noms que l’on retrouve dans la cave la plus chic de Paris.
J’ai ouvert aujourd’hui un Ondenc sec du Domaine Plageoles du millésime 2007. Cépage identitaire s'il en est, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs qu'ici. C’est cher, c’est commun, sans âme avec de surcroît un manque de netteté aromatique. Quand je pense au travail de grande qualité qu’effectuent d’autres vignerons, heureusement pas toujours dans l’ombre, au moins dans ces colonnes, j’enrage un peu. Alors suffit-il de claironner, avec talent du reste, haut et fort que l’on fait du vrai, du beau, du pur, de l’original, du retour aux sources, avoir des relais médiatiques, être invité à la radio et à la télévision pour convaincre que l’on a raison ? J’ai tendance à penser que la vérité est dans le verre et je me rends compte d’ailleurs que les gens d’ici, finalement ont fait leur choix et ne se font guère berner. (sauf moi peut-être qui continue à goûter de temps en temps pour voir si je ne me trompe pas finalement !)