Visite à Vin & Pic, à Boisset Saint Priest (42), ex domaine Mondon-Demeure
L'automne est une belle saison: le temps se radoucit, les feuilles se colorent, la folie dans la vigne commence à se tarir...mais c'est également l'époque à laquelle les vignerons commencent à avoir un peu plus de temps à accorder aux clients, pour déguster, visiter, expliquer leur travail, leurs cuvées, leurs envies, leurs folies...Bref, un moment que j'attend avec impatience chaque année. Je commence donc cette série de visites par un domaine, pas le plus connu loin de là, mais sans doute pas le moins intéressant. Il se trouve à quelques kilomètres de chez moi, et je répare ainsi la faute de ne jamais avoir su prendre le temps d'aller à la rencontre des gens qui forment le GAEC du Pic...
Pierre Rolle, Christine et Laurent Demeure. En haut, les cuvées produites par le GAEC, à droite, le Pic de Saint Romain le Puy
Le GAEC du Pic est fondé en 1971 par Daniel et Fernand Mondon. Il s'agit du plus vieux Gaec de la Loire, et était initialement laitier. Très vite, ils se sont tourné vers la polyculture (lait, animaux,...tabac!!!), dont la vigne, à partir de 1974. Avec Stéphane Réal, ils replantent entre autre, le pic basaltique de Saint Romain le Puy, pour y planter du viognier (fin des années 90'). Suite à un refus de la coopérative des Côtes du Forez de reprendre leurs raisins, ils se lancent en tant qu'indépendant, épaulés par Christiane Mondon et Laurent Demeure au départ en retraite de Fernand (mais sans Stéphane Réal, qui prendra une route séparée). En avril 2013, Christiane et Daniel Mondon prennent une retraite bien méritée, Christine Demeure et Pierre Rolle rejoignent Laurent Demeure.
Le Gaec du Pic est la partie "exploitation" du désormais ex-domaine "Mondon-Demeure", et "
Vin & Pic
" est l'entité de commercialisation/vente.
A ce jour, le domaine travaille 10 ha, en propriété ou en location, avec des parcelles s'étendant sur 10 communes. On retrouve régulièrement des sols durs, basaltiques et acides, riches en Ca2+. Les rendements sont de l'ordre de 30-35 hL/ha. Un gros travail est fait à la vigne, en faisant abstraction de la chimie. Le but est d'être le plus propre possible. Les vendanges sont manuelles, les vinifications sont réalisées sans intrants, excepté une faible dose de soufre pour protection, à la mise. Le lien à la terre est fort, ici à Boisset, l'équipe se qualifiant d'ailleurs de
"paysan-vigneron", ce qui a une connotation très positive et qui pourrait renvoyer au labeur et à l'humilité, 2 caractéristiques qui leurs vont parfaitement. Ils ont d'ailleurs raison d'en être fier, cette qualification est d'ailleurs inscrite sur les étiquettes.
Je suis reçu, avec un de mes amis, par Pierre Rolle, oenologue de formation, pour une belle série de dégustation, et de nombreuses explications, toutes plus intéressantes les unes que les autres. Laurent Demeure, au sortir de la vigne, passera à la fin discuter quelques minutes également avec nous, notamment de la récente vidéo largement commentée d'Antonin Iommi-Ammunategui.
Pierre Rolle, (au doux nom de cépage, coincidence ou pas???
), est très attaché aux cépages classiques que sont le viognier, le chardonnay ou le gamay, mais également aux cépages hybrides (Seibel, Rava-6, Baco...), sous-valorisés, dénigrés et non-enseignés dans les écoles d'oenologie. Il en est devenu un fervent défenseur, et c'est un sujet qui lui tient visiblement à coeur. On remarquera dès lors que leur objectif est non seulement de faire des vins dont l'empreinte écologique est la meilleure possible, mais également redorer le blason de ces laissés pour compte, de leur rendre leurs lettres de noblesse. Ceci à pour conséquence pour le GAEC de produire essentiellement des vins hors AOC, par conséquent des Vins de France, y compris sur des parcelles qui pourraient y prétendre.
Département de la Loire, avec les communes rentrant dans l'aire d'appellation des Côtes du Forez (Violet), les communes sur lesquelles des parcelles sont cultivées par le GAEC du Pic (en bleu), et la commune de Boisset Saint Priest (en vert), siège social et village ou se trouve le caveau de dégustation.
La gamme est très large, avec 8 rouges, 7 blancs secs, 2 rosés, et 4 vins de desserts. Nous avons choisi de nous concentrer essentiellement sur les blancs. Nous goûterons aussi les hybrides en rouge. Voici l'étendue de la gamme, dans les images suivantes, avec les encépagements, et les lieux de production.
On remarquera le style graphique et la beauté des étiquettes. Celles-ci ont été dessinées par
Philippe Louisgrand
, ancien directeur des Beaux Arts de Saint Etienne.
Place désormais à la dégustation. Tout d'abord, les vins blancs secs:
VDF Nuyts 2016 (Chardonnay): On retrouve un nez de champagne, sur la prune, le raisin vert, un peu de fumé, et comme une légère sensation de gaz et de fruits secs. La bouche est tendue, avec un retour minéral, sur le gravier. C'est un peu court, mais c'est
Correct à Assez Bien.
VDF La Diana 2016 (Viognier):
La Diana est une société savante, historique et archéologique du Forez, basée à Montbrison, non loin de là. Les vignes sont situées sur la couronne supérieure du Pic de Saint Romain le Puy, et son louées à cette société savante.
On a un nez archétypal du viognier: abricot, violette, fleurs blanches. La bouche est très florale, sur la violette. On retrouve de la poire. Ce vin est assez tendu, et se conclue sur de fins amers, assez élégants.
Très Bien pour cette cuvée plutôt basée sur la finesse et l'élégance, qui fait un tabac en restauration, notamment.
VDF Aldebertus 2016 (Viognier): On est face à un nez un peu plus riche, exotique et exhubérant que la Diana. On retrouve de l'abricot, de la pêche, des fruits jaunes et exotiques. La bouche est également plus large, riche et charnue, avec quelques agrumes. Les amers sont un peu puissants et grillés en finale.
Bien à Très Bien, pour cette cuvée qui n'est pas encore totalement en place je pense, et qui méritera mieux dans quelques mois. C'est cette cuvée, facilement trouvable dans le Forez, qui m'a fait connaitre le domaine. Une sorte de Best Seller, qu'il faut savoir attendre quelques mois.
VDF Lie 2014 (Viognier):
Elle est élevée 8-9 mois en fûts bourguignons provenant de la maison Louis Latour (ardèche). Il s'agit d'une des rares (la seule,) cuvées qui voit le bois. Elle est produite à partir des déchets de vinification: bourbes + lies concentrées, qui sont filtrées. Le nez est fin et riche, sur les fruits jaunes. On retrouve une belle acidité, qui accompagne une bouche assez riche et dense, à connotation épicée: cannelle, poivre blanc. C'est très mûr, avec des fruits jaunes charnus, et se conclue de façon élégante et rafraîchissante sur de fines notes de zestes de pamplemousse.
Très Bien
VDF Rav par Six 2016 (Rava-6, Hybride): On a un nez de cassis, de fruits roues, avec un soupçon de gaz. Le fond d'une première bouteille est déviant, avec une bouche très amère, sur l'alcool de prune, le marc de raisin. Pierre Rolle nous en débouche une seconde immédiatement. La bouche ets tout de suite beaucoup plus équilibrée. On retrouve une belle acidité, avec des fruits blancs, de la poire et un peu de pain grillé. La finale est par contre un peu chaleureuse à mon goût.
Correct à Assez Bien
VDF Fort et Libre 2014 Magnum (assemblage de Viognier, Gewurztraminer et Chasselas, à flanc de coteau sur le Pic de Saint Romain le Puy): On est face à des fruits jaunes mûrs, de la rose, un peu de litchi, du gingembre et du pain d'épices. La bouche est assez ronde, avec un très léger voile de gras, et se conclue sur une finale très épicée.
Bien
Nous passons ensuite aux vins rouges, produits à partir de cépages hybrides.
VDF Seibel Rouge 2015 (Seibel 54-55, Hybride): On a un nez amylique, de prune. La bouche présente une acidité haute, presque mordante, avec une matière maigrelette, des tanins poudrés et une finale sèche. Je n'accroche pas, et je me demande bien ce que celà peu donner à la garde...
VDF Seibel Rouge 2012:
Pierre Rolle, face à ma moue quand au Seibel, va chercher un 2012 pour comparer. Effectivement, on retrouve un nez plus généreux et floral, sur la pivoine. La bouche est également plus ronde et un peu plus étoffée.
Correct à Assez Bien
VDF Bacco 2015 (Baco, Hybride): Le nez est plus musqué, avec un soupçon de cuir, de viande séchée, de pruneau et de cébette. La bouche est un peu terreuse, avec une sensation de fraîcheur et de vivacité dû à une acidité probablement assez marquée, se révélant par des notes d'agrumes frais, de groseille.
Correct à Assez Bien
Nous terminons par des vins de dessert:
VDF Gouïs (Viognier 70%, Chardonnay 30%): Le nez est sur la pêche melba, la crème pâtissière, la fraise. C'est hyperdigeste en bouche, assez cristallin, avec juste un peu d'exotisme, de poire william's. On a environ une vingtaine de grammes de sucres résiduels.
Très Bien
VDF Cluya 2015 (Assemblage de Gewurztraminer et de viognier, passerillé dans un ancien séchoir à tabac): On a un nez typique de gewurztraminer. On retrouve une belle acidité en bouche, du pain d'épices, du gras et un peu d'opulence, des fruits jaunes confits. C'est moyennement long, on a environ 45-50 grammes de sucres résiduels.
Très Bien
VDF Cluya (rouge) 2014 (Gamay, Seibel 54-55, Hybride): On a un nez de rancio, de noix, de tabac, une pointe de chocolat. La bouche est tonique, avec une grosse acidité. On retrouve des baies rouges et noires, confites, avec de la cerise amarena et de la fraise. On a également 45-50 grammes de sucres résiduels.
Correct à Assez Bien
Quelques achats pour clore ces presque 2 heures au caveau, avant de rentrer à la maison. Merci infiniment à Pierre Rolle, passionné, modeste, qui a une ligne de conduite précise, tant à la vigne qu'au chai. Merci pour ce temps accordé, pour les explications et les partis pris, mais toujours modérés par un certain recul et une sagesse exemplaire, qui rendent cette aventure forézienne pleine d'humilité.
A titre personnel, je ne connaissais que trop peu les vins du GAEC. Les quelques rouges, hybrides, m'ont paru être des vins assez faciles, mais peu consensuels, pour lesquels je n'ai pas eu de coup de coeur. Par contre, il en est tout autre des vins blancs. Ceux-ci (secs et moëlleux) m'ont fait forte impression, avec en particulier des viogniers assez équilibrés, plutôt fins et élancés, avec une acidité suffisante pour ne pas les rendre trop mous et entêtants, écueil que n'arrive pas à dépasser bons nombre de vins issus de ce cépage.
Au total, il est clair que je vais essayer de me rendre de façon un peu plus régulière au domaine, et je ne peux que vous encourager à le faire également, pour connaitre des vins originaux, mais également des personnes attachantes et passionnées, avec qui les mots dialogue et partage prennent tout leur sens.