De retour du Priorat où j’ai passé une petite semaine avec quelques amis, à visiter, déguster et papoter autour du vin, je me permets un petit retour en arrière... Il y a un peu moins d’un an, un petit débat s’était ouvert entre Hervé Bizeul et moi-même à propos du Priorat.
Je reprends quelques citations d’Hervé pour recadrer le débat :
« [au sujet] des clones de grenache plantés par les industriels et autres investisseurs qui défrichent la région à coup de bulldozer, permet moi alors de te mettre un peu face à tes contradictions : un clone de Grenache venant du Rhône, planté dans une terre bouleversée, à la cinquième feuille, il exprime déjà "le terroir" du Priorat ? On doit pas parler de la même chose... Ni goûter les mêmes Priorat. Y va tu souvent, au fait ? [si] on prend en compte les travaux colossaux du bon Torres depuis, dont les vidéos, à Vinexpo, faisaient froid dans le dos, avec un mélange de moines et de bull... Le résultat, n'en parlons pas... Cher Ju, je suis un peu condescendant, pardon, parce que si tu va dans le Priorat et que tu ne vois pas les terrasses faites au bull (toutes les plantations depuis 20 ans, à de rares exceptions près) c'est pas des lunettes, qu'il te faut, c'est un chien ;-). Et tous les domaines cultes s'y sont mis, d'ailleurs, sans exception, parce que […] c'est le seul moyen de cultiver la vigne en montagne... Tu devrais faire un tour en voiture avec René Barbier, dans ses vignes et ailleurs... »
On peut lire aussi :
« moins de mille hectares en 2000 ; 1600 en 2003. A mon avis, toutes les vignes ne doivent pas être très vieilles»
Si je relance le débat aujourd’hui, c’est parce que je crois ces propos complètement ineptes et faux (et je pèse mes mots). La région mérite mieux, elle mérite tout simplement que l’on parle d’elle de manière objective, vraie et non dénaturée arrogante. Je me propose ici en avocat, elle le mérite bien !
- Le premier point sur lequel je voudrais revenir est le terrassement de la montagne.
Les techniques au bull ont été interdites il y a de nombreuses années maintenant pour les raisons qui semblent évidentes. J’ai questionné René Barbié à ce sujet, il m’a informé que ces techniques peu de temps après leur arrivée (et ce fort heureusement) avaient été interdites pour des raisons environnementales. Alors certes, il existe des moyens plus efficaces que la barre à mine, la pelle et la brouette, employés auparavant, mais ces moyens plus « modernes » sont bien plus respectueux du terroir, que ce qu’avance Hervé ci avant.
En faisant un tour du Clos Mogador, non loin de Gratallops, une seule parcelle (assez petite) dans l’ensemble du paysage présentait un relief bulldozé... Cela offre une vision d’horreur, mais fort heureusement, elle reste très largement minoritaire.
- Ensuite, l’age des vignes et l’expression du terroir.
En effet, la culture de la vigne a connu dans le Priorat, un passage à vide très fort, puis une recrudescence importante. L’arrachage puis la replantation de la vigne, donnent le profil de production vallonné de cette agriculture. Ceci étant, bien des vins sont issus de vignes anciennes et il est faux d’écrire que la production en vin est corrélable à la surface plantée en vigne. Je m’explique... L’exemple de Ferrer Bobet est idéal pour préciser ma pensée. Cette propriété compte actuellement plus de 60 hectares dont 30 hectares de vigne. Il s’agit là de vignes jeunes, de la syrah en majorité (dont les pieds ont environ 5 et 6 ans), des vignes dont la jeune existence permet à Hervé de critiquer l’expression du terroir dans le vin. En effet, il est difficile de voire des vignes si jeunes plonger leurs racines en profondeur et ainsi exprimer le terroir qui les soutient pour en faire un brand vin. Sauf qu’une bouteille de Ferrer bobet ne présente pas de syrah... Mince alors ! Mais que ce passe-t-il ?
Ils achètent les raisins, de la Grenache et du Carignan, comme le fait Alvaro Palacio pour son Ermita... Les propriétaires ont conscience de la qualité de leur Syrah et ne la mettent pas dans le vin. Voici 30 hectares de vigne à soustraire aux chiffres avancés ci-dessus... Croyez-vous que cette propriété soit la seule à agir ainsi ??? Combien de propriétés voient leurs surfaces croître ??? Regardez la valeur de la production en vin des différentes propriétés, vous vous rendrez bien compte que cette dernière ne va pas parallèlement crescendo... Les 40 hectares que Ferrer Bobet n’exploit pas encore seront très certainement plantés dans les années à venir, faisant grimper les chiffres de la plantation, mais pas ceux de la production qualitative !!!
Les raisins issus de vignes jeunes sont en général commercialisés par les propriétés à des coopératives faisant des vins de table pas chers et corrects. N’en faut-il pas ? Alors certes la production en vin augmente, il va sans dire. Dans le Priorat, la politique qualitative est comparable à celle du Bordelais ou de tout autre vignoble. Certains veulent produire plus pour gagner plus et ne pas se prendre la tête avec les histoire de terroir, de lune, etc. Cette production n’est pas qualitative, elle permet la vente de vins de marques de qualité acceptable mais nullement représentative du potentiel du site. C’est un peu comme faire du Bordeaux sur un terroir calcaire de Saint-Emilion...
- Enfin, l’age des vignes et l’expression du terroir qui en découle n’est pas comparable au bordelais ou au Rhône. Lors de la visite de la « Bodegas Mas Alta » et suite à des discussions avec leur œnologue, ce dernier partageait son étonnement relatif à la rapide expansion des racines. Cette grosse propriété (qui soit dit en passant fait certainement l’un des meilleur vins du Priorat), dispose de moyens financiers importants, lui permettant différentes analyses, dont des coupes géologiques pour étudier le terroir et le développement des racines. Il fut stupéfait d’observer de jeunes plans de 5 ou 6 ans plonger leurs racines à plus de 6 mètres de profondeur... Une dégustation ensuite faite à la barrique, d’un vin issu des jeunes vignes, suffit à vous ôter l’idée de critiquer la potentiel du site... C’est tout simplement magnifique !
Bref, l’on peut écrire des pages pour présenter cette région viticole, pour venter ses mérites. On peut aussi écrire pour la démonter, la descendre. J’en suis un peu tombé amoureux pour différentes raisons, voilà pourquoi je tenais juste à faire cette petite « mise au poing ».
La relecture du post d’Hervé et notamment de ces quelques lignes ci-dessous a motivé ma plume :
« P.S. : pardon pour l'humour et le soupçon de condescendance, mais après tant de certitudes balancées avec tant d'aplomb, fallait un peu t'y attendre. tu voulais débattre, et bien débattons. »
Faisons ici un peu moins dans la forme pour mieux privilégier le fond s'il vous plait.
Cordialement,
JU