Une magnifique dégustation que celle à laquelle j'ai été convié par Julien ce dimanche, le même Julien que celui que les Belges participant aux DBA connaissent bien, le même qui avait déjà organisé l'an dernier une dégustation reprenant les Premiers Crus classés du Médoc, Cheval Blanc et Sociando-Mallet dans le millésime 1999. Cette fois-ci, le programme était tout aussi prestigieux, tout en étant plus éclectique au niveau du choix des millésimes, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Accrochez-vous, c'est parti !
Les Arums de Lagrange 2000, 2001 et 2002
Comme mise en bouche, j'ai le plaisir de goûter à 3 millésimes de cette cuvée que je n'avais jamais dégusté auparavant. De production relativement confidentielle, du moins si on s'en réfère à celle du rouge, ce vin bénéficie de l'AOC Bordeaux. 4 hectares plantés en sauvignon (60 %), sémillon (30 %) et muscadelle (10 %).
Le 2000, à la robe jaune or brillante, est très typé sauvignon avec des arômes de bourgeon de cassis et de pamplemousse, un côté fumé assez maqué et un peu d'épices. En bouche, il semble très bien équilibré, avec une belle attaque, pas trop de gras et une belle longueur. Très beau.
Avec le 2001, on monte encore en qualité. Plus jeune de robe, il se présente un peu moins fumé au nez, mais plus fruité (pêche, abricot) et plus minéral, alors que le boisé reste discret. En bouche, il est en même temps plus gras et plus acide, avec un équilibre superbe, placé un cran plus haut que le précédent. La longueur est elle aussi plus imposante et finit de me convaincre que je me trouve devant un superbe vin.
Le 2002 présente une robe moins intense et un nez mûr sur le pamplemousse, moins fumé et moins minéral, avec un élevage plus présent à ce stade. La bouche montre beaucoup de gras, une belle acidité, mais moins de longueur que le précédent. Un peu dopé par son élevage qui le rend très plaisant à l'heure actuelle, je ne suis pas certain que sur le long terme, il tiendra aussi bien la route que le 2001.
Château Margaux 1978
Première expérience en ce qui me concerne avec un Premier Cru Classé censé être à maturité, et véritable coup de maître ! Il s'agit manifestement d'une bouteille très bien conservée, avec un niveau superbe pour l'âge, dans le bas du goulot.
La robe étonne par sa profondeur, alors que les reflets légèrement tuilés trahissent son âge. Le nez est phénoménal ! Difficile à décrire, tant la sensation de fondu est superbe, avec une harmonie et une élégance remarquables. On y décèle toujours un magnifique fruité très mûr, du cèdre, du tabac, du cuir, des notes d'humus, mais l'énumération simple de ces arômes ne saurait à elle seule rendre compte de la complexité et du plaisir apporté par le nez, que personne ne peut décoller de son verre. En bouche, l'attaque est souple puis le vin monte en puissance tout en conservant une très belle finesse, et finit sur des tannins encore étonnamment présents. L'équilibre est superbe, mais ce qui frappe le plus, c'est l'immensité de la longueur, vraiment impressionnante, sans doute la plus belle parmi les vins rouges à maturité que j'ai pu déguster à ce jour. Au total, un vin quasiment parfait auquel il ne manque qu'un peu de fondu dans les tannins, et qui restera longtemps gravé dans ma mémoire.
Château Cheval Blanc 1988
La robe est un peu moins intense que celle du Margaux 1978, mais est par contre tout aussi évoluée. Le nez paraît assez muet au départ, surtout en comparaison avec le précédent, mais se révèle à l'agitation sur des notes plutôt discrètes mais très élégantes de fruits rouges et noirs, de pivoine, de sous-bois, de morilles, d'épices (cannelle, réglisse) et surtout une magnifique minéralité. En bouche, l'attaque est vive, la finesse tout à fait remarquable, les tannins sont présents mais d'un superbe toucher, et l'équilibre me semble proche de la perfection. Quant à la longueur, quoique tout à fait respectable, bien au-delà des trente secondes, elle n'arrive cependant pas à la hauteur de celle du Margaux 1978, et c'est ce qui fait à mon sens toute la différence entre ces deux magnifiques vins.
Château Sociando-Mallet 1990
La robe est brillante, noire, encore très jeune avec ses reflets rubis. Le nez est très charmeur, sur le cassis, les notes de torréfaction, la réglisse, le cuir, le tabac, le sang de bÅ“uf, mais également des notes de poivron qui apparaissent après une longue aération. La bouche est ample, avec beaucoup de volume, de la puissance, un très bel équilibre et une grande longueur. Tout cela aurait été parfait s'il n'avait pas été précédé par deux vins d'une classe manifestement nettement supérieure, et qui par leur longueur, replacent un vin que j'aurais adoré en toute autre circonstance au rang de simple faire-valoir.
Château Haut-Brion 1994
La robe est moyennement soutenue, brillante, aux reflets grenats. Le nez est très élégant, sur de typiques arômes fumés, les fruits noirs, le tabac, le café, avec un élevage très bien intégré, bien mieux qu'il y a quelques années quand j'avais eu la chance de le déguster pour la première fois. En bouche, l'attaque est vive, puissance et finesse sont magnifiquement conjugués, mais les tannins sont encore très présents, à la limite de l'agressivité. La longueur est quant à elle d'un excellent niveau. Très bon vin dans l'absolu, mais qui n'a à mon sens pas pu éviter complètement le défaut inhérent au millésime, à savoir une petite sécheresse des tannins qui aura sans doute du mal à disparaître au vieillissement. Certains diront peut-être que c'est faire un peu la fine bouche, mais avec un vin de ce prix, cela me semble justifié.
Château Mouton Rothschild 1998
La robe est profonde, brillante, encore très jeune avec des reflets violets. Le nez est très torréfié, clairement dominé par son élevage à ce stade, mais avec néanmoins de belles notes de fruits noirs, un côté sanguin, une belle minéralité, ainsi que des notes mentholées et de poudre de riz. En bouche, le vin se montre magnifiquement équilibré, plus puissant que fin à ce stade, avec une très belle longueur. Très beau vin au potentiel important, qu'il serait dommage d'ouvrir avant une bonne dizaine d'années pour ceux qui ont la chance d'en posséder une ou plusieurs bouteilles.
Château d'Yquem 1993
La robe est d'un or intense, avec un début d'évolution vers l'orangé. Au nez, se mêlent les notes de cire, d'agrumes confits, de fruits exotiques, de vanille et d'épices. En bouche, la liqueur est imposante, bien équilibrée par l'acidité, qui n'est néanmoins pas aussi tranchante que dans certains autres millésimes que j'ai eu la chance de déguster. Il parvient tout de même à éviter la sensation un peu pâteuse souvent ressentie dans les sauternes issus de millésimes moyens. La longueur est très belle, mais ici non plus, elle n'atteint pas les sommets. Au final, certainement pas un grand Yquem, mais un Yquem tout de même, soit du plaisir à l'état brut.
Il ne me reste qu'à remercier Julien pour avoir organisé cette magnifique dégustation, sans aucune fausse note, avec des vins qui vont de l'excellent au sublime, et un vin qui je pense a fait l'unanimité, à savoir le Margaux 1978. Celui-là , je ne suis pas prêt de l'oublier…
Luc