Comme il faut un avocat du diable, permettez moi de jouer ce rôle sur ce sujet si délicat, tant les propos ci-dessus sont frappés du bon sens.
Néanmoins (un article que j'ai écrit en 2001)…
"Cela fait plus de dix ans qu'on se lamente sur les augmentations sensibles, et sur la dernière explosion du millésime 2000 où on a constaté des augmentations de plus de 70 %.
Toujours prête à défendre le consommateur, la presse s'engouffre un peu vite dans la désignation, comme coupable, du producteur. Les choses sont un tantinet plus complexes.
A la base, il y a incontestablement la qualité du millésime qui peut justifier une augmentation de prix (dans la mesure où, quand l'année est moyenne ou faible, on assiste à un mouvement opposé). Si les 2/3 des grands gourous du vin (Parker, Suckling, Bettane) décrètent l'excellence de la récolte et ensuite donnent des notes superlatives aux crus mythiques, comment s'étonner que le producteur ne veuille profiter de cette promotion gratuite et optimiser ainsi son travail et ses investissements ?
En économie libérale - et il est très étonnant que dans le domaine du vin, il faille répéter ces principes de base - un prix s'établit peu ou prou au croisement de l'offre et de la demande. Pour quelles raisons économiques voudrait-on qu'un propriétaire sous-estime ses produits et fasse un cadeau au consommateur ? Croit-on que lorsqu'il va acquérir de nouvelles parcelles, le vendeur lui fasse des conditions spéciales, parce que ci, parce que cela ?
On retrouve le même raisonnement pour le négociant : il doit lui aussi maximiser ses revenus, sinon ses actionnaires peuvent légitimement le blâmer. Ici, la tâche se complique dans la mesure où, s'il veut garder de bonnes allocations de grands vins pour le futur, il doit un peu plier l'échine devant le diktat du propriétaire et ne pas prendre des marges trop généreuses pour ne pas être “puni†l'année suivante. Sa position n'est guère facile, d'autant plus qu'à un tel niveau de prix, il ne peut plus jouer son rôle, pourtant fondamental, de “gardien†de vieux millésimes. Il a tout intérêt, financièrement parlant, à passer la “patate chaude†au suivant.
On l'aura compris : l'élément perturbateur, le responsable est et demeure le spéculateur. Sur de simples indications de dégustations de vins non achevés, en début d'élevage, parfois “travaillés†pour recueillir une bonne presse, le spéculateur (celui qui achète pour revendre avec profit) précipite ses commandes, oublie parfois les 19.6 % de TVA qui grèveront son coût, et justifie les politiques douteuses de pénurie que ne manquent pas de mettre en place certaines propriétés.
Ce perturbateur du marché qui pense vendre à plusieurs fois le prix de sortie ses achats « primeurs » risque de tomber sur un marché où les acheteurs classiques ont déjà satisfait leurs besoins et où les autres amateurs moins fortunés ne pourront pas payer le prix demandé. Cela les mènera tout droit, comme on l'a déjà constaté dans le passé, à réduire sérieusement leurs prétentions, même parfois à vendre sous le prix d'achat.
Allons plus loin dans la défense de la production : parmi les meilleurs producteurs en France, on peut citer des dizaines de noms de propriétaires qui, constamment, vendent leurs vins en-dessous du prix du marché. Seraient-ils en SA avec des assemblées d'actionnaires, il y a fort à parier qu'ils se feraient vertement tancés. A la noblesse d'un Anthony Barton (Léoville-Barton) qui, en bas de bilan, a eu un “manque à gagner†au bas mot de plusieurs millions de francs en n'augmentant pratiquement pas ses prix, répond la fidélité à une ancienne clientèle de vignerons comme Coche-Dury, Denis Mortet, Claude Dugat dont la qualité exceptionnelle des vins leur permettrait facilement de s'aligner sur les prix des domaines prestigieux comme le domaine Leroy, sans pour autant perdre une seule vente. Que dire de ces clients fidèles, jouant sur l'affectif d'anciennes relations, qui en profitent pour revendre dès le lendemain leur allocation annuelle au double sinon au triple du prix, à des maisons de négoce à Londres qui manquent toujours de ces joyaux du vignoble français?
Il faut remettre le vrai débat à sa place, et demander aux gourous de ne pas jouer les pompiers pyromanes .
Qui boira ces vins à plus de 1.000 FF la bouteille ? Et surtout dans quel esprit ?
Autre effet néfaste de cette distorsion économique : le monde des petites appellations bordelaises (graves, bordeaux supérieur, vins de côtes) a un mal fou à vendre sa production, même à des prix inférieur à 20 FF la bouteille : le négoce, trop sensible aux marges pharamineuses qu'il dégage des grands crus, néglige cette base de la pyramide pourtant essentielle à la survie du bordelais.
Amateur : cherchez bien, il y a des joyaux du millésime 2000, aussi bien dans les grands crus que dans les appellations plus modestes, qui sont proposés à des prix corrects. Ils ne sont pas sous les feux des médias, mais ils attendent votre perspicacité !"
Je rajoute simplement : si la propriété ne cherche pas l'optimisation de son prix (je ne dis pas la maximisation), soyez certain qu'en aval,on ne manquera pas de prendre les marges disponibles.
Le problème est simplissime : on fait, dans le monde 30 M d'hecto en trop et le mode devie, les principes de précaution etc. ne vont que pousser cela dans le sens d'une moindre consommation.
Une seule porte de sortie : la qualité.