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la cuisine peut être un art. Un exemple

  • François Audouze
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la cuisine peut être un art. Un exemple a été créé par François Audouze

Comme je suis plus motivé à raconter de belles anecdotes que de me batailler, je vais raconter une expérience passionnante à laquelle j'ai été associé.
Et ce sera l'occasion pour montrer à Jérôme qu'ayant la chance de côtoyer ce jour là des gens illustres, j'ai ouvert un Langoiran 1929, un Mayne-Bert 1939 et un vin sans étiquette que Jacques Puisais a situé comme un Barsac 1933.
ça ne fait franchement pas étalage de vins de prestige. Je confirme ce que je dis : tous les vins, tous, m'intéressent.

Voici cette histoire qui est en plus un hommage à Alain Senderens.

Au déjeuner récent avec Alain Senderens, j’avais indiqué que l’association la plus magique avec un foie gras était un Langoiran 1949. Alain Senderens avait pris la balle au bond et m’a invité à une séance de travail sur le thème du foie gras. Le huis clos serait couvert par le secret, mais comme je raconte mon périple en gastronomie, je ne pense nuire à personne en citant la tablée de quatre : Alain Senderens, Jacques Puisais qui, en matière de goût, est « la » référence, Jean-Pierre Perrin, le propriétaire de Beaucastel, et moi-même. Une fiche d’analyse pour noter nos impressions, des assiettes où l’on a marqué au feutre les noms des produits. Et voilà la studieuse assemblée qui travaille.
On commence par une Manzanilla Bias qui, contrairement au sens commun, se développe plus avec un calamar fourré qu’avec du jabugo pour lequel elle serait normalement faite. L’arête d’anchois, seule comme une virgule sur le plat, est un petit plaisir d’esthétisme. Et sa structure salée et croquante provoque la Manzanilla.
Plutôt que de faire part de mes impressions, je vais rapporter ce repas en posant des questions :
Pourquoi un toast met en valeur une truffe blanche et pas une truffe brune ? Pourquoi une truffe en lamelle n’apporte rien à un foie ? Pourquoi l’ail ne va qu’au foie d’oie et pas au foie de canard ? Pourquoi un pain à l’ail n’a aucun intérêt ? Pourquoi une brioche à l’ail n’agit que sur des foies chauds ? Pourquoi une feuille de chou chaude met en valeur la texture ferme d’un foie de canard alors qu’elle n’ajoute rien à un foie d’oie ? Pourquoi le foie d’oie chaud me plaisait alors qu’il ne plaisait pas à mes labadens ? Pourquoi la polenta fait respirer la truffe brune et pas la blanche, alors que la blanche se goûte mieux ?
Pourquoi seul le pain Poilane fonctionne en toute circonstance ?
Je venais d’entrer dans un monde d’invraisemblables interrogations, et je prenais conscience que des différences anodines donnent soit un accord parfait, soit une platitude extrême, et ma question est : pourquoi ?
Et une autre question me vient : Alain Senderens a créé le foie gras au chou il y a plusieurs décennies. J’en ai été stupéfait du temps où l’Archestrate était son repaire.
Pourquoi explore-t-il toujours ce sujet ? On dirait Picasso qui essayerait de réinventer la peinture à chaque nouvelle toile. Cela force l’admiration.
Venons-en maintenant au chapitre des vins. Alain avait ouvert un Jurançon de Cauhapé 1996 et un Jurançon de Cauhapé 1988. A l’opposé l’un de l’autre. Le 88 n’est pas ouvert, et cherche à se structurer. Le 96 est déjà trop accompli, trop Sauternes.
Le 96 est inadapté aux foies froids. Trop de puissance, comme les Sauternes qui tuent les foies. Il n’existe qu’avec les foies chauds et avec l’oie seule. Le 88 existe bien avec les foies froids, plus ils sont simples. Et « mon » Langoiran, que j’avais ouvert la veille vers 23 heures et laissé en cave toute la nuit ouvert, puis rebouché le matin était une pure merveille dans tous les cas. Une chose me fait plaisir : j’appelle mon Langoiran un 49, mais dans le bulletin 23, je mettais en doute cette datation, hasardant qu’il pourrait être de 29. Jacques Puisais m’a dit : « votre Langoiran est plus vieux. Je verrais bien 1929 ». Nous nous sommes retrouvés à un autre moment.
Entre temps, lorsque les truffes ont été essayées sur une polenta, j’ai immédiatement proposé un Château Meyne-Bert Haut Barsac 1939 que j’avais ouvert la veille et apporté pour cette séance de travail dans ma petite musette. L’accord était magique.
Pour ne pas être en reste, Alain Senderens a ouvert un Château Loubens 1943, qui est apparu dans les mêmes registres que le Haut Barsac, avec peut-être un peu plus d’épices et de concentration. Un vin merveilleux dès que les plats se compliquent.
Deux Portos ont été ouverts. Très chaleureux, mais décidément très lourds et difficiles à supporter en charge alcoolique.
L’ouverture d’un vin rouge, juste pour voir, a confirmé qu’il ne fallait surtout pas y toucher : c’était hors sujet.
L’ambiance étant au plaisir, j’ai ouvert une bouteille inconnue pour moi, sans étiquette, et sans aucun signe sur la magnifique capsule au doré citronné vert. La couleur du vin est magiquement dorée, comme une mangue bien mûre. Parfum magnifique et saveur rare. Jacques Puisais a reconnu un Barsac et nous étions d’accord. J’ai suggéré 1933, et nous étions d’accord, Jacques me disant que ce ne pouvait être que cette année là. J’ai pu faire vivre une de ces bouteilles sans nom que je ramasse au gré de mes achats.
Avec des écorces d’orange, des mariages de rêve.
Il est intéressant de voir comment chacun se comporte. Je m’intégrais dans un groupe de complices déjà formé. J’avais donc plus à écouter, mais je crois que l’on m’a écouté aussi, quand j’ai parlé de quelques perspectives historiques sur les périodes qui s’expriment le mieux aujourd’hui. J’ai pu exposer mon concept de vin éternel.
Jean-Pierre Perrin est le plus expéditif, et ne s’embarrasse pas de précautions oratoires. Il n’aimait pas les truffes sous certaines formes et l’a dit. Il a un palais affirmé et juste, même si volontiers critique. Jacques Puisais a un sens poétique extrême et était d’une humeur joviale, trouvant de la sensualité dans certains accords. On le voyait errer au milieu des giroflées sauvages. Il dissèque les composantes des goûts avec une précision chirurgicale. Et on sent Alain Senderens en recherche permanente, infatigable.
Je n’imaginais pas que l’on puisse faire apparaître des différences là où je n’aurais vu que des nuances, et qu’on puisse procéder à de vraies exclusions, alors que mon palais serait plutôt accueillant à tous les essais.
J’ai aussi eu confirmation que mes vins, dans leur état et avec leur ouverture précoce, donnaient des associations qu’aucun vin moderne ne peut apporter. Un moment de vraie communion gastronomique qui, je l’espère en appelle bien d’autres.
Un ami à qui je racontai ces folles aventures me dit : alors, maintenant, c’en est fini avec Guy Savoy, tu ne jures plus que par Alain Senderens. Je lui ai répondu que je suis comme Joséphine Baker, j’ai deux amours, mais que je suis prêt à aller largement au delà de Joséphine Baker …..


Cordialement,
François Audouze
03 Jan 2006 17:31 #1

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Réponse de RaymondM sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

"Pourquoi seul le pain Poilane fonctionne en toute circonstance ? "

Je vous conseille le pain au levain de mon petit boulanger , vous n'en voudrez plus d'autre à table . Mais peut être pas en toute circonstance:)

"Deux Portos ont été ouverts. Très chaleureux, mais décidément très lourds et difficiles à supporter en charge alcoolique. "

Pas faciles à placer dans un repas à cause de ça !
03 Jan 2006 23:38 #2

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

Ce qui est amusant, c'est que j'ai à peu près la même vision du pain : je préfère dix fois la très bonne baguette de mon boulanger à tous ces pains compliqués qu'on s'acharne à me proposer dans des restaurants.

Dans le contexte, je n'avais pas le choix des pains, puisque tout dépendait d'Alain Senderens, mais j'ai vu (tout en n'étant pas du tout un accro à ce pain) que dans cet "atelier", le pain Poilâne marchait, alors qu'on n'arrêtait pas de faire des exclusions sur des tas d'autres accompagnements.

Ce qui est impressionnant, c'est l'envie d'étudier d'Alain Senderens. Il a tous ses sens en éveil, tout le temps.

Je suis allé quelques mois plus tard chez Jean Pierre Perrin à Beaucastel, et nous avons fait un repas avec un nombre invraisemblable de plats, pour tester des accords avec ses vins. Nous étions tous les deux, et un chef suivait nos remarques. Si ça intéresse certains, je peux le raconter.

C'est assez passionnant de s'intéresser à ces sujets. Car le vin sera toujours mis en valeur quand un plat est exactement adapté à lui.


Cordialement,
François Audouze
04 Jan 2006 18:50 #3

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Réponse de bouhi sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

François,

Une rubrique devrait t'être consacrée : il me semble que je me rappelle un post à ce sujet, certes moins détaillé que les autres (je plaisante...)

rubrique Rhone puis "visite à Beaucastel" datant du 17 octobre 2005 à 0 H 16.

(rechercher la dernière intervention le 18/10/2005, sur la 4ème page pour le moment)

François
04 Jan 2006 20:12 #4

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

A mon âge, on est forcément gâteux.

J'ai quand même essayé de faire autre chose que de me batailler, en racontant cette belle aventure.
On peut la lire en pensant que je fais du Stephane Bern ou, si on est plus ouvert, que j'ajoute à notre connaissance commune quelques pistes sur des accords mets et vins.


Cordialement,
François Audouze
05 Jan 2006 22:11 #5

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Réponse de bouhi sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

M. Audouze, (vu ma signature, je ne mets pas "François")

Et oui... moi j'entre à peine dans la vie active !

J'ai parfois l'occasion de boire des vins de 20-35 ans mais plus vieux, c'est à dire ancien, cela reste rare (trop). Et les accords à table avec des vins de 30 ans, ce n'est pas évident.

L'un des meilleurs exemples pour moi, c'est le bourgogne rouge presque tuilé, que l'on sert souvent avec le plateau de fromage. Le brie le "détruit", le munster (ou autres maroilles) je n'en parlerais même pas).

J'ai eu l'occasion de participer à un dîner l'an dernier, avec du chinon de l'apéritif au dessert, du jeune et du moins jeune (de 2003 à 1976) : c'est toute une culture et le chef aux cuisines avait fait merveille. Vous faîtes un cours sur les erreurs à éviter ?

François.
05 Jan 2006 22:48 #6

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

Ce que je m'amuse à faire, c'est de vérifier la pertinence de choix qui sont le contraire de ce qui a été professé.
J'ai mis trois fois Pétrus à mes dîners. les trois fois, j'ai eu la chance que le chef accepte que ce soit sur des rougets.
J'évite les fromages dans mes dîners, car ils gâchent les vins très anciens. je ne mets que des pâtes persillées sur des liquoreux.
La recherche d'accords nouveaux me plait : un Montrachet sur un col vert, ça interpelle, mais c'est follement excitant.


Cordialement,
François Audouze
05 Jan 2006 23:44 #7

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Réponse de bouhi sur le sujet Re: la cuisine peut être un art. Un exemple

Ah oui, ça, c'est curieux...

Le col vert, à classer du côté des gibiers, avec du blanc. L'accord doit être spécial.

François
06 Jan 2006 17:20 #8

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