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cuisses de grenouilles et Haut-Brion blanc 1955 et autres..

  • François Audouze
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Il n’y a pas de pire traquenard qu’un déjeuner d’amis où chacun doit apporter un vin. Croyez-vous que chacun va se contenter d’apporter une bouteille ? Erreur fatale. Un ami, amateur de vins anciens, converti depuis peu à cette maladie qui s’est propagée très vite sur le spectre de ses envies, invite un expert en vins qui fut mon pourvoyeur et semble devenu le sien, et la directrice d’une école de dégustation de vins. Le lieu choisi est celui de nos folles aventures, le restaurant xxx. xxx ayant reçu les bouteilles à l’avance les a ouvertes à 10 heures ce matin ce qui leur a permis de s’épanouir, d’autant que notre charmante convive usant du privilège des jolies femmes sut se faire désirer. Et ce fut justifié, donc pardonné, car elle est fort jolie. Pensant que mon apport serait un peu faible, j’ai dans ma sacoche une demi-bouteille de Corton Grancey Louis Latour 1985. Ouvert au dernier moment, il s’en est très bien sorti. Précis, insistant, de forte trace en bouche, c’est un vin de forte personnalité. Sa longueur est belle et les nouveaux amuse-bouche – xxx étrenne sa nouvelle carte, saison oblige – chatouille assez bien le vin sans qu’ils se parlent vraiment.
Le champagne Deutz 1983 de notre belle convive est absolument ravissant. Le dosage a pris de la rondeur, le champagne est joyeux. Sa bulle est jeune, comme l’or vert de sa robe. Goûteux, charmant, je l’aime beaucoup. J’ai commandé des cuisses de grenouilles pour mettre en valeur un vin qui impose le respect : Château Haut-Brion blanc 1955. La robe dorée est presque cuivrée, mais il y a une couleur qui n’appartient qu’à ce vin, car le cuivre est frotté de peau de citron. Le nez est intense, et en bouche, c’est une invasion sympathique, car le vin de grande race sait taire une partie de sa complexité. Derrière un voile de légère acidité citronnée, il y a le charme du Graves. La longueur est infinie, la trace en bouche insistante. On a en face de soi un vin de première grandeur qui rappelle l’immense Haut-Brion 1949 que j’avais partagé avec des amis américains, généreux donateurs de cette rareté. Ici le donateur est notre ami, organisateur de la rencontre.
Quand arrive le pied de porc, l’envie prend instantanément à ma voisine, comme à moi, de l’essayer avec le blanc. Et c’est un régal culinaire. Le vin qui est prévu, que j’ai apporté est un Beaune Camille Giroud 1928. L’odeur est belle, mais le vin ne peut cacher une certaine fatigue qui gauchit son message. Plus il s’épanouit dans le verre, plus il s’approche de ce qu’on pourrait trouver, témoignage serein d’une année de légende. Mais je n’ai pas le temps d’attendre, aussi je commande à xxx de son fond de cave, un Chambolle-Musigny Les Vins Fins 1947. Ce vin ouvert sur l’instant est diablement excitant. Sa robe est jeune, avec un rubis de belle tenue. L’odeur est franche, et en bouche, c’est toute la Bourgogne que j’aime. Cette Bourgogne qui a les pieds lourds de la boue des allées de vignes, qui tranche un pain à la mie pesante pour siffler bruyamment le jus à peine pressé. Cette Bourgogne paysanne, rustique on la trouve dans ce vin dont l’ingratitude est signe de noblesse. J’ai adoré ce Chambolle-Musigny qui paraissait fort jeune face au Beaune mais ne lui faisait pas d’ombre, car entretemps, le 1928 assemblait les pièces de son puzzle et gagnait en homogénéité. Un fromage de chèvre intelligemment choisi mit en valeur le Chambolle-Musigny, rajeunissant son message, même s’il ne peut cacher qu’il est typiquement de 1947, ce qui lui va bien.
Sur un soufflé fort délicat, c’est au tour du Sauternes générique 1929. Son étiquette est la petite sœur déchirée de la bouteille délicieuse que j’ai bue lors d’un réveillon. Hélas un goût bouchonné, même s’il est fugace va empêcher de l’aimer. J’avais réagi par solidarité pour le 1928 en commandant un 1947. Notre ami qui invite, apporteur aussi du 1929, fit de même et commanda un Sigalas-Rabaud 1967. Là, c’est du sérieux. J’ai fait préparer, en plein après-midi, des assiettes de mangues juste poêlées pour savourer ce sauternes intense, lourd, d’un charme exquis. Qui d’autre que le restaurant xxx aurait cette souriante réactivité ?
Un ami présent au restaurant à une autre table, curieux sans doute de ce que nous buvions, se fit porter deux verres du Haut-Brion 1955. C’était une bonne pioche, car ce vin a illuminé un beau déjeuner. Le classement serait difficile à faire. Je choisirais ainsi : Haut-Brion blanc 1955, Deutz 1983, Chambolle-Musigny 1947, Sigalas-Rabaud 1967.


Cordialement,
François Audouze
06 Oct 2006 22:07 #1

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J'applaudis l'utilisation de la fonction "bold" pour faire ressortir les vins qui ont ete bus.

Anthony
07 Oct 2006 04:59 #2

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Moi, j'aurais souhaité que François, dans ce texte stylé, mette un peu d'éclairage sur les cuisses de grenouilles et leur accord avec Château Haut Brion blanc 1955;..." "...le vin de grande race sait taire une partie de sa complexité...". .
J'en déduit que les cuisses de grenouilles ont été préparées juste au beurre....sans adition d'herbes et/ou autres substances au goût dominant et prononcé (ail, persil...etc.). Ce sont là mes registres classiques que je rattache à ce plat....que je connais mal !
Je fais référence à ma récente expérience avec le ris de veau de la soirée d'Yquem, où le plat prenait le dessus sur château d'Yquem 1999 (d'après mes goûts personnels!).

Nidal
07 Oct 2006 09:28 #3

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: cuisses de grenouilles et Haut-Brion blanc 1955 et autres..

En fait, j'ai demandé que les cuisses soient cuites le plus simplement du monde, sans ail, sans accompagnement.
Il y avait quelques herbes fines d'une discrétion suffisante, et la chair de la cuisse, d'une texture assez proche de celle d'un coquille Saint-Jacques, était ce qu'il fallait pour qu'on reste sur le message du vin qui, objectivement, n'est pas perméable à tout le monde, car il faut un peu de réfèrences. Et surtout, il ne faut pas s'arrêter à la légère acidité pour bien comprendre le vin.

Pour le ris de veau : c'est le compagnon idéal des vins anciens, car selon son traitement, on arrive à le rendre suffisamment "neutre" (en apparence), pour qu'il s'efface pour laisser parler le vin. Et bien sûr, avec Yquem, si on le traite bien, c'est que du bonheur. Mais je me suis aperçu en compilant ma base de données que je n'ai pas eu ris de veau avec Yquem. Ce doit être à la maison que ça s'est produit.

J'ai regardé dans des menus de dîners, treize fois le ris de veau a mis en valeur des vins assez disparates : Beychevelle 1959, Grands Echézeaux Joseph Drouhin 1959, Haut-Brion 1934, Vosne Romanée Henri Lamarche 1959, Richebourg DRC 1972, Chateau Trottevieille 1943, Latricières Chambertin Pierre Bourée 1955, Chambolle-Musigny Charles Viénot 1959, Gruaud Larose 1928, Pichon Comtesse 1919, Y d'Yquem 1985, Besserat de Bellefon 1966 et Grands Echézeaux DRC 1974.
ça montre bien que le ris de veau préparé comme il convient va avec une diversité de vins incroyable. C'est vraiment l'ami des vins. A noter que c'est Patrick Pignol, grand amoureux des vins qui m'en a préparé le plus. A noter aussi que c'est 1959 l'année qui est le plus souvent associée au ris de veau.


Cordialement,
François Audouze
07 Oct 2006 17:31 #4

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