Il y a trois ans, sur un forum américain où l’on parle surtout de vin, je fais un pari avec un contributeur hollandais sur le gagnant du prochain Tour de France. Je gagne. J’avais mis la barre assez haut, avec, pour enjeu, un dîner à Paris dans un restaurant d’au moins deux étoiles et des vins pour plus de 500 €. Cet ami ayant ensuite disparu du forum pendant plus de deux ans je me suis dit que mon pari devenait de plus en plus virtuel. Quand j’ai reçu un mail m’annonçant sa venue à Paris, le pari reprenait des couleurs.

Nous arrivons au restaurant Laurent accueilli par Patrick Lair, sommelier avec qui j’ai débouché des centaines de flacons de rêve. Sur mes suggestions Harry, mon ami, avait commandé à l’avance les vins qui sont apparus sur table avec la température idéale. Le menu est imprimé en français et en anglais, ce qui est une attention fort délicate, avec le nom des vins.

Une araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil accueille un Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1996. Le vin met un peu de temps à s’ouvrir, mais quand il l’est, c’est un beau Corton-Charlemagne riche. Moins fantasque que le Coche-Dury de la même année bu récemment chez Patrick Pignol, il est plus orthodoxe. C’est un grand vin rassurant.

Le Lynch Bages 1985 que l’on boit sur une noix de ris de veau truffée dorée au sautoir, asperges vertes et Périgueux est extrêmement impressionnant. C’est le nez qui envoûte, qui signale un très grand vin. En bouche il est serein, dense, velouté, et la sauce lourde à la truffe l’épanouit encore. Les asperges sont trop jeunes encore, même si elles croquent bien avec le Lynch Bages.

Le nez du Sociando-Mallet 1990 est beaucoup plus serré, strict. On sent le bois austère. En bouche, alors que le Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, artichauts violets et petits oignons mijotés au beurre de romarin serait un partenaire idéal, la carapace de bois empêche toute autre saveur de s’exprimer. Je sens toutefois qu’au fil du temps, le vin a envie de se libérer. Et j’ai alors une intuition. En croquant une gousse d’ail, toute adoucie par la cuisson mais fort goûteuse, l’ail décape le bois et libère de belles saveurs où même du beau fruit, caché jusque là, se libère généreusement. Il se peut qu’en d’autres circonstances ce vin se montre mieux. Nous n’en avons pas eu la magie.
Le Saint-nectaire devait accompagner le Sociando-Mallet. Mais je le préfère sur le Corton Charlemagne, à l’aise sur ce fromage.

Mon ami s’étant souvenu que j’aime le Banyuls, un Banyuls Solera hors d’âge, Docteur Parcé vint flirter avec un Sabayon froid, chocolat-noisette, crémeux aux épices et glace caramel à la fleur de sel. Cette cuvée, commencée avec des vins de plus de soixante ans, et incrémentée d’ajouts annuels ne me convainc pas autant que cela, même si c’est bon, car j’ai connu des Banyuls plus chatoyants.

J’ai classé les vins de ce dîner ainsi : 1 – Corton Charlemagne 1996, 2 – Lynch Bages 1985, 3 – Banyuls Dr Parcé, 4 – Sociando Mallet 1990.
Le service de Laurent est exemplaire, la cuisine rassurante et solidement campée dans la qualité. L’atmosphère est unique. Mon ami avait avec élégance assumé son pari. On en refait un ?

Superbe récit François, même si on n'est pas d'accord avec vos commentaires là au moins nous parlons des mêmes choses et on se comprend.

J'ai goûté 3 sociando 90 en peu de temps : 3 perceptions différentes :

Un strict, serré et austère.
Un bouchonné.
Un dernier magnifique. Grand vin.

Conclusion : Amstrong est donc plus régulier que Sociando mallet 90... plus chimique aussi...vive le naturel d'un grand vin !

Jmm

Ce Lynch Bages 85 serait'il meilleur que celui en magnum bu en mai dernier au domaine? Je me souviens d'un beau vin, mais au potentiel limité, un peu au-delà de son optimum..
L'accord avec des asperges vertes ne m'aurait pas sauté aux yeux..

Question: c'est quoi le Périgueux? Un fromage?

Sociando 90: proprement impressionnant dans sa prime jeunesse avec une structure médocaine très solide et un fruit magnifique. Pas regoûté depuis 10 ans.. J'imagine qu'il lui faudrait encore un peu de temps..

Banyuls Hors d'âge - Dr Parcé: il y a quelques années, j'a-d-o-r-a-i-s ce brevage envoûtant qui en étonnait plus d'un à table. Depuis, j'en suis un peu revenu.. Il n'y a guère que sur un bon gateau au chocolat noir qu'il reste incontournable.

Alain

Ah ces suisses...

La périgueux, c'est une sauce à la truffe!!!

Eric

Merci du renseignement, heuresement nous avons aussi des experts en cuisine.

Chinbourg,

Qui sont "on" et nous" ? (j'ai l'impression que c'est "je", de fait, enfin, je veux dire, "vous", pardon, "toi").
De mon côté, j'apprécie ces récits gourmands (même si élitistes)

Désolé, mais je dois faire un peu d'archéologie en contexte ...

Haut-Médoc – Château Sociando-Mallet 1990 : mars 2005
JP17,5 – PP17,5 – LG17,5
- Niveau assez bas dans le goulot, un peu inquiétant.
- Parure présentant un début d’évolution.
- Le nez, d’emblée net, rassure : il déploie un début de bouquet de notes prestigieuses, racées, typées « Médoc d’année mûre » : fruit puissant (cassis, myrtille, mûre), herbes aromatiques, bois précieux (santal), végétal noble (poivron) et caractère empyreumatique (encens).
- Bouche plutôt étincelante, toute en fraîcheur malgré la maturité du fruit, cohérente grâce à cette fermeté minérale et réglissée, encore jeune ; le vin se déguste mieux (moins « inexpugnable » mais très aristocratique) que lorsqu’il fut aligné dans une horizontale de Bordeaux grands crus 90 en novembre 2001.

Haut-Médoc Cru Bourgeois : Château Sociando-Mallet 90 : nov 2001
DS : 16,5 - LG : 16,5 vers 17 - PP : 16,5 - PC : 16,5 - Prix : 380F
- Robe beaucoup plus dense, disque impénétrable, mince bordure à peine tuilée.
- Nez pur et évident, flatteur mais profond : grand fruit très mûr, entre la myrtille et la crème de cassis, fondu avec des notes grillées (l’élevage) et minérales.
- Comme le nez, la bouche est sans faille, inexpugnable ; un fruit intense de cabernet sauvignon très mûr mais sans aucune lourdeur, une structure rigoureuse et longue, une profonde minéralité d’encre et de suie, mais pas encore de grande complexité aromatique – ce vin semble en effet très jeune.

Alain,

Quelles dates pour tes trois tests de Sociando-Mallet 1990 ?

Un VND polémique pour moi aussi ...

Banyuls Domaine du Mas Blanc Docteur Parcé : Hors d'âge Solera - mise mars 95 :
Note : 15 - Prix : 210 F - oct 2000
• Nez fondu, exprimant des senteurs subtiles et variées : figue, cacao, café, feuilles séchées, cerise, tabac, noix.
• La bouche semble peu sucrée. Elle s'avère fine et subtile. De longueur correcte, elle délivre une finale un peu chaude.

Banyuls – Domaine du Mas Blanc - Hors d’Age Vieilli en Solera : mars 2005
JP14,5 – PP14,5 – LG15
- Très joli nez de VDN : fraise, cerises, orange confite, épices, pruneau, cacao.
- En bouche, la liqueur est assez tendre, modérée en alcool, mais trop patinée et facile, sans la profondeur méditative attendue.

en revanche :
Banyuls GC Cave de l’Abbé Rous – cuvée Joseph Nadal 1995 : 18/20 - Grand Vin
cr dans les archives

Je suis tout à fait conscient que Sociando Mallet 1990 pourrait être nettement mieux sur un autre essai.

Pour le Lynch Bages, dix fois mieux qu'en mai au chateau.
Il avait une grâce qui m'a subjugué. Et là, je ne suis pas sûr du tout qu'un autre essai serait meilleur. L'oxygénation avait joué parfaitement son rôle.

Comme le suggère ganesch, il y a d'autres Banyuls qui sont nettement mieux.

François,

Ganesh !

Le dégustateur est irrémédiablement condamné à cette variabilité ... (cf les Bordeaux GC 2002 ou encore le Jacquesson Avize GC 96 que j'ai dégusté samedi dernier, loin du vin merveilleux bu en compagnie de J.H. Chiquet en juin 2005).

Merci Eric pour le Périgueux !
Et si tu en mettais la recette sur ton blog? (à moins que ce soit déjà fait..)

Laurent,
Tu as du mal me lire. De mémoire, Sociando Mallet 90, j'en ai goûté qu'une seule fois dans ma vie - il y a 10 ans environ. Je n'en ai malheureusement pas en cave non plus..

Alain

Alain,

J'ai fourché en effet ...

La question s'adressait à Martinez !

Désolé !

Question: c'est quoi le Périgueux? Un fromage?

Sauce madère aux truffes. La façon de couper les truffes la distingue de la sauce périgourdine.

Je ne vais pas jouer les gros bras, je ne savais pas ce qu'était Périgueux, donc merci, j'ai appris.
La sauce aux truffes, coupées en petits dés comme des pastilles de zan, a joué le rôle d'une catapulte pour le Lynch Bages.
Ce coté très velouté, riche, opulent du vin vient directement de cette sauce lourde. Absolument délicieux.

Et ce qui est amusant et que je n'avais pas dit, mais ça me revient, c'est que le Bonneau du Martray restait brillant, même après le départ du plat.
Alors que le Lynch Bages est devenu assez banal, assez fade, quand le plat a été retiré.
Et c'est d'ailleurs un moyen de vérifier si un accord mets et vin est bon : si le vin devient fade quand on retire l'assiette, c'est que l'accord était bon.
Là, quand l'assiette est partie, le Lynch Bages a mis ses charentaises, et s'est dit : j'en ai assez donné, à moi les 35 heures.

Vérifiez ce comportement du vin (si vous ne le faites pas déjà). Vous verrez que c'est assez significatif.

Les asperges ne vous ont elles pas génées?

'Quelles dates pour tes trois tests de Sociando-Mallet 1990 ? '

Je m'en doutais un peu mais dans le doute :

Donc :

en fait bu 5 :

2 il y a bien longtemps : jeune et fermé.

Les 3 en questions :

Eté 2003 : le grand vin qui s'est laissé approché.
En 2004 : un bouchonné
Eté 2005 : un vin qui est resté quand même assez austère, plus que celui de l'été 2003.

3 sur une amplitude de 2 ans donc.

J'en ouvrirai une en 2006, on verra.

Jmm