Une petite tranche
de veau de vie que - faute de mieux - je place ici, en imaginant que c’est là qu’elle sera le moins mal...
Déjeuner en solo ce midi dans un bistrot gastro aux plats délicieusement canailles : rognon entier, boudin noir, joues de cochon, os à moelle, boeuf-carottes, tête et langue de veau... L’ambiance brasserie est bruyante et enjouée, les tables et les chaises sont en bois, il y a au mur de vieilles affiches publicitaires et des plaques émaillées… des magnums, jéroboams et un nabuchodonosor de grands bordeaux trônent (vides) non loin d’une paroi de cylindres de whisky, et il y a même un ancien panneau portant l’inscription "Vins des Grandes Caves Jurassiennes" : c’est dire si on s’y sent bien ! *
Le but de ce repas en solitaire est de s’offrir un plaisir précisément solitaire, sans honte (bien que les plaisirs dits solitaires soient généralement répréhensibles) ni reproche (puisqu’il est solitaire, on nous foutra la paix
) : se taper une... [size=small](à quoi pensez-vous, espèce de dégoûtant ?)[/size] … une
cervelle de veau (
), douceur rarissime à trouver au restau, et tendre comme un souvenir d’enfance.
Pour lubrifier cette polissonnerie, je choisis parmi les vins proposés au verre un rouge plutôt souple : un
Cornalin du Valais 2009 de la Maison R. Gilliard à Sion. Pour mémoire, le cornalin est un cépage typiquement valaisan, réputé tardif et capricieux, mais qui donne lorsqu’il est réussi de très beaux vins de garde qui en font une spécialité-phare du vignoble local. La cuvée que j’ai dans mon verre offre un premier nez assez animal, mais très vite les petits fruits rouges se bousculent derrière : cassis, myrtille... plus encore un arôme que j’ai du mal à nommer, mais qui m’évoque qqch. que j’appellerais de la lie de vin (aucune certitude sur ce coup-là). L’attaque est souple sur une matière en bouche où domine un très agréable fumé, et la persistance est belle.
Aaah, l’assiette arrive : les escalopes de cervelle barbotent dans le beurre fondu, au secours le taux de cholestérol ! (on y repensera au moment de saucer consciencieusement l’assiette) Chaque bouchée fond voluptueusement dans la bouche (logique), sur une pointe d'assaisonnement légèrement citronnée... Décidément, il n’y a pas que le sexe dans la vie
. De nombreuses câpres parsèment le plat et dynamisent avantageusement l’ensemble... je me régale !
Bien ouvert, le cornalin se laisse docilement coucher et enlacer par le gras du plat, et ses tanins fondus acceptent sans difficulté la légère acidité citronnée de la cervelle : si on osait, on dirait que dans le couple il est passif... Même la présence de câpres dans une bouchée ne le crispe pas : le drôle semble ouvert aux parties à trois... C’est avec les pommes de terre sautées qui accompagnent le plat qu’il a le plus de mal : peut-être parce qu’elles l’ont été par quelqu’un d’autre que lui ?... Leur contact fait ressortir un côté plus végétal du vin. Bues seules, les dernières gorgées de ce cornalin laissent apparaître une astringence pas forcément désagréable, mais qui semble confirmer qu’il a bien apprécié l’étreinte des escalopes de cervelle au beurre, au toucher gras et lisse comme le corps blanc de la Dame que chante le troubadour Bernard de Ventadour... (un brin d’amour courtois pour rehausser au final le propos
).
, Philippe
[size=small]* Pour les (heureux) Genevois, il s’agit du
Dix Vins (tout un programme !), à Carouge.[/size]