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blié en 2002 dans la RFOe
Vins, santé et recherche à Strasbourg
Pasteur et Béchamp, creusets de la pensée scientifique en biologie
Modifier le milieu plutôt qu’éradiquer le microbe pour soigner les maladies virales, bactériennes et à mycoses, telle est l’approche de Claude Bernard, Antoine Béchamp et plus récemment Louis-Claude Vincent, qui avait suscité en son temps l’opposition farouche des pastoriens (pro-Pasteur). À Strasbourg, l’école béchampiste continue d’officier dans la recherche, notamment sur le vin.
Partant des principes biologiques édictés par Claude Bernard, (1813-1878) “le microbe n’est rien, le milieu est tout”, Antoine Béchamp (1816-1908), collègue de Pasteur (1822-1895) à l’école de pharmacie de Strasbourg, a développé une théorie qui préconise de modifier le milieu plutôt que d’éradiquer le microbe pour soigner les maladies virales, bactériennes et à mycoses. Elle est à l’époque très controversée par l’école pastorienne. Poursuivant les travaux de Béchamp, Louis-Claude Vincent (1906-1988) comprend dans cette perspective “béchampiste” que la connaissance du milieu permet d’expliquer que des terrains sont favorables à tel ou tel type de micro-organisme.
En 1936, il fait une observation importante : “Les taux de mortalité dus à différentes maladies, tuberculoses, troubles cardio-vasculaires et cancers, sont directement liés à la qualité de l'eau délivrée aux populations. Ils augmentent lorsque ces eaux sont très minéralisées et rendues potables après traitements physiques et adjonction de produits oxydants (hypochlorite de sodium).” Voulant trouver une explication scientifique à ces faits avérés, confirmés par de nombreuses statistiques, Louis-Claude Vincent recherche des paramètres physico-chimiques permettant de définir les qualités d'une eau. Vers 1946, il établit qu’une solution aqueuse peut être décrite de façon rigoureuse par trois facteurs : le pH (acidité), le potentiel rédox (E en Volt) et la résistivité (rô en ohms). Il fonde une discipline de la biologie qu’on appelle aujourd’hui la bioélectronique.
Les pathogènes en milieu alcalin et réducteur
Or, une trentaine d’années plus tôt, en 1928, W.M. Clark (l’inventeur de l’électrode du même nom pour le dosage de l’oxygène par électrochimie) avait trouvé la formule qui relie le potentiel (E) et le pH des milieux biologiques, que l’on appelle le rH2 (rH2= 33,3 E + 2pH). Louis-Claude Vincent a alors mesuré ce rH2 dans les eaux de concession ce qui lui a permis d’observer que les formes mycéliennes (champignons) croissent en milieu acide et oxydé, les formes virales en milieu alcalin et oxydé, les microbes dits pathogènes en milieu plutôt alcalin et réducteur. Puis, il s’est intéressé à la mesure du rH2 dans le sang et l’urine des malades, en introduisant une donnée supplémentaire, la résistivité (rô) ou son inverse mathématique, la conductivité.
La conductivité dépend de la quantité d’électrolytes comme les sels, les cations métalliques (fer, cuivre). Plus il y en a, plus le liquide conduit le courant. Et inversement : moins il y a d’électrolytes, plus le liquide résiste au passage du courant, qui se mesure en ohms. Or, en milieu biologique, cette résistivité renseigne sur la santé du milieu. L’agronome Chaboussous avait observé que les plantes sujettes aux maladies ont, dans leur sève, des teneurs anormales en sels minéraux. Ce qui les prédispose à être piquées par des insectes ravageurs. En intégrant la résistivité dans la formule du rH2, selon les lois classiques de l’électricité, on obtient une donnée importante qui est l’énergie (notée W) du système biologique exprimé en Watt par cm3.
L’énergie du système biologique
André Fougerousse, aujourd’hui Doyen de la faculté de Chimie de Strasbourg, a décidé de remettre au goût du jour cette notion béchampiste du rH2 et de l’énergie W. Il l’a appliqué d’abord en médecine en 1977, dans le service de cancérologie de Charles-Marie Gros, puis en 1992 dans le domaine des vins, au CNRS-laboratoire de chimie des polyphénols de Raymond Brouillard.
Il se trouve que la mesure du rH2 et de l’énergie du sang, de l’urine et de la salive est très particulière chez les cancéreux. Elle permet de diagnostiquer la dégradation de l’état de santé notamment à cause des stress oxydatifs. En mesurant l’énergie de la salive, de l’urine et du sang de 30 cancéreux, André Fougerousse a clairement montré que cette donnée renseigne peut aider à prévenir ou dépister des maladies. À partir de mesures effectuées, il observe que le bilan énergétique est positif, environ 4 000 mW/cm3 pour tous les sujets cancéreux, alors qu’il est négatif, environ –2 500 mW/cm3 pour les sujets sains.
Ces notions de rH2 et d’énergie potentielle du système biologique peuvent être utiles à l’œnologie préventive et à la viticulture. Les chercheurs du laboratoire de chimie des polyphénols ne s’en privent d’ailleurs pas. “Les vins qui ont les rH2 les plus faibles sont les vins qui ont le meilleur pouvoir antioxydant”, explique André Fougerousse. “On a d’ailleurs une relation linéaire entre le rH2 et la teneur en polyphénols pour les vins blancs.” Les chercheurs du CNRS observent aussi avec grand intérêt que “leur resvératrol de synthèse” initialement identifié dans le pinot noir, qu’ils testent avec Francis Raul de l’Inserm, abaisse le rH2 et rend ainsi moins favorable le milieu au développement du cancer. On comprend donc mieux pourquoi ce resvératrol accroît de 80 % l’efficacité de la chimiothérapie.
Notion bien connue et utile a l’œnologie, le rH2 n’est presque plus utilisé que par les chercheurs de Strasbourg. Pourtant, dans le milieu biologique qu’est le vin, le pH et le potentiel rédox E sont des mesures communément utilisées par les œnologues. Par contre la résistivité ne l’est quasiment pas si ce n’est dans le cadre des travaux des professeurs Maujean à l’université de Reims et Wurdig en Allemagne sur la stabilité tartrique des vins.
Le bilan énergie entre les sèves
De même qu’elles permettent de prévenir ou dépister de façon précoce des maladies, ces données du rH2 et de l’énergie de la sève élaborée et sève brute de la vigne pourrait renseigner sur la prédisposition de celle-ci à être attaquée par telle ou telle maladie, tel ou tel ravageur. Elles pourraient ainsi confirmer les observations de Chaboussou. Le rH2 permettant d’évaluer le stress oxydatif pourrait aussi apporter de nombreuses informations sur l’effet dépressif des traitements phytosanitaires sur le végétal, en mesurant par exemple le rH2 des sèves avant et après traitement.
De la même manière, la connaissance du rH2 du vin, synthèse du pH et du potentiel, va renseigner aussi sur la prédisposition à être altérés par tel ou tel microbe. Ces données du rH2 pourraient ainsi permettre de prévenir les nouvelles maladies du vin, notamment celles qui sont en recrudescence et qui ont pour origine les levures brettanomyces dans le vin ou les bactéries pénicillium productrices de géosmine sur les raisins à la vigne. D’ailleurs, le laboratoire des polyphénols répond aujourd’hui à la demande des vignerons luxembourgeois qui veulent appliquer ces notions de Louis-Claude Vincent.
D. Lefebvre est œnologue, journaliste à l’Est agricole et viticole
D’après les publications de Francis Raul de l’Inserm-Ircad, d’André Fougerousse et Raymond Brouillard chercheurs au laboratoire de chimie des polyphénols de Strasbourg.
Légendes
André Fougerousse, 58 ans, Mosellan d’origine comme Antoine Béchamp. En 1992, il rejoint le laboratoire de chimie des polyphénols. Aujourd’hui doyen de la faculté de chimie de Strasbourg, il tente de réhabiliter l’importance du travail d’Antoine Béchamp.
Raymond Brouillard, directeur du laboratoire de chimie des polyphénols a réalisé un travail fondamental qui s’est avéré décisif pour l’œnologie. Il a mis en évidence les structures chimiques de nombreux polyphénols du vin.
Francis Raul, de l’Inserm-Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif, travaille sur une molécule de synthèse du resvératrol, identique au resvératrol du vin, mais plus stable qui augmente de 80 % l’efficacité de la chimiothérapie pour soigner le cancer. (Pour les chimistes, la stabilité est obtenue en remplaçant les fonctions hydroxylées par des méthoxylées de la même manière que le malvidol l’est pour les proanthocyanidines)
Le soutien de la profession viticole
Les travaux du CNRS portent sur la connaissance fondamentale mais n’ont aucune une finalité d’application. En ce sens, les résultats ne bénéficient pas d’autant de lisibilité que la recherche appliquée. Ainsi, de ce creuset scientifique qu’est la recherche strasbourgeoise, a plutôt émergé des tendances fondamentales qui se sont avérées décisives pour l’orientation des sciences biologiques et notamment de l’œnologie, plutôt pro-pastorienne.
Ces travaux dans le domaine du vin et de la santé, menés à partir de bases béchampistes s’inscrivent donc dans une perspective à très long terme. D’ailleurs, comme André Fougerousse le pense, confrontées à davantage d’énigmes à mesure que les investigations avancent, la science, et notamment la génétique viendront aux théories d’Antoine Béchamp sur le polymorphisme génétique de certains micro-organismes.
Pasteuriens et Béchampistes
Pour Pasteur, la cause première de toute maladie infectieuse était les micro-organismes invariables dans leur forme et provenant de l’extérieur de l’organisme. Il en a découlé de nombreuses applications agroalimentaires dont la plus connue est la pasteurisation. Chaque jour, les problèmes sanitaires auxquels sont confrontés l’œnologue, tout comme le fromager ou le brasseur, donnent l’occasion de vérifier les lois de Pasteur pour les milieux biologiques que sont le vin, le lait, la bière ou le cidre.
Mais en est-il de même pour les tissus vivants du règne animal ou végétal ? Antoine Béchamp, a soumis du sang à l’ébullition et aux UV, et l’a remis en culture en milieux préalablement stérilisés, l’opération étant effectuée en conditions stériles. Il a observé que des microorganismes bactériens (qu’il appelle mycrozymas) se développaient à nouveau.
Pasteur, contemporain de Béchamp, sans pouvoir réfuter l’expérience du sang “stérilisé”, s’opposa farouchement à cette théorie béchampiste des mycrozymas. L’existence des mycrozymas, ces sortes de protobactéries coccoïdes à noyau dépourvu d’enveloppe, n’est pas remise en cause. Ces corps primitifs, dont le diamètre s’échelonne entre 0,2 et 0,8 micron, pullulent dans le sang des vertébrés et y remplit la fonction bactérienne fermentative, que l'on rencontre chez tous les êtres vivants. Aujourd’hui, il reste incongru de parler de “génération spontanée”, mais le problème n’est pas enterré. Des chercheurs continuent à s’intéresser à ce qu’ils appellent plus diplomatiquement la néobiogenèse.
D.L.
pH, potentiel et résistivité
pH : La valeur du pH rend compte de l'acidité d'une phase aqueuse. La définition physique indique qu'il s'agit de la concentration en ions H+, encore appelés protons. La quantité de protons étant très faible, l'échelle logarithmique a été choisie : pH = - log [ H+] . L'échelle des pH s'étend de 0 à 14, avec neutralité à 7. De 0 à 7, le milieu est riche en protons ; on dit qu'il est acide (de plus en plus acide en allant vers 0). De 7 à 14, le milieu est appauvri en protons ; on dit qu'il est alcalin ou basique (de plus en plus alcalin en allant vers 14).
La résistivité r (rô) est un paramètre qui est inversement proportionnel à la concentration des sels dissouts dans une phase aqueuse. Il s'exprime en W.cm (Ohm. centimètres). On lui préfère souvent la conductivité l, dont la variation est, elle, proportionnelle à la concentration en électrolytes :
l (en microsiemens par cm) = 106 / r (r est la résistivité en ohm/cm)
Le rH2 mesure les échanges électroniques dans un milieu biologique, donc la somme des mécanismes oxydatifs et réducteurs et donc la stabilité biologique du milieu.
Il se mesure par le pH et le potentiel E : (rH2= 33,3E + 2pH)
On en déduit l’énergie du système
W(microwatts/cm3) = E2 / r
soit : W = [30 (rH2 - 2 pH)]2 / r