Yves,
Je n'ai pas goûté les 2003 à Bordeaux mais je suis passé dans le vignoble juste avant les vendanges et j'y ai vu des raisins très très très différents selon les zones, les appellations et les terroirs. Les vins devraient donc légitimement être très hétérogènes.
Ce débat très polémique sur Bordeaux ne me concerne pas (si ce n'est que j'en achète et que j'aime ca) mais j'y apporte une touche de vigneron-qui-n'a-pas-fini-de-décuver pour vous donner quelques informations :
- lorsque l'on fait des analyses trop tôt, sur jus de raisin, avant le départ des alcooliques, on a souvent une vue tout à fait imparfaite du futur équilibre du vin. Cette année en particulier, les pH étaient par exemple ici excellents, mais se sont mis à descendre en cours de fermentation, ce qui est très bien pour nos vins. Mais certains ont balisés et acidifié trop tôt, sans réfléchir. C'est aussi ce qu'ont conseillé de nombreux Å“nologues irresponsables ou trop jeunes. Et c'est dur d'aller contre son Å“nologue...
Cela s'explique : en simplifiant, au cours des alcooliques, on extrait des composés qui sont dans la peau et non dans la pulpe. Les choses peuvent ainsi changer en fonction de ce qu'il y a ou de ce qu'il n'y a pas au fur et à mesure que l'extraction avance dans la peau. C'est pourquoi il ne faut jamais prendre de décisions hâtives. Tout dépend de la qualité de son Å“nologue et de sa propre force de caractère. Moi, je ne fait plus d'analyses avant le milieu des alcoolique et je m'en porte très bien (mais j'angoisse beaucoup
)
- depuis que je fais du vin, je remarque en parlant avec d'autres vignerons que, parfois (pas toujours mais souvent) il y a en France voire en Europe certaines similitudes entre les raisins sur des régions au climat similaire. Comme si, en dehors de tout contexte de terroir ou de cépage, la Vigne avec un grand V, cette année là , possédait partout certaines caractéristiques. C'est une sensation de vigneron et d'amateur de vin, pas une affirmation ni une révèlation scientifique.
Cette année donc, deux caractéristiques me semblent souvent se reproduire, en tout cas ce fut le cas ici et cela vous éclairera peut-être.
Premièrement, plus on a vendangé tard, plus on a des vins frais, c'est à dire des pH plus bas et des acidité plus forte. En plus, la teneur en malique a augmenté, ce qui en théorie est impossible. Et bien sûr, pas de passerillage mais au contraire deux pluies qui ont regonflés les raisins et baissé les degrés. Personne ne peut me l'expliquer mais c'est un fait confirmé par de nombreux vignerons de mes amis qui vendangent des raisins mûrs. De 3,75 de pH, on passe sur les carignan vendangés le 8 octobre à 3.39 de pH, ce qui est ici du jamais vu... Peut-être cela s'est il passé à Bordeaux aussi ? Au final, ajouté à des IPT de 90, les vins sont tout à fait étonnants !
Deuxièmement, malgrés des raisins murs, sains et magnifiques, les extractions de tannins et d'anthocyanes ne se sont pas fait aussi facilement que d'habitude. Il a fallut cuver longtemps et surtout laisser les vins autour de 22/23° après la fin des fermentations, ce qui n'a pas été facile avec la vague de froid. Pour moi, il y donc déjà deux style de vins cette année, ceux qui ont vendangé tôt, fermenté vite et cuvé court et ceux qui ont vendangé tard, fermenté lentement et cuvé longtemps. Entre ces deux types de vins, il y a des différences à peine croyable...
Pour les deuxièmes, je partage ainsi l'avis de JMQ dans sa vision de vin à la fois très puissants, aux tannins mûrs et pourtant prodigieusement frais. Pour les premiers, pas de couleur, pas de tannins et en plus une acidification précoçe catastrophique. La totale.
Les malos vont sans doute cette année avoir des conséquences très importantes; mais elles ne semblent pas pressées de ce faire.
Respectueuses salutations à tous...