Cher Jérôme, quelle bonne nouvelle au réveil : depuis ta visite au grand WWS, tes nouvelles relations avec les grands de ce monde et les échanges de politesse désormais presque quotidiens entre FM et toi, par site et blog interposé (tu es merveilleux, non, toi, tu es formidable...) te voilà auto-proclamé "critique professionnel". Voilà donc que la fonction crée l'organe...
Je croyais que nous étions sur un site d'amateurs qui buvaient du vin et donc, fort légitimement, échangeaient leurs avis et de bon conseils pour multiplier leur plaisir... Et que les professionnels étaient les bienvenus pour exprimer un autre avis, d'un autre "point de vue", d'une autre place, comme disait Bourdieu.
Tu confonds aussi, si tu me permets, deux choses :
- la première, c'est que même les critiques professionnels dont tu parles (et dont tu sembles te revendiquer ce matin ;-)) donnent leur avis sur le résultat. Rarement sur le bien fondée de la technique, comme c'est le cas, ici aussi, sur LPV ,où l'on prend des pincettes pour critiquer l'élevage ou une maturité, pour ne citer que deux exemples, tant il est aisé de se ridiculiser sur le sujet. Ils n'ont en général pas l'arrogance d'indiquer que l'aménagement de la cuisine décide de la qualité des plats ou de s'étendre sur leur propre façon de cuisiner (sauf François Simon qui se filme avec humour en train de cuisiner et ce n'est pas triste ;-). Ils parlent souvent des produits, qui sont à l'origine des plats, mais peu, parce qu'ils n'y connaissent rien et que le sujet est vaste. En peinture, je ne m'y engagerai pas, n'y connaissant rien et me contentant d'être amusé, charmé, ou marqué à vie par des tableaux. Savoir si le chevalet décide, ou son pinceau ou la météo sur l'humeur du peintre, je n'ai pas d'avis. Tu en as ? Félicitation. Je suis bien sûr prêt à apprendre, de toi ou d'Hannibal et j'attend que la connaissance me tombe dans le bec comme un oisillon les vermiceaux. Mais que tombe t'il ? Rien. Des avis romantiques, basés sur des "je pense que", sans la queue du plus petit effort pour nous expliquer le pourquoi du comment, sur quelles expériences vécues ou vues Hannibal s'appuie. Tu m'en veux parce que je demande des explications, des justifications, des résultats. Ah. Ce qu'il ne faut pas, justement, jamais demander à un enseignant... Ou à un peintre. Mais à un vigneron, on lui demande en PERMANENCE des explications. Il en donne. Jusqu'au moment où il est sur un terroir différent et là, il fait tout pareil, parfois moins, mais voilà, là, le vin, il raconte une toute autre histoire.
- permet moi, encore une fois, je refuser les termes que tu essais de me faire dire, je ne parle ni "de magie, ni de fantasme, ni de miracle". Tu mélanges, si tu veux bien, la typologie du vin, sa qualité, avec sa "valeur", son "prix" et son "prestige", tout n'étant pas forcément corrélé dans le monde du vin, dans un sens comme dans l'autre. Je suis le premier à dire à Jean-Michel Comme que je tique un peu quand on veut m'expliquer, à Bordeaux ou ailleurs, que tout vient du terroir, en particulier le prestige et le prix. Ca, ça vient certes de la qualité mais aussi de beaucoup d'autres facteurs, le travail et le talent du vigneron étant les principaux, l'histoire, le commerce et les clients faisant le reste (Dion, encore...). Pour autant, si Pontet-Canet fait les vins qu'il fait aujourd'hui, c'est parce qu'il est à cet endroit là et pas ailleurs. Et il suffit d'aller voir le domaine personnel de Jean-Michel Comme, Champ des Treilles, pour comprendre que même si son épouse et lui ne le quitterait pour rien au monde, il ne pourront jamais faire là bas ce qu'il fait à PC. Simplement des vins qui viennent de là bas, d'eux, aussi, et pas interchangeables, ce qui est l'essence même du terroir, même si ce ne sont pas les plus grands du monde. Mais que, par une forme de coïncidence étonnante, le terroir, le sien, avec ses handicap, lui a sans doute permis de monter celui de PC au niveau qu'il méritait. en lui apprenant tant de chose.
Tu fais cet amalgame comme la majorité des amateurs et aussi beaucoup de professionnels (qui "héritent" de terroirs et qui ne peuvent donc se remettre en question...). Je discutais avec un jeune, récemment, très affuté, qui veut s'installer sur Maury. Il va acheter dix huit hectares, un lot. Je lui expliquais qu'il était sans doute dans la seule région au monde où il pouvait choisir "ses outils" comme tu les appelles, un par un, lentement, pour prendre ceux qui lui convenaient, ceux avec qui il allait bien vivre, ceux qui mettraient leur capacités, leur atôuts au service de son projet, des vins qu'il voulait faire et qu'il fallait prendre son temps pour les choisir. J'ai eu l'impression qu'il pensait que j'étais cinglé, persuadé qu'il allait, comme toi, forcer ses "outils" à faire ce qu'il voulait lui... Nous n'avons que bien peu de millésimes à faire et la vie est bien courte. Je suis triste pour lui parce que c'était un bon pro et un passionné, qui, peut-être, ne fera jamais un grand vin ou même un vin comme il le rêve, juste parce qu'il n'a pas compris que le terroir ne se domptait pas, il s'apprivoisait, et que le choix d'origine était fondamental, quand on l'avait, ce qui est rare, TRES rare dans le monde du vin. En fait, c'est un phénomène que nous sommes en train de vivre, notre génération ou notre "époque", sans mesurer ce qu'il y a d'unique et de merveilleux de pouvoir "choisir" ou "créer" un terroir et donc un vin... C'est un autre sujet, pardon.
Enfin, ne mets pas, s'il te plait, dans Hannibal et Enzo dans le même panier, en tout cas pas le mien. Je ne me souviens pas d'avoir lu quelque chose de positif apporté par le premier, si ce n'est de l'agressivité et de la raillerie, certes brillante. Son talent est grand, j'espérai plus sur le fond. Le deuxième, au contraire, même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui, fait avancer les discussions, apporte des éléments concrets, techniques, réels, vécus et de ses avis sortent souvent des remises en question.
P.S. : merci d'avoir trouvé un message où je m'émeus du décalage entre le romantisme du buveur et la réalité du métier. En 1700 messages, bientôt, on dira que c'est tolérable, comme position "hautaine" ;-). Toi, dans ce registre, tu es bien sûr parfait ;-). Cette phrase résume exactement pourquoi j'interviens sur ce forum, pour tenter que l'amateur est une vision le plus réelle possible du métier de vigneron, une connaissance la plus précise possible des problèmes de celui ci, afin de vivre sa passion dans la réalité et pas dans le fantasme, plus vive, plus brillante, plus réelle. J'ose espérer que, parfois, c'est utile.