Frank est venu faire un tour en Scandinavie et s'est arrêté à Oslo. Il nous propose une dégustation du millésime 2012, caractérisé par la sécheresse (comme presque partout en Italie) . J'ai encore en tête le visage de Frank lors de notre visite fin septembre en Sicile, plein de stress lors des vendanges des raisins blancs.
C'est donc curieux que je me rends à cette dégustation afin de voir les vins que Frank a produits.
Tout d'abord Frank nous explique son parcours qui débute quand il était petit. Son père, un grand amateur de vin et gastronomie, l'initie aux plaisirs de la bonne chère. Son parcours d'amateur est assez classique et il débute par Bordeaux, se tourne ensuite vers la Bourgogne et tombe littéralement amoureux des vins du Langhe. Il développe son palais et apprend à mieux le connaître en même temps qu'il développe sa connaissance et sa culture du vin.
Un voyage en Géorgie sera pour lui un déclic. Lors d'une visite d'un domaine, il est frappé par la simplicité de faire du vin : les grappes cueillis sont foulées au pied dans un tronc creusé et s'écoule dans une amphore (qvevri) enterrée. Lors de l'ouverture d'une qvevri il est subjugué par ce vin. Pas que ce vin soit le meilleur du monde (loin de là) mais il possède une sincérité qui l'interpelle.
L'idée qu'il puisse acquérir un domaine le travaille de plus en plus. Il souhaite une approche naturelle tout simplement pour ne pas altérer les raisins. Mais il ne souhaite pas faire du vin par chance mais avec un acharnement au travail, avec méthode, rigueur et méticulosité.
Il souhaite un endroit en harmonie avec la nature et en polyculture, loin de la ville (pour des problèmes de lumière), un air pur, et avec une culture du vin.
Après de nombreuses recherches, il tombe sur l'Etna et le Portugal. Il souhaite en outre un endroit avec peu ou prou de phylloxera et avec un patrimoine de vieilles vignes. Son choix sur l'Etna est arrêté.
En 2001, il s'installe donc sans aucune connaissance en viticulture, œnologie et économie-gestion. Petit à petit il va bâtir son domaine jusqu'à aujourd'hui où il cultive 18 ha et fait partie des plus gros producteurs de la zone nord du volcan.
Frank est toujours en questionnement dans un but d'une amélioration permanente. Son approche comme il le dit est technique avec une base scientifique. Son but : faire de grands vins qui exprime le terroir sans addition de quoique ce soit.
Il ne se considère pas comme un producteur de vin nature, ni traditionnel. Il ne veut pas être enfermé dans une boîte. L'approche "vin nature" n'est pas un but mais un chemin pour aller vers la meilleure expression du terroir.
Les vins sur le millésime 2012 :
Susucaru 5 - Rosato
Rosé de macération (16 - 20 jours). Mélange de cépages blancs (Malvasia, Moscadella, Inzolia) et rouge (Nerello Mascalese). Accent mis sur les sensations tactiles et textures.
Couleur trouble rosé avec des reflets orangés.
Fruit mûr sur les fruits rouges, fraises écrasées, épices, herbes sèches. Touche fumé et côté médicinal.
Puissant en bouche, riche avec un peu de CO2. Grosse matière bien équilibré par le couple acidité / tanins. Côté musculeux. Bonne longueur.
Bien +.
Munjebel 9 - Bianco
Un vin orange. Un vin dont la durée de macération est de plus en plus raccourci afin que le vin délivre de la finesse. Un mélange de 70% Grecanico Dorato, 10% Coda di Volpe, 20 % Cattarato et Carricante issu de vignes situées entre 750 m et 1000 m d'altitude.
Beau nez, net et pur avec des arômes de fruits frais sur l'abricot, mangue, pêche jaune. Notes d'herbes sèches, fumé, miel. Une belle complexité.
Bouche puissante en attaque avec un beau touché sur la fraîcheur. Accentué par un côté zeste d'orange. Bonne présence tannique mais fine et en adéquation avec la matière. La longueur est très bonne mais un peu chaude néanmoins.
Très bien.
Je trouve que Franck propose des vins oranges de plus en plus intéressant.
Rosso del contadino 10 - Rosso
Le vin d'entrée de gamme de Franck issu d'un mélange de Nerello Mascalese principalement (70 à 80 %) et d'autres cépages comme l'Alicante Bouchet, Minella Nera, Uva Francesa, Sangiovese, Minella Bianco et Insolia. Vieilles vignes en complantation.
Nez riche et mûr. Fruit noir. On sent l'alcool. Coté fumé et herbes.
Puissant, riche avec une grosse structure tannique mûre et grasse. Touche alcoolique en finale.
Moyen.
Munjebel 9 - Rosso
Un mélange de différentes vignes : Chiusa Spagnola, Marchesa Soprana, Monte Colla et Porcaria.
Nez mûr et noir sur la prune, mûre, cerise burlat. Touche confituré et chocolaté. Notes de fumé. Plus intense et plus en couche que le Rosso del contadino.
Puissant et riche. Grosse matière mais équilibrée par une grosse structure tannique mûre. L'alcool se ressent, un peu dissocié.
Moyen +.
Munjebel 9 MC - Rosso
100 % Nerello Mascalese planté en 1946 issu de la contrada Monte Colla. Une vigne très pentue qui fait face à l'Etna et donc exposé au sud.
Nez le plus noir, le plus mûr. Prune, confituré. Fumé. Un vin musculeux.
Léger sucre résiduel. Puissant, riche soutenue par un structure tannique grosse et carrée. Un vin large. Finale chaude. Sensation de vin fortifié.
Moyen.
Munjebel 9 CS - Rosso
Vigne non greffée de Nerello Mascalese de la contrada Chiusa Spagnola, située à 600 m. Sol très rocailleux.
Nez plus frais avec quelques fruits rouges. Fruits noirs dominants, grenade, herbes sèches. Plus de profondeur.
Puissant, riche et alcoolique. Manque de structure. Tanins moins marqués. Longueur bonne et poivrée.
Moyen +.
Munjebel 9 VA - Rosso
100 % Nerello Mascalese non greffé des trois plus hautes vignes du domaine, d'où le nom Vigne Alte. Contrade Barbabechi, Guardiola, Tartaraci.
Le nez est mûr et riche mais c'est le plus frais des 2012. On retrouve des herbes sèches, grenade, cerise. C'est aussi plus épicé. Une certaine complexité.
La bouche est plus fine bien qu'elle reste riche et puissante. Les tanins sont plus saillants, il y a une meilleure acidité. La longueur est bonne mais cela reste chaud encore.
Bien -.
Un seul vin sur le millésime 2010 :
Munjebel 7 "10th anniversary" - Rosso
Un vin qui aurait dû être embouteillé comme un magma mais Franck n'était pas satisfait de la qualité. Il n'avait pas toutes les qualités requises pour que ce soit un grand vin. Il est donc déclassifié. Issu de la contrada Barbabechi pour des vignes de plus de 90 ans non greffées situées à plus de 1000m d'altitude.
Nez un peu nature mais tellement plus frais que le reste. C'est plus parfumé sur la fraise écrasée, framboise, grenade, herbes sèches, fumé. Fines notes florales et un touche d'humus. La différence avec les 2012 est frappante. On prend du plaisir sur ce vin.
Le vin est nettement plus léger, plus fin avec une acidité vivifiante et mûre. Elle fait unité avec la matière. Les tanins sont beaux, très nombreux et un peu saillants encore. La longueur est excellente avec un côté sapide et frais.
Excellent.
En conclusion, des vins chauds, trop alcooliques et trop riches. Ils manquent de nuancent. Je ne suis pas emballé du tout pas ce millésime 2012 qui a été très sec.
Les vins on quand même des niveaux d'alcool qui frôlent les 17 % !!! On avait parfois l'impression de déguster des vins fortifiés. Je trouve que les vins ne sont pas réussis.
Franck estime que ces choix à la vigne sont la cause. De très faibles rendements et une recherche de la maturité phénolique, qu'importe la maturité technologique ont conduit à de tels vins. On compare avec Terre Nere qui a fait de bons vins sur 2012. Et Franck nous dit que les rendements plus élevés chez son voisin a permis de "diluer" cette richesse et d'obtenir de meilleurs équilibres.
En tout cas, Franck a voulu respecter les caractéristiques du millésimes et si il a prit la décision de faire les sélections parcellaires, c'est que les vins sont différents. Et la dégustation le montre. Franck pense qu'il va falloir donner du temps au vin pour qu'ils digèrent tout ce feu. Moi, je suis sceptique.