Une bouteille de la semaine qui m'est chère: Je savais que Francis Cabrel faisait son vin en agenais et je savais que Mathieu Cosse était l'un de ses proches. Dès lors je n'ai eu de cesse que de vouloir cette rencontre. Je n'ai pas été déçu: le vin est beau, très beau même. Des vignes jeunes et pourtant, déjà, une très belle expression de terroir.
"Une star de plus qui fait son vin, parce que c'est très tendance", vont dire certains, je le sais déjà: c'est justement ce que j'ai voulu vérifier en allant à la rencontre de ces hommes d'Astaffort, presque mes voisins. Rassurez-vous, ils ont une vraie démarche paysanne, dans le sens le plus noble de ce terme, la volonté de mettre la terre en bouteille. Je ne suis pas objectif une fois de plus et je n'ai pas vocation à l'être: Cet homme-là a tellement bercé les moments de ma vie, surtout les plus douloureux ou les plus intenses que cette rencontre a été pour moi bien plus qu'une visite de domaine, fût-il celui d'une personnalité. Mais jamais je n'aurais publié cet article si le vin n'avait été à la hauteur, et il l'est très largement.
J'ai parlé avec Francis Cabrel de LPV, de notre démarche, il a été très intéressé et m'a dit qu'il allait se précipiter sur Internet pour voir à quoi cela ressemblait. Il nous lira sans doute dans cette rubrique et j'espère qu'elle sera riche des commentaire des millésimes à venir.
L'article sur le 2004 est visible
Domaine du Boiron 2004, Vin de pays de l'Agenais
Pas plus loin qu'à un jet de sarbacane de la cité d'Agen, le vignoble de ce pays se cache un peu, il est timide et secret. Au domaine du Boiron, un homme a décidé de le faire revivre. Sans doute parce qu'il se sent ancré dans cette terre, dans ces paysages vallonnés aux collines rondes ; sans doute aussi parce que le passé est parfois une histoire et qu'ici même, la vigne était partout, avant que le phylloxéra ne produise ses ravages.
Pour gagner le domaine du Boiron, il faut quitter un peu la petite agitation du village d'Astaffort et monter trouver la quiétude qui se cache derrière de grands arbres ; des arbres pour toute barrière, au détour du chemin où la vieille pancarte indique « Boiron ». Ici, ce sont les bâtiments et la maison qui sont comme des bouts de village approchés près des forêts. C'est charmant, accueillant, bucolique et tranquille, sans ostentation : on doit y être bien. Ce lieu m'éclaire sur quelques mots glanés ça et là : Le monde n'est pourtant pas si loin … Comment effectivement trouver mieux ? Même si les mûrs de poussière ont été rafraîchis, l'esprit demeure.
Mais le vin n'est pas l'œuvre d'un seul homme : deux personnes travaillent à plein temps sur ces 10 hectares dont 7 produisent aujourd'hui, dont Philippe, le frère de Francis. Et puis il y a Mathieu Cosse, le copain, le conseiller technique qui justement se défend de trop de technique :
il veille, supervise, contrôle la production du vin avec ses amis. Humblement, il explique que c'est avec des raisins mûrs et sains que l'on fait du beau vin. « Voilà, c'est tout ce que je sais faire », semble-t-il dire, mais c'est déjà beaucoup.
Le vignoble est conduit selon les principes de l'agriculture biologique, mais ce n'est pas brandi comme un étendard, une banderole ou un argument commercial, une affaire de style…
Un style qui d'ailleurs transparaît dans le vin ; sans fard, sans tapage. C'eut été tellement facile pourtant de créer l'événement, de faire du marketing ; trop facile sans doute mais tellement loin de la philosophie des hommes du Boiron...
Les vignes sont jeunes, puisque Philippe et Francis Cabrel ont entrepris de planter en 1998 : cabernet, merlot et tannat. Si aujourd'hui, le cot n'entre pas encore dans l'unique vin du domaine, planté plus tard, il devrait dans l'avenir ancrer encore davantage le vin dans son terroir. Après, c'est juste une aventure. Francis aime à dire qu'il faut se donner le temps de voir ce que ça va donner avant de décider de quelque évolution que ce soit. Le premier millésime mis en bouteille a été 2003, un millésime très particulier qui n'a permis de produire que 6000 bouteilles. 2004 et 2005 ont été plus généreux. J'ai cependant cru voir dans ses yeux que ce millésime lui avait donné satisfaction ou l'avait, en tout cas, rassuré sur les potentialités du domaine et du terroir.
Sur ce terroir, justement, argilo-calcaire, où subsistent quelques graves, les vignes sont plantées en foule sur 2 collines quasiment parallèles, à l'orientation solaire : sud pour la première, sud, sud-est pour la seconde, derrière le chai, incurvée, formant un amphithéâtre naturel. Le sol est travaillé, les vignes sont enherbées pour favoriser l'enracinement. C'est à la vigne, en grande partie que se fait le vin du domaine du Boiron comme aime à le rappeler Mathieu et c'est plutôt réjouissant ! Les rendements sont limités, autour de 40 hectolitres à l'hectare, issus de vendanges manuelles, convoyées en cagettes pour laisser le raisin intact. C'est cette même volonté qui se poursuit au chai : manipulation du raisin précautionneuse, par gravité, égrappage total mais pas de foulage, encore une fois pour respecter l'intégrité du raisin (comme cette expression est belle, c'est sûrement vrai !). La finesse est recherchée avant tout, ce qui n'empêche pas les vins d'être solidement bâtis. Je dois ajouter, pour être tout à fait précis, que le tannat entre à hauteur de 30 % dans l'assemblage final. L'élevage a lieu en barriques qui n'ont été neuves que pour le millésime 2003 et qui sont d'un vin pour les millésimes à venir.
Le 2005 est encore en gestation dans les fûts et s'annonce très prometteur. Les vins frappent par leur densité qui n'exclue aucunement la finesse et l'élégance. Les robes sont intenses, opaques, impénétrables. L'assemblage merlot cabernet se caractérise par un boisé marqué sans être envahissant et qui laisse s'exprime un fruit généreux (cerise noire). C'est à la fois plein et élégant, doté d'une belle fraîcheur.
Le tannat est, quant à lui, d'un charme ravageur, noire violine, intense, sa prise de bois est moins perceptible. Les arômes sont un ravissement : cassis avec une touche difficile à traduire par des mots : cela évoque pour moi la fleur d'ortie, une note très fraîche. Cela peut évoquer aussi la groseille à maquereau. Je reviendrai volontiers goûter cet assemblage. Mathieu me confiait que dans ce beau millésime 2005, la difficulté résidait dans la maîtrise des extractions : il avait fallu ne pas trop forcer ce que la nature donnait naturellement cette année-là.
Commentaires de dégustation:
Le 2004 est un vin fini, très bientôt disponible: il est de la même veine, avec peut-être une constitution plus stricte. On mesure néanmoins les vertus de l'assemblage qui n'est jamais une somme, mais davantage une multiplication des valeurs complémentaires. La robe est une fois encore très sombre, confinant au noir, avec ce qu'il faut de reflets pourpres. Les arômes sont d'une grande pureté et jouent sur le registre des fruits noirs : cassis, myrtille. Une touche fumée et une autre plus mentholée finissent d'accomplir ce parfum complexe.
La bouche est charmeuse, avec un volume important à l'attaque qui laisse s'exprimer le corps imposant sans jamais ôter de la suavité de ce vin. Les tannins sont bien présents, cohérents et significatifs, c'est à dire mûrs et juteux, sans aucune rusticité. La longueur est belle ; c'est un vin gourmand dont on se ressert volontiers. J'aime beaucoup.
Les prix sont très sages, vraiment, autour de 12 €, le vin du domaine de Boiron est une belle affaire.
Pour moi, cela a été de belles rencontres, une belle journée et je ne demande finalement rien d'autre à la vie que des jours comme celui-là. Certaines images, encore, me reviennent un peu plus troublées que de raison.
J'emporte avec moi le souvenir de vins qui allient avec bonheur puissance et élégance, grand équilibre, pureté et fraîcheur. J'aurais pu me risquer à un parallèle avec la personnalité des concepteurs. Des vins qui ont l'accent, je sais, c'est un peu facile (c'est après tout le même que le mien), mais nous sommes bien dans une cohérence culturelle du vin du Sud Ouest. En outre, ils ont également une réelle personnalité et une très belle qualité : Une question d'équilibre...