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Jean Philippe - acte 2

  • François Audouze
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Jean Philippe - acte 2 a été créé par François Audouze

Jean-Philippe Durand, invité à passer quelques jours dans notre maison du Sud, décide de prendre en mains le dîner de ce soir. Ma femme a dû regarnir la maison d’une tonne de nouveaux matériels sophistiqués pour mixer, mélanger, hacher, concasser. Entre deux séances de tennis, Jean Philippe prépare ses sauces, hume les évolutions. La cuisine d’été est envahie d’assiettes diverses garnies d’ingrédients qui auront, à l’heure prévue, leur utilité. Mon gendre prépare le barbecue qu’il va faire fonctionner au petit bois, sans autre apport.
Le champagne Bollinger R.D. 1990 accueille deux préparations :
- velouté de patate douce au basilic
- véritable capuccino de moules au café
Il est assez évident que des amuse-bouche aussi contrastés vont révéler des facettes résolument distinctes de cet immense champagne. Sa distinction, son élégance frappent instantanément. Très typé, très fort, il impressionne. Sa longueur est remarquable.
La joue de lotte, zeste de citron au gingembre, coulis de pêche blanche au curry est un bonheur gustatif de première grandeur. L’Ermitage Ex Voto Guigal 2001 est un vin très puissant alors qu’il ne déclare « que » 13°. Je le trouve très brut, très anguleux, car les myriades de saveurs complexes qu’il étale sont relativement peu intégrées, signe que l’âge lui est nécessaire. Je pressens que ce grand blanc sera magnifique avec dix ans de plus. Sa fougue se dompte par le zeste et par le coulis passionnant. Comme on pouvait s’y attendre, le plat est d’une délicatesse rare.
Quand Jean-Philippe m’a donné l’intitulé du plat qui suit, ma réponse fut immédiate : Château Mouton-Rothschild 1987. Et ce fut de l’immense gastronomie, celle qui vous donne un coup de poing dans le cœur. Les allumettes d’espadon, oignons doux et poêlée de girolles ont eu une compréhension du Mouton que Jean-Philippe avait humé à l’avance (comme le rouge qui va suivre). Et ce Mouton, d’une année légère et élégante a dévoilé une élégance, une maîtrise d’un talent rare qui nous ont laissés pantois. Le vin est immense sur le poisson. C’est dans ces rares moments que l’on se rend compte que la cuisine faite par un amoureux du vin connaisseur prend une autre dimension. Des Senderens, Guy Savoy, Patrick Pignol sont de ce modèle là.
Transpercé d’une sonde thermique, la côte de bœuf n’avait qu’à bien se tenir pour arriver à la température voulue. La côte de bœuf au feu de bois, sauce cacao et fruits noirs, figues rôties est un plat simple et goûteux pour accueillir à la perfection Château de Beaucastel rouge 1982 d’un confort parfait. Très Beaucastel serein, calme, ce vin de 12° seulement, assez velouté a une séduction naturelle fondée sur sa franchise. Alors, sur une viande qui l’excite, ça fonctionne tranquillement. On est en 1982 plus décontracté que des versions plus récentes de ce grand vin qui a évolué comme la demande gustative d’aujourd’hui.
Dans des grands dîners, j’aime toujours ajouter des vins inconnus. Plus inconnu que celui là, je ne vois pas, car imaginez ce nom : Alrokan grand vin moelleux, Bordeaux 1964, Mr Bossetti à La Rochelle. La bouteille est belle, avec une étiquette sobre passe-partout. Le liquide est joliment doré d’un jaune discret. Le nez est calme. La bouche est prudente. Je ne m’attendais évidemment pas à trouver un goût d’Yquem. Mais sur un roquefort artisanal, le vin s’ébroue avec intelligence, et sur une poêlée de mangues au gingembre, le vin devient charmant. Mission accomplie.
Ma femme étant championne du monde de la mousse au chocolat, c’est elle qui intervint, ma fille ajoutant une glace au poivron rouge pour mettre en valeur un Maury 1928 Domaine et Terroirs du Sud de plaisir premier : on ne lui demande pas de faire le saut périlleux. C’est bon, cela suffit au plaisir.
Ce soir, c’est de loin le Mouton 1987 qui a dominé les autres vins par une subtilité inégalable. Et l’accord de ce vin avec l’espadon est d’une émotion gastronomique de grande magnitude.
Discussions, rires, décontraction dans l’approche des vins. Une magnifique soirée.


Cordialement,
François Audouze
10 Aoû 2006 19:05 #1

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Réponse de Guest sur le sujet Re: Jean Philippe - acte 2

véritable capuccino de moules au café

J'adore ce genre d'approche ...
Je me rappelle de l'amuse-bouche proposé par Jean-Philippe :
- Huître Gillardeau, sabayon de camembert à la cardamome verte (la description fût de Pascal Perez) :
Une ou deux bouchée(s) coup(s) de poing, pour un plat extrême, jouant les funambules entre deux forces qui pourraient, en s’opposant, l’écarteler, mais qui se marient miraculeusement.
La puissance salée du fromage s’installe en maître d’entrée de jeu puis laisse progressivement place à une sensation iodée bienvenue et rafraîchissante.
L’huître pochée est magnifique et apporte un surcroît d’iode, mais aussi le croquant (si, si) nécessaire à l’ensemble.
La cardamome ne se ressent pas en tant que telle mais amène sa touche de fraîcheur.

Comment ce capuccino s'est-il plus précisément goûté ?
14 Aoû 2006 15:14 #2

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Réponse de Winemega - Alain sur le sujet Re: Jean Philippe - acte 2

Ca c'est ce que j'appelle un "régime" vacances.. ;)

et toutes mes amitiés à Jean-Philippe!

Alain

Alain Bringolf
"Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. Et lorsque le vin est bu, il faut se tirer.." - Le Chat
14 Aoû 2006 17:45 #3

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Réponse de J Ph Durand sur le sujet Re: Jean Philippe - acte 2

Le cappucino de moules est une de mes premières créations "explosives" et je la refais de temps à autre. Elle a été conçue initialement comme un défi provocateur à la mode des pseudo-cappucini qui ne sont en fait que des émulsions (cappucino de langoustines, de homard, d'asperges...) ; il s'agit bien ici d'une base de café avec un peu de crème fleurette. L'accord avec la moule était, dans mon esprit, cohérent et parlant. Selon le choix du dosage des deux ingrédients principaux, l'attaque est sur l'iode et la finale, sur les notes de torréfaction ou la réciproque.

François aime la gastronomie dans une certaine simplicité. C'est pourquoi il a préféré l'espadon, poêlée de girolles à la côte de boeuf, sauce cacao-fruits noirs. Effectivement, le vin de la soirée fut Mouton 1987 et l'oignon doux comme les girolles, cuits en deux temps, furent des accompagnements idoines. Du point de vue strict du cuisinier, la sauce la plus passionnante fut pourtant celle au cacao-fruits noirs dont la palette aromatique, la texture et l'acidité se voulaient comme un miroir du vin. La figue rôtie était l'élément rassurant, stabilisant de ce plat.

Plus que tout, je retiens de cette soirée exigeante l'ambiance merveilleuse, pleine de convivialité, de décontraction, de partage et de connivence qui règna autour de la table. François et son épouse sont des hôtes délicieux dont l'accueil, les attentions, la simplicité, la générosité témoignent de leur immense gentillesse ; leurs enfants, qui sont de ma génération, partagent la même passion et la même aménité. Je me suis retrouvé comme en famille ; cuisiner n'est jamais, pour moi, un acte gratuit : le sens du don est celui du présent, de la gratitude, de l'amitié.

Jean-Philippe Durand

Toutes mes amitiés à Laurent et Alain !

"La cuisine n'est que passion et partage" - Marc Meneau
18 Aoû 2006 08:57 #4

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