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un réveillon avec des grands vins, mais où la cuisine joue un rôle majeur.

  • François Audouze
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J’ouvre tous les vins vers 16h30, et dès 17 heures, notre ami, chef à ses heures mais ses heures sont larges, a réalisé une cuisine d’un éblouissement absolu. Tchaïkovski a présenté au Bolchoï des ballets célèbres. A coté de ce chef amateur bondissant, sentant le col d’un flacon, soupesant une chair, la lardant de thermomètre, créant des fumets dont il faut vérifier l’acuité en bondissant de nouveau, le Lac des Cygnes est une réjouissance de pensionnat. Chaque geste est précis, chaque épice est soupesée au trébuchet des parfums de mes vins. Ce ballet dura jusqu’à quatre heures du matin de la nouvelle année tant les sauces devaient s’actualiser à l’épanouissement des odeurs.
Nous passons à table. J’avais choisi un Fendant Pétillant Ravanay Les fils Maye SA Riddes 1959 pour plusieurs raisons. D’abord, la beauté diabolique de la bouteille et ensuite pour envoyer un signe : si l’on ouvre Krug Clos du Mesnil, il faut aussi mettre à l’honneur des vins moins recherchés. Le fendant annoncé pétillant n’a pas la moindre bulle. Son bouchon est le bouchon d’un vin et non d’un mousseux, aussi ai-je l’impression que la bulle est absente plutôt que disparue. On peut penser qu’elle n’a jamais existé. Le vin aux tonalités citronnées est extrêmement expressif. Inclassable, énigmatique, il révèle toutefois une belle identité jurassienne. Vin intéressant comme le fut le Côtes du Jura de Noël, il épouse exactement un caviar osciètre d’Iran sur coussin d’artichaut. Le caviar est dur au goût et salé, l’artichaut le canalise, et le fendant enveloppe le tout pour procurer une belle exactitude de saveur.
L’ouverture d’un Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 est un moment rare. Nez intense d’une race immense. La noix de Saint-Jacques juste saisie sur un coussinet de radis noir et lait virtuel de pomme acide fait ressortir toute la transcendance du Krug. Je me disais que je ne vois aucun vin qui pourrait combiner avec une telle justesse une puissance imposante, une élégance impressionnante et une expressivité de contenu rare. Mêler ces trois composantes en les poussant à ce paroxysme me paraissait impossible à égaler. La suite allait me donner tort.
La Mission Haut-Brion 1926 est le seul vin ancien que j’aie apporté dans le Sud pour les réveillons. Ne pouvant lire la date tant l’étiquette a été lacérée, c’est le bouchon qui l’a indiquée avec une certitude absolue. Le bouchon très noir et gras sur un tiers de sa hauteur est beau, souple sur le reste, ayant bien fait son office, même si le niveau avait un peu baissé. La merveilleuse et capiteuse odeur à l’ouverture m’avait conduit à reboucher. J’ai eu tort d’être peureux, car une aération complémentaire aurait atténué l’acidité qui gêne un peu le plaisir. Le plat est un ris de veau aux truffes noires du Piémont. Le vin est étonnamment jeune et il a encore du fruit. Si l’on sait oublier un instant l’acidité, on trouve un message éblouissant. J’ai pour 1926 un amour particulier car c’est l’année de la plus belle réussite de Haut-Brion. C’est la première fois que je goûtais son cousin dans cette année qui me séduit tant. Il n’a pas trahi la famille, car les cotés capiteux, onctueux, veloutés signent un très grand vin. Un plaisir rare, et une mise en valeur sublime par une truffe et un ris de confort rassurant.
Les uppercuts et crochets pleuvent sur nos papilles. Car La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992 est invraisemblable. A l’ouverture, les émanations de ce vin étaient incompatibles avec l’année 1992. Elles annonçaient une année de grande force. Et là, dans nos verres, c’est l’expression d’une puissance sans limite, d’un charme redoutablement vénéneux. Ce vin est diabolique. Sur le thon à la plancha, consommé de canette, poêlée de chanterelles, le vin danse la java la plus belle, celle qui ensorcèle. Le vin nous regardait les yeux dans les yeux, nous hypnotisait de bonheur. Transporté par le plat, il exultait. J’ai bu de nombreuses fois de très beaux La Tâche. Mais à ce point de séduction, même le gigantesque 1990 fait clergyman réservé, si c’est envisageable.
Le pavé de filet de biche, jus court à la figue, poêlée de topinambour est un plat extraordinaire. Il y a à la fois la façon, mais aussi la qualité de la viande. L’Hermitage rouge Domaine Chave 1998 aurait dû s’en servir de propulseur. Mais si l’on trouvait bien tout ce qui fait la pertinence de ce bel Hermitage, je n’ai pas trouvé la pétulance que j’attendais. A cet instant, c’est le plat qui a la vedette et non pas leur union.
Le Tokay Pinot Gris Hugel Sélection de Grains Nobles 1990 avait de loin à l’ouverture le nez le plus serein. Ici, il impressionne par sa décontraction. Il est comme ces champions de foire qui attendent de se faire défier et ont le sourire de la confiance absolue en leur suprématie. Le Tokay est là, et il le sait. Alors, sur le foie gras poêlé, compotée d’oignons à la cannelle, façon chutney, il trouve un partenaire justifié, et il donne un récital de saveurs complexes du plus haut niveau. Quel grand vin, sûr de lui et dominateur. Et quel accord d’une précision extrême.
Les baisers de bonne année ont été échangés depuis bien longtemps, et mon chef ami virevolte toujours pour ajuster chaque composante des plats. Nous tricotons nos votes futurs pour les plus beaux vins de la soirée. Tous ces bulletins sont à mettre à la corbeille, car arrive le Château Gilette crème de tête 1949. Rien ne peut être plus beau que ce sauternes totalement équilibré, sculptural, archétypal. Il est la définition de la perfection du sauternes. Un équilibre comme on ne peut pas en imaginer, une longueur infinie, il ne manque pas un seul bouton de guêtre à ce valeureux soldat. Un délicieux stilton va lui permettre d’éclore. De nombreuses discussions avaient eu lieu au sujet de l’ananas victoria rôti coulis à la mandarine. Je persiste à vouloir l’agrume pur. Le dessert absolument sublime, certainement le meilleur ananas de ma vie, éteignait le Gilette. J’ai suggéré que l’on poêle quelques tranches de pamplemousse rose. Et là, perfection culinaire absolue, le Gilette chantait dans nos palais investis et conquis.
Le classement des vins ne fut pas très difficile, même si tous les votes n’étaient pas identiques. Dans l’ordre : Gilette crème de tête 1949, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992, Krug Clos du Mesnil 1986 et La Mission Haut-Brion 1926. Jamais, dans aucun de nos réveillons en cercle familial ou amical, nous n’avons été confrontés à une cuisine d’une telle perfection. Cet ami qui a élevé la cuisine au rang de la passion, a pu faire ce qu’aucun chef n’a réellement le temps de faire : chaque composante des plats a été vérifiée en fonction de l’évolution des parfums de son vin. Ce fut éblouissant. Des grands vins ont été ouverts ce soir. La cuisine leur a rendu hommage. Nous, nous le rendons au talent artistique de notre ami Jean-Philippe Durand.
La cuisine légère, suivant certaines inspirations de Marc Veyrat, allait permettre que dès le déjeuner du 1er janvier, affecté d’un petit décalage horaire, la fête reprît de plus belle.
Le foie gras poêlé au vinaigre d’agrume va permettre de constater à quel point le Fendant Ravanay 1959 est un grand vin. Il a perdu tout défaut. Sur une trame dense, il déploie une belle palette aromatique, et devient vraiment un vin respectable. Il est évidemment plus fait pour le foie gras. Je lui avais trouvé un aspect beurré qui le rend gras aujourd’hui. Je suis fier d’avoir donné une chance à ce vin de devenir grand.
Nous gérons évidemment les restes de vins de la veille, mais quand Jean Philippe annonce un ris de veau aux truffes blanches d’Alba, sauce vanillée à la poire, je me demande ce que l’on pourrait boire. Mon beau-frère dégaine plus vite que moi et ouvre Château de la Gardine, cuvée des générations Marie-Léoncie, Châteauneuf du Pape vieilles vignes 2000. Ce joli vin encore bien jeune va parfaitement accompagner la truffe blanche et le ris à la texture délicieuse. Une nouvelle version de la pomme de terre et truffe noire, sauce crémeuse à la truffe va me faire pousser un ouf de soulagement. L’Hermitage Chave 1998 a bien profité d’une nuit d’oxygène. Il est maintenant devenu ce qu’il doit être. Ce vin que j’adore, que j’avais trouvé très en dedans, est devenu viril, épicé, excité par la truffe, avec quelques notes discrètes de fruits rouges, et de belles expressions de poivre. Il s’est ossifié et a gagné en longueur de façon spectaculaire. Sur le Stilton, le Tokay Pinot Gris Hugel Sélection de Grains Nobles 1990 confirme l’impression de la veille : c’est le dandy sûr de lui, qui en a tellement à raconter qu’il faudrait vingt plats pour explorer tout le potentiel qu’il a. Un ravioli de mangue à la pulpe de pamplemousse rose va mettre divinement en valeur le Château Gilette crème de tête 1949 qui a encore gagné en assise. Ce vin est immense, et le dessert lui va bien. De délicates tuiles au miel d’acacia finissaient en douceur la suite du réveillon.
Naïvement, je pourrais penser me reposer. J’ai cru entendre au détour de propos de cuisine qu’il est question d’un risotto de truffes blanches pour ce soir. Je suis prisonnier comme dans l’émission du Loft, ne pouvant plus m’échapper de cette haute gastronomie.


Cordialement,
François Audouze
01 Jan 2006 18:32 #1

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Bref, pas de quoi rivaliser avec mon jambon-fromage-crudité et oasis de ce midi ;)
A la lecture du post c'est bizarre, j'ai encore faim....

2tone
02 Jan 2006 13:32 #2

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François

Superbe,

Je posterai dans qq jours le cr d'un superbe menu que nous a proposés Jean-Philipe en décembre :
- Gillardeau en sabayon de camembert à la cardamome :
- Royale de foie gras au coulis d’agrumes :
- Noix de Saint-Jacques, salsifis fumé virtuel, coulis de pomme acide :
- Allumettes d’espadon, consommé de canette, crème de riz à la truffe :
- Ris de veau en croûte de pain d’épices, jus à la lavande :
- Foie de veau vapeur, topinambour, coulis de griotte acide :
- Filet de biche, jus à la réglisse et à la truffe, mousseline de
- Stilton de la Maison Barthélémy :
- Ananas Victoria rôti, sirop aux fleurs de lotus :

Une Tâche 92 à très haut niveau ?
02 Jan 2006 19:58 #3

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  • François Audouze
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Laurent,
Nous avons tous les deux la chance d'avoir bénéficié de l'incroyable talent de Jean Philippe Durand. Ce fut une gastronomie d'une rare qualité.

Presque aussi bon que le sandwich de 2tone, si vous voyez ce que je veux dire.

Oui, j'ai aimé La Tâche 1992, étonnamment puissant au nez à l'ouverture, et magnifiquement pervers en bouche. On peut être brillant, même sans avoir la puissance d'un 1990 que j'ai adoré car il est magistral. Là, on n'est pas dans le magistral mais dans le séduisant.


Cordialement,
François Audouze
02 Jan 2006 20:46 #4

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François,

Dans le cr, nous nous efforçons, Pascal Perez et moi, de répondre auxx questions posées sur LPV par Jean-Philippe (sous forme d'une critique concrète de sa démarche).

PS : côté contexte : un accueil remarquable, généreux : un vrai bonheur hédoniste (qui n'a pas de prix ?)
03 Jan 2006 11:36 #5

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Modérateurs: GildasPBAESMartinezVougeotjean-luc javauxCédric42120starbuck