Il est communément admis qu'il n'existe que trois cépages en Champagne : le chardonnay, le pinot noir et le pinot meunier.
Or la réglementation en autorise bien plus, à savoir les diverses variétés de pinot, l'arbanne et le petit meslier. Mais où est donc passé le chardonnay me direz-vous inquiets ?
Rassurez-vous, le chardonnay est bien présent dans cette liste, classé dans la famille des pinots. Je ne suis pas ampélographe mais il semblerait que ce cépage ait un lien étroit de parenté avec la grande famille des pinots. Et oui, la consanguinité, les cépages s'en battent les rafles !
Une dernière précision concernant les cépages : le gamay fut également utilisé dans l'élaboration du Champagne jusque dans les années 50, essentiellement dans le département de l'Aube. Malgré le bon rendement qu'offrait le gamay, ce dernier fut rayé de la liste des cépages autorisés (sa qualité étant jugée insuffisante pour l'appellation).
Les trois cépages principaux représentent à eux seuls 99,7 % de l'encépagement champenois.
Pourtant certains vignerons ne se limitent pas à ces seuls cépages. L'arbanne et le petit meslier ont toujours subsisté.
Je me suis donc intéressé au cas des frères Aubry, vignerons à Jouy-lès-Reims, dans la Montagne de Reims (ne riez pas, le point culminant de cette montagne avoisine tout de même 300m !).
Un article de la RVF leur a été consacré en juin 2001, relatant leur volonté d'élaborer une cuvée à partir des sept cépages utilisés par ses ancêtres en 1790 afin de célébrer le bicentenaire de la maison.
Devant la difficulté de la tâche, cette recherche des cépages perdus s'est déroulée en plusieurs étapes. La première fut l'élaboration en 1993 d'une cuvée mêlant arbanne, petit meslier et chardonnay (l'idée date de 1986 !). Etape réussie qualitativement puisque cette cuvée termina sur la carte du restaurant rémois Les Crayères (une référence).
Afin d'en savoir un peu plus sur cette démarche, je me suis rendu, accompagné d'un ami en seconde année de DNO (en quelque sorte ma caution scientifique), chez les Aubry samedi après-midi.
Allez, direction Jouy-lès-Reims. Après un long périple de quinze minutes au départ de Reims, nous arrivons au numéro 6 de la Grande Rue. La façade du bâtiment arbore fièrement de nombreuses distinctions, en l'occurrence les citations dans les éditions du Guide Hachette, représentées par des plaques émaillées multicolores. On croirait voir la veste d'un général ayant fait toutes les guerres.
Nous sonnons. Philippe Aubry nous ouvre la porte et nous invite à le suivre dans la salle de réception. Une fois les présentations effectuées et après avoir expliqué ce qui nous amenait chez lui, nous entrons dans le vif du sujet en débouchant une première bouteille.
Il s'agit de la cuvée « Le Nombre d'Or sablé blanc des blancs » 1998, assemblage d'arbanne, petit meslier et chardonnay (la fameuse première étape). Les bulles sont fines et peu nombreuses. Le nez est sur les agrumes, l'orange notamment. Philippe le trouve légèrement réduit. A noter que cette bouteille n'est dégorgée que depuis deux semaines. La vivacité en bouche surprend un peu. On retrouve les agrumes et le miel. A noter une quantité de CO2 plutôt faible. Cette effervescence réduite en bouche est agréable. C'est une volonté de la maison pour toutes ses cuvées (la conséquence des longs vieillissements en bouteilles pratiqués ?)
Ensuite vient « Le Nombre d'Or - Campanae Veteres Vites » 1998, la cuvée qui nous a valu ce déplacement. On y retrouve les cépages chardonnay, pinot noir, pinot meunier, arbanne, petit meslier, fromenteau (pinot gris) et enfumé (meunier fumé) dans des proportions complexes.
Le nez est très ouvert et complexe (toutefois je n'arrive à identifier que le citron ; Philippe quant à lui énumère une liste assez impressionnante. Il le connaît bien son bébé !).
La bouche est bien plus ronde que celle du premier, avec une très belle longueur. Toujours cette faible effervescence, qui donne là vraiment l'impression d'être en présence d'un vin blanc.
J'apprécie beaucoup (bien mieux que le premier), le futur Å“nologue aussi. Philippe quant à lui préfère le premier et juge qu'il sera très intéressant dans un an ou deux. Moi je ne peux me permettre que d'apprécier à l'instant t, étant tout à fait incapable de juger du devenir d'un Champagne.
Pendant la dégustation de ce Champagne « bicentenaire » arrive un petit groupe de touristes belges en provenance de Halle. Quoi ? Nous ne sommes là que depuis une demi-heure et c'est déjà fini ? Heureusement non. Après avoir dégusté deux cuvées tout en restant debout, nos amis belges emballent et pèsent l'affaire en achetant 54 bouteilles, payées en grosses coupures. Le tout en 10 minutes. Mince ! Pourquoi je ne suis pas vigneron, moi ? Et encore, d'après Philippe, les Belges font en général bien plus fort.
Allez, attaquons la troisième bouteille. Il s'agit du Brut Tradition 1998, assemblage de chardonnay et de pinot meunier.
Le nez est discret, la bouche ronde mais avec une certaine fraîcheur. C'est un Champagne plus simple, idéal pour l'apéritif.
Et pour finir le Blanc de Blancs brut 1996, 100% chardonnay. Un pur Chardonnay dans la Montagne de Reims ? La Côtes des Blancs se retrouve aux portes de Reims suite à un mouvement géologique ou quoi ?
Décidément les frères Aubry ne font rien comme les autres. Leur 16 hectares (60 parcelles) répartis sur Jouy et les communes avoisinantes leur permettent de sortir des curiosités.
Le nez est fruité et minéral, agréable. Par contre la bouche est trop vive à mon goût (encore plus que la première bouteille ouverte).
Nous retiendrons surtout de cette dégustation « Le Nombre d'Or - Campanae Veteres Vites » 1998, vraiment atypique. Ca tombe bien puisque nous étions venus pour cela.
A noter que Philippe Aubry a été très loquace (la dégustation a tout de même duré deux heures). Il est très à cheval sur la qualité de ses produits (il vend notamment toutes ses tailles, même dans les grandes années, pour ne garder que la cuvée). J'avoue avoir été un peu largué par moment, quand la discussion devenait très technique. Merci au copain Å“nologue qui a parfaitement rempli son rôle dans ces moments délicats, me permettant ainsi de me recentrer sur mon verre. Je me suis toujours très bien entendu avec les verres !
Cette visite fut un parfait préambule à la soirée dégustation du même jour. Nous sommes d'ailleurs encore une fois retourné dans le passé en débouchant deux bouteilles à cette occasion.
Elle a bon dos l'Histoire !