En lisant ce message, j'ai immédiatement eu une pensée : quand on apprend à jouer au golf, on apprend qu'il faut fixer le point d'impact de la balle jusqu'à la fin du mouvement. Si on cherche à suivre la balle des yeux, elle va s'égarer, parce qu'on finit mal le geste. C'est à peu près la même chose pour le tennis.
Pourquoi cette évocation ?
Parce que le plaisir d'un vin n'est pas lié à sa valeur.
On regarde le prix au moment de son achat, comme on regarde sa balle pendant tout le mouvement, et après, quand on ouvre, on ne regarde que le goût, et pas le prix.
Je suis très agacé par des phrases (extrêmement fréquentes) du style : "hein, il n'est pas mal pour 9 €".
Si cette phrase est prononcée avant l'achat (comme avant l'envoi de la balle), ça me convient parfaitement, car on veut savoir ce qu'on achète.
Mais si c'est un ami qui le dit quand il me sert ce vin, alors là, j'ai envie de hurler. Car un vin ne peut pas être bon parce qu'il a coûté 9€. Il est bon s'il est bon. Pas à cause de son prix.
Le corollaire, bien sûr, c'est qu'il faut avoir le courage de dire qu'un vin à 1000 € est franchement mauvais. Et là, pas de snobisme inverse, puisque j'ai connu l'inverse où un vin était jugé "forcément" mauvais, justement parce qu'il avait coûté très cher.
Dans les deux personnes qui m'ont vraiment appris le vin, il y avait un véritable obsédé de l'authenticité qui, dès qu'il entendait le mot : "premier grand cru classé", disait : "de la merde". Car un vin coté, prisé, devait être "forcément" mauvais.
Donc, ma position est très ferme sur ce sujet : le prix, on y pense à l'achat. Et à l'achat, on dit : "je préfère ce vin à 12 € à celui qui coûte 35 €, donc je le prends". ça, c'est normal, parce qu'on gère sa fonction achat.
Mais après, un vin est bon s'il est bon. Pas s'il est cher (ou, pour les plus retors, justement s'il n'est pas cher).
Maintenant, venons à l'émotion. Quand j'ouvre une bouteille très rare, qui parfois n'existe plus, il est évident que j'ai de l'émotion. Mais si le vin est mauvais, je le dirai. Car je n'ai aucun besoin de me raconter des histoires.
Mais même avec un vin mort, l'émotion sera au rendez-vous. Et s'il est bon, alors ce sera l'extase comme lorsque j'ai constaté à l'ouverture que le Yquem 1861 au bouchon d'rigine était parfait. Et s'il est mort, comme cette Romanée Conti 1929 (la seule que j'avais), c'est triste. Mais l'émotion aura été positive.
Quant à optimiser cette émotion comme le demande jmm, c'est évidemment à table, avec la plus belle cuisine, qu'un vin va se sublimer. Et c'est là où j'adore mettre en valeur des vins inattendus : une Clairette de Die avec les LPViens, un Fendant 1959 avec Jean Philippe Durand, un blanc corse de 1948 avec un client qui s'attendait à un Montrachet, un Beaujolais 1947 qui bluffe des grands amateurs, etc..
Il faut bien séparer les genres :
- la fonction achat, où l'on parle prix et où on analyse la pertinence d'un prix
- la fonction formation, où, à l'aveugle, on jauge un vin par rapport à son propre goût
- la fonction plaisir, où seul le goût compte, sans référence à la valeur.
A partir du moment où l'on ne dit pas chez soi : "il n'est pas mal mon gigot, à 15 € le kilo", il n'y a pas de raison de faire appel à la valeur pour parler du vin.