Réveillon 2005 chez Pascal Perez
Une production Ganesh Club
Le contexte :
Le repas du réveillon, sur la base de recettes de grands chefs et de vins haut de gamme, avec Pascal au marché puis aux fourneaux, aidé par Jocelyne, Jacques et Laurence sur des assemblages parfois minutieux.
Les participants sont Pascal Perez (PP), Jocelyne Puibusque, Philippe et Laurence Lagarde, Jacques Prandi (JP) et Laurent Gibet (LG), qui assure également la présente synthèse.
Les vins ne sont pas dégustés à l’aveugle.
ED : Echantillon défectueux.
Les mets :
Huître Gillardeau n° 3 en gelée de concombre et caviar (Anne-Sophie Pic)
La recette a recours à du caviar pressé Petrossian : la quenelle qui donne cette touche noire à l’amuse-bouche est goûteuse, iodée, mais la consistance des grains dévalués un peu collante (si l’on a les moyens, ne pas se priver d’un caviar haut de gamme !). La gelée de concombre, presque translucide, fraîche et d’exquise consistance, a le grand mérite de ne pas prendre le pas sur l’ensemble. Sa couleur fonctionne comme un clin d’œil vert marin (type verte de claire). Elle dissimule une huître de magnifique saveur (subtile noisette) et de consistance charnue qui finit la bouchée dans une longue sensation iodée.
Foie gras de canard cru de la maison Cuq
Un mince rouleau de foie de canard cru cuit au sel, puissant, savoureux, parfaitement relevé de poivre. Un must !
St-Jacques snackées et laquées, gelée d'agrumes (Ducasse/Spoon)
Cette mosaïque visuelle riche est très réussie dans un bel ensemble de couleurs : quartiers entiers d’agrumes pelés à cru (citron, citron vert, orange, pamplemousse) et pâles St-Jacques coquettement saupoudrées.
La laque est constituée de : caramel, agrumes, tomate (un côté tomate séchée quand on la goûte seule).
Le « Snack » est élaboré à partir de : 3 poivres différents, poudre d’agrumes (zestes).
Il se peut qu’il y ait beaucoup trop de pistes dans ce plat complexe, sophistiqué.
Dommage, d’autant que l’on a envie de croquer la St-Jacques seule (cuisson nacrée et goût impeccables). Mais elle ne peut guère lutter dans cet habit trop grand pour elle.
Les citrons confèrent certes de belles tonalités de couleurs mais ils ont une acidité un peu grinçante ; le plat est ainsi « rentre-dedans » et la coquille (dans sa douceur) souffre.
L’amertume aurait aussi été moindre si les zestes avaient été blanchis préalablement (c’est un des conseils de cette recette minutieuse).
Une bonne manière de revoir l’harmonie d’ensemble :
- Blanchir les zestes
- Supprimer les citrons
Soupe de pommes de terre aux huîtres et truffe (Th. Verrat en Charente)
Belle composition visuelle vert/noir/jaune pâle, un peu moins colorée (moins tapageuse ?).
Un joli croisillon de ciboulette offre un beau contraste.
Huître Gillardeau magnifique ici aussi (crue), qui explose en bouche.
Truffe parfumée et croquante, qui sans surprise se marie très bien avec la douceur de la préparation à base de pommes de terre (de superbe consistance mousseuse).
Clin d’oeil littoral et un parfait accord rustique grand écart (terre/mer).
Pour moi, il manque une pincée de sel (on compense sans problème dans l’assiette au sel anglais Maldon).
Crumble de homard breton aux épices et aux fruits frais/secs (Ducasse/Spoon)
Chutney à base de raisins de Corinthe et de potiron (goûts de muscade et musqués).
Brochette de fruits frais (poire, pomme, raisin, …).
Belles couleurs (orange, rouge) : carapace écarlate, potiron.
Le crumble ne se sent guère (alors qu’il devrait apporter sa note croustillantes en contraste avec le moelleux de la chair du crustacé).
Un plat de homard exotique (épicé, fruité) intéressant (on retrouve un peu le même type d’approche voyageuse, fusion, dans le plat de St-Jacques) mais il convient de revoir les cuissons :
- Cuisson des pinces (3 minutes au court-bouillon puis rapidement poêlées) tout à fait adéquat
- Cuisson du coffre (5 minutes au court-bouillon + 6 minutes au four) trop poussée peut-être, car le reste de la préparation a tendance à sécher un peu la chair du crustacé.
Une bonne manière de revoir l’harmonie d’ensemble :
- doper le crumble
- et surtout arroser le crustacé de beurre pendant cette seconde cuisson.
Gauloise du Cros de la Géline – Gratin de côtes de blettes à la moelle et aux truffes
La volaille, issue d’un élevage haut de gamme du Tarn, est ferme et goûteuse, sa cuisson embaume la cuisine.
L’accompagnement très campagnard est un gratin (léger) à base de blettes, truffe, parmesan, moelle (recette Ducasse) : il est brillant d’évidence savoureuse.
Brie truffé (fromagerie Deux Chavanne)
Encore une fois, ce fromager propose un produit haut de gamme, parfaitement affiné, goûteux et moelleux, aromatisé par des éclats de truffe joliment prégnants qui permettent de rester dans la tonalité et l’énergie du menu. Quand le fromage, belle bichromie beige/noir, garde sa pertinence en fin de repas …
Entremets Java de la pâtisserie Michel Belin d’Albi : cœur de fraises semi-confites relevées à l'infusion de gingembre, crème fine au chocolat blanc, fond croustillant.
Design ludique, régressif (aspect virginal du nappage, décors en éclats de chocolat colorés : rouge betterave, jaune canari, vert angélique confite). Le chocolat blanc un peu trop prépondérant mais il est fin et bien compensé par le croquant du gâteau (on évite le piège de la monotonie languide) ; les fraises confites apportent leur touche délicieuse. Belle tonalité du gingembre, tout en retenue, qui dope astucieusement la douceur du chocolat blanc (et qui a orienté le choix du vin de dessert).
Les vins :
1. Champagne – Deutz – Amour de Deutz BdB 1999 :
JP16 - LG(16+) – PP16
- Une robe très pâle, presque blanche.
- Nez très jeune, très « blanc de blancs », délivrant des senteurs de brioche, de fleurs, de citron, de poire, de menthol.
- Bouche fine, élégante mais qui s’exprime encore bien peu (avec un trait d’amertume en finale). Elle manque aussi, ce qui est plus ennuyeux, d’une certaine verticalité minérale.
2. Champagne – Pol Roger – Cuvée Sir Winston Churchill 1993 :
JP18 - LG18 – PP17,5
- Robe logiquement plus dorée.
- L’olfaction est remarquable : cassis, framboise, pêche, morille, miel, épices, orange, fruits secs. Un léger rancio (noix) qui complexifie encore l’ensemble.
- La bouche est infiniment fine, en conciliant brillamment droiture et vinosité.
- Le regard un rien menaçant de Winston semble contempler cette expression hiératique et pleine (martiale). On peut penser à la noblesse d’un Bollinger RD.
3. Champagne – Taittinger – Comtes de Champagne BdB 1976 :
JP19 - LG19 - PP18,5
- Expression racée, d’une sublime complexité, possédant les avantages de l’oxydation tout en ayant gardé beaucoup de fraîcheur aromatique : pomelo, truffe, noix, parmesan, miel, agrumes.
- Bouche complète (ambroisie considérable), pleine de vitalité racée, comme sur pallier indéfectible. Un 1976 au flamboiement phénoménal, à l’acidité idéale. Bel écho entre les agrumes du plat et ces mêmes flaveurs présentes dans le vin, qui possède une force suffisante.
4. Corton-Charlemagne – Bonneau du Martray 1991 :
JP16,5 - LG16,5 – PP16,5
- Belle évolution de la robe.
- Le vin prodigue des notes variées : fruits blancs, miel, réglisse, épices, menthol, fenouil.
- La bouche, à l’expression ouverte, se décline sur ces goûts, mais elle manque (en tout cas pour moi en raison de son côté meuble) d’un peu d’amplitude tonique. Pour Jacques : « service minimum, mais contrat rempli ».
5. Corton-Charlemagne – Leroy 1999 :
JP(15) - LG(16+) – PP16,5/17+
- Le vin est très marqué par l’élevage, malgré un carafage de plusieurs heures.
- On ressent un peu de citron emprisonné par un boisé carcéral (torréfié, brûlé).
- Matière particulièrement dense, réglissée, laissant filtrer parcimonieusement quelques goûts de poire, de citron, d’anis. Un vin en sommeil, normalement réservé, indéchiffrable, réfractaire, pour lequel il est difficile de s’enthousiasmer. Jusqu’à quels sommets parviendra-t-il à se hisser dans 15 ans ?
- Cete expression mutique rappelle un peu celle du Meursault Rougeots 2000 de Coche-Dury bu chez l’ami Vincent à Bordeaux en novembre 2005.
6. Margaux – Château Palmer 1989 :
JP17 - LG16,5 - PP17/17,5
- Robe intense, vraiment peu usée.
- Exhalaisons moyennement complexes de minéral, de cèdre, de cassis, de réglisse, de cuir et de truffe, très « Pauillac ».
- Bouche plutôt austère et droite, sans trop de concession à la tendresse et à la complexité (cela dit, elle est encore jeune). Elle se livre dans un registre viril (encore plus si l’on tient compte de l’appellation et du millésime), pas trop chantant (dans une sorte de service minimum un peu hors champ margalien tout de même).
- Jacques trouve lui une bouche fondue, ouverte, sans brutalité. Bel accord avec la chair blanche et ferme du volatile.
7. Pommard 1er cru Clos des Epeneaux – Domaine Comte Armand 1991 :
JP14,5 - LG14,5 – PP15,5
- Robe presque noire, loin de certains canons de la Côtes de Nuits.
- Le vin distribue des notes de myrtille, de réglisse pour un profil particulièrement terrien (terreux, presque charbon).
- En bouche, on en vient presque à regretter le charme (relatif) du Palmer. L’austérité se transforme en rigueur excessive, pour une expression serrée et terreuse, à la sève réglissée un peu amère décidemment très acariâtre. Certains (dont je suis) lui reprochent de plus un aspect séchant, peu typé (madiran ?, cahors ?).
8. Alsace – Domaine Zind-Humbrecht – Pinot Gris Clos Windsbuhl VT 1990 :
JPED - LGED - PPED
- Mille fois dommage : le vin ne parvient pas à se débarrasser de ses notes bouchonnées. On aurait aimé sentir la résonance sur le gingembre de la pâtisserie. On aurait surtout aimé remonter le niveau et conclure en apothéose avec la classe de cette cuvée odorante et sucrée.
Pour (tenter de ) conclure :
- Après le superbe repas partagé le 18/12/05 chez Jean-Philippe Durand, Pascal produit ici aussi à sa manière un repas de fête de grande qualité, associant des plats classique/terroir et des plats plus innovants/branchés.
- Il s’appuie (au moins) sur les éléments suivants :
- sa passion et son talent
- du matériel à la hauteur
- des produits évidemment irréprochables (le Marché Victor Hugo et son large choix de beaux aliments)
- une application scrupuleuse des recettes : malgré le soin qu’il y apporte, elles ne marchent pas toujours autant qu’on l’espèrerait (cuisson du homard trop appuyée, amertume et acidité des agrumes, relative violence du poivre, un peu envahissants dans le plat de St-Jacques) ; cela peut être du au manque d’entraînement (la recette inventée par un chef, peaufinée, puis exécutée au pied de la lettre des dizaines de fois par la même équipe et stabilisée à un niveau qualitatif sans faille, totalement reproductible dans le même contexte). Au-delà des divergences de goûts entre individus, plusieurs causes sont possibles bien entendu (produits de base – on peut par exemple imaginer des agrumes adoucis, millimétrage de l’enchaînement des étapes de réalisation, précision du four ou de la température des feux et encore beaucoup d’éléments infimes potentiels intriqués qui font de la cuisine un art expert complexe)
- Nonobstant, on se délecte notamment de deux très beaux plats et d’un mémorable gratin de blettes truffé (et des pistes sont possibles pour améliorer les deux plats légèrement dissonants, en cuisant le coffre avec du beurre ou encore en atténuant la force de l’acidité pour moins brusquer les délicates St-Jacques).
- L’huître apparaît encore ici comme un mets de gastronomie à part entière.
- Le dessert de l’ami Michel Belin est intéressant ; il se mange bien malgré l’heure et la fatigue de fin de repas (les entremets ne jouissent pas des mêmes avantages que les entrées).
- Côté vins (qui dans l’ensemble déçoivent) :
- Le Comtes de Champagne 1976 est magique (précédé par ce très beau et puissant Pol Roger Churchill 1993). Il domine largement la série, de toute sa prestance trentenaire.
- Il faudra revoir le Corton Charlemagne 99 de Leroy et Amour de Deutz 99 dans 10 ans minimum.
- Palmer 89 assure mais manque de longueur et de complexité (et aussi de charme). A sa manière, le Corton-Charlemagne 91 de Bonneau du Martray joue un peu lui aussi en deçà.
- Le Pommard 91 des Comtes Armand se présente sous un aspect bien récalcitrant (a-t-il du moins le mérite de la typicité Beaunoise ?)
- Dommage pour Zind.
- Quand les vins ne déraillent pas, les accords plats/vins marchent bien.