Désolé de n'être pas tout à fait d'accord avec Jérôme, mais il faut distinguer les odeurs perçues par voie nasale (olfaction directe), des arômes perçus en bouche par voie rétro-nasale (rétro-olfaction). Chaque dégustateur sait bien que les arômes perçus en bouche sont quelque peu différents des odeurs perçues au nez. Il ne faut pas confondre l'odeur de café avec un arôme de café.
Je reconnais toutefois que le mot arôme est souvent indifférencié, ce qui ne signifie pas qu'il soit utilisé correctement.
En bouche, le fait de grumer (oxygéner énergiquement) le vin et la montée brutale de température favorisent l'échappement de molécules aromatiques plus lourdes de nature différente (ex: réglisse, boisé/fumé, épicé...) ce qui ne veut pas dire qu'au nez ces odeurs soient totalement absentes, mais elles sont différentes.
En ce qui concerne les saveurs, elles ne sont pas au nombre de quatre. Elles sont en fait beaucoup plus nombreuses.
Excusez-moi pour la longueur de l'article suivant signé Hervé This, mais il peut apporter un éclairage intéressant:
Le goût, sensation synthétique.
"On a insuffisamment précisé le vocabulaire du goût. On lit même, dans un document technique d’un centre professionnel que nous ne citerons pas, que « le goût est une sensation gustative perçue dans la cavité buccale ; il permet de percevoir les quatre saveurs à l’aide de la langue. Ce sont les papilles qui détectent les saveurs ».
Cette définition est non seulement tautologique (« le goût est une sensation gustative » : quelle révélation !), mais elle est, en outre, fautive de plusieurs points de vue. D’une part, si le goût est effectivement la sensation perçue dans la cavité buccale, ce n’est pas le goût qui permet de percevoir les saveurs, puisque le goût est une sensation, comme les saveurs. D’autre part, il n’existe pas quatre saveurs, comme on l’a longtemps prétendu et comme nous le verrons plus loin.
Bref, tout cela est bien confus, d’autant que même des scientifiques (qui ne sont pas des spécialistes de neurophysiologie sensorielle) parlent de gustation pour désigner la perception des saveurs, et non la perception du goût. Il est temps de tout remettre à plat, en se fondant sur les données récentes de la neurophysiologie sensorielle.
Préoccupons-nous d’abord des sensations. On ne changera pas le fait que les Français nomment « goût » la sensation générale qu’ils perçoivent en mangeant : un aliment peut avoir bon goût ou mauvais goût. Ainsi, le goût, c’est la sensation synthétique, globale, avant son analyse éventuelle, avant sa décomposition en plusieurs composantes.
Quelles sensations composent-elles le goût ? Approchons un aliment de la bouche. D’abord, il a une couleur, qui détermine notre appréciation de l’aliment. Si nous sommes mystifiés par les aliments diversement colorés (faites l’expérience d’ajouter des colorants sans goût à une même pâte de fruits, aux pommes par exemple, et donnez-les à déguster en aveugle, vous verrez les réactions !), c’est la preuve que la couleur est une composante du goût.
La sensation tactile, le toucher, détermine également le goût, mais notre culture, et l’usage général de couverts, nous a fait oublier ce phénomène (pensons-y : il y a peut-être là un germe de progrès culinaire pratique).
Puis nous approchons l’aliment de la bouche, et nous percevons son odeur. Cette odeur résulte de l’évaporation de molécules initialement présentes dans l’aliment. Plus ces molécules odorantes sont volatiles, plus elles stimulent en grand nombre les cellules réceptrices du nez.
On se souviendra que les molécules odorantes, qui sont perçues par le nez, stimulent parfois, également, d’autres récepteurs que ceux de l’olfaction. L’odeur sera alors à la sensation donnée par une molécule ayant des propriétés odorantes.
L’aliment vient maintenant en bouche. Certaines de ses molécules passent dans la salive, puis se lient à des molécules nommées récepteurs, à la surface de cellules spéciales de la cavité buccale. Ces molécules dites sapides sont celles qui donnent la sensation de saveur. Les cellules qui portent les récepteurs des molécules sapides sont regroupées en papilles (les petites zones rondes que l’on perçoit sur la langue).
A ce propos, il faut rectifier deux idées fausses. La première est l’idée qu’il existerait quatre saveurs dites « de base », ou encore « fondamentales ». Premièrement très rares sont ceux qui ont vérifié cette théorie : il faut, à cette fin, faire passer un courant d’air dans le nez d’une personne pour éviter que les molécules aromatiques ne remontent en cours de dégustation. Et si l’on fait correctement l’expérience, on découvre un monde insoupçonné.
Premièrement certaines molécules, tel le monoglutamate de sodium (présent dans de nombreux produits industriels : soupes, bouillon cube, sauces préparées...), ont une saveur qui n’est ni salée, ni sucrée, ni amère, ni acide. Cette saveur du monoglutamate a été nommée umami, et certains l’ont surnommée la « cinquième saveur », mais faites donc l’expérience de goûter une infusion de réglisse avec l’air passant dans le nez, et vous découvrirez que la saveur n’est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère, ni umami : elle est réglisse.
Alors, quatre, cinq ou six saveurs ? Sans doute plutôt une infinité : les neurophysiologistes découvrent depuis quelques années que chaque molécule a une saveur particulière, et que chaque langue les perçoit différemment. La seconde théorie fausse à abattre est celle d’une cartographie générale des papilles, l’extrémité percevant la saveur sucrée, les bords antérieurs la saveur salée, etc. Chaque langue est particulière, et, s’il est vrai que certaines zones perçoivent mieux certaines saveurs, il revient à chacun de connaître la cartographie de sa propre langue.
A noter, enfin, que les partisans de la théorie fausse des quatre saveurs ont souvent le plus grand mal a abandonner cette théorie avec laquelle ils ont été eux-mêmes endoctrinés ; ils donnent parfois comme argument que les enfants auraient déjà du mal à s’y retrouver avec quatre saveurs, alors plus… Cet argument est fallacieux, et il prend les enfants pour des idiots. Ces mêmes enfants ont-ils des difficultés à savoir que les couleurs sont en grand nombre : jaune, rouge, bleu, vert, violet, orange... ? Non, alors, n’appauvrissons pas le monde des saveurs.
Dans la bouche, l’aliment chauffé et décomposé par la mastication laisse évaporer d’autres molécules odorantes, qui remontent vers le nez par l’arrière de la bouche, par les « fosses rétronasales ». C’est encore l’olfaction qui est en jeu, et l’on pourrait réserver le terme d’arômes à ces odeurs.
Et dans la bouche toujours, d’autres molécules de l’aliment ont d’autres actions : par exemple, des molécules stimulent les cellules qui signalent la douleur ou la chaleur, engendrant la sensation de piquant. Et diverses cellules ou capteurs détectent les caractéristiques mécaniques, par exemple : ainsi percevons-nous le dur, le mou, le gras, le mouillé, etc. L’ouie intervient aussi : le croustillant fait intervenir la perception auditive, laquelle participe au goût.
L’ensemble des sensations, gustatives (saveur), olfactives (odeurs et arômes), mécaniques, proprioceptives, thermiques... est le goût, qui, une fois perçu de façon physiologique (le goût dépend des circonstances, de l’environnement, des convives de l’état de santé, de la culture, de l’histoire individuelle...), est interprété par le cerveau, qui lui associe des qualités d’après les expériences individuelles ou sociales (souvenirs, émotions, apprentissages, etc.).
Doit-on alors nommer gustation la perception de la sensation générale du goût ? Il faut alors nommer différemment la perception des saveurs. J’ai proposé le terme de sapiction.
Deux dernières précisions. Tout d’abord, à propos de flaveur : c’est un anglicisme, car le British Standard Institute dit bien que la flavour, c’est la sensation globale, qui inclut le taste (saveur), la colour (couleur), la texture (texture), etc. Autrement dit, le mot anglais flavour doit se traduire en français par goût, et la flaveur n’existe pas, en français. Certains ont voulu utiliser le mot flaveur pour désigner l’association de la saveur et de l’odeur, mais cette combinaison n’est ni perceptible (on ne peut s’affranchir des autres composantes du goût) ni mesurable. Il faut laisser tomber cette chimère.
D’autre part, qu’est-ce qu’un arôme ? Il y a d’abord des préparations aromatiques, vendues par de grandes entreprises, qui extraient des molécules odorantes (notamment) des tissus végétaux et animaux, produisant des « arômes bolet », « arômes vanille », etc. Il y a aussi une sensation : celle que l’on a, par exemple quand on boit du vin et que, parmi mille sensations confuses, on reconnaît du fruit rouge. Cette composante du goût, synthétique, faite de saveur, d’odeur, de texture, de trigéminal… c’est un arôme. Autrement dit, l’arôme est une composante identifiable du goût."
Hervé THIS
Groupe INRA de Gastronomie Moléculaire,
Laboratoire de chimie des interactions moléculaires (prof. Jean-Marie Lehn)
Collège de France.
Groupe INRA de Gastronomie moléculaire,
Ingénierie Analytique pour la Qualité des Aliments, IAQA, UMR 214
Laboratoire de Chimie Analytique
Institut National Agronomique Paris Grignon (INA P-G)
Conseiller Scientifique de la revue Pour la Science
Pour ceux qui voudraient compléter cette info, reportez-vous au CDRom édité par l'INRA intitulé: "Comprendre le goût": c'est une mine de renseignements!
Navré d'avoir été aussi long,
Vincent, ne vous inquiétez-pas, cela me passera (enfin, peut-être!)
Cordialement
Andréas