Certaines dégustations sont si marquantes dans la qualité et l’homogénéité des vins présentés et offrent des bouteilles à l’harmonie si évidente qu’on se dit en sortant, même sans être ivre , « quelle magnifique soirée ! », exactement comme on sort d’un film envoûtant ou d’un concert génial. Quand l’émotion est au rendez-vous, que vous avez l’impression d’avoir caressé la fibre d’un ou même de plusieurs flacons grandioses, que vous avez l’illusion d’en savoir un peu plus sur ce qui fait un grand vin, et qu’en plus vos facultés de dégustateur étaient en éveil, on a là tous les ingrédients d’une dégustation réussie. Il en est allé ainsi de la séance consacrée aux Rhône Sud 2001 aux Caprices de l’instant, à Paris, le 20 Septembre 2007. J’étais réellement enchanté en rentrant chez moi, la tête vidée de tous les soucis,…le bon vin doit être un antidépresseur et un antigrisailleur très efficace !

Pour commencer, disons qu’il a plu au moment de la floraison au cours de ce printemps là, ce qui a occasionné une perte de récolte d’environ 20% en moyenne. Cela a probablement favorisé la concentration des raisins. Le climat devait faire le reste et le reste du cycle s’est déroulé sans incident notable.
Les vins servis ont été ouverts le matin pour la dégustation du soir, ils n’ont pas été carafés. Certains auraient probablement mérités de l’être, en particulier Beaucastel qui contient une proportion de Mourvèdre, cépage moins oxydatif que le grenache. La conclusion d’ensemble c’est que les vins ne sont pas encore prêts mais qu’ils présentent déjà un potentiel plaisir certain, à condition de les ouvrir bien à l’avance et de les servir frais. 16° semble être la température appropriée. Les degrés d’alcool élevés (14, 14.5 ou voire 15) empêchent un service à une température de 18° ou davantage.
Pour le reste, l’homogénéité des profils aromatiques, riches et complexes, restituant bien les cépages et la qualité des terroirs, la qualité des tannins et des équilibres fruits / alcool dans la plupart des cas, la longueur des finales, l’intensité et la sapidité des milieux de bouche ne laissent aucun doute sur le fait que 2001 est un très grand millésime de Rhône Sud.

Le plateau de vins présenté ce soir-là laisse tout simplement rêveur :

Rasteau, Domaine de la Soumade, cuvée Confiance
Cairanne, Domaine de l’Oratoire Saint-Martin, cuvée Haut-Coustias
Gigondas, Domaine du Moulin de la Gardette, cuvée Ventabren
Vacqueyras, Domaine Le Sang des Cailloux, cuvée Lopy
Châteauneuf-du-Pape, cuvée Cristia
Châteauneuf-du-Pape, Domaine du Vieux-Télégraphe
Châteauneuf-du-Pape, domaine de Beaucastel
Châteauneuf-du-Pape, Domaine de la Janasse, cuvée vieilles vignes
Vacqueyras, domaine Le Sang des Cailloux, cuvée Oumage

Nous nous sommes longuement extasiés devant les trois merveilles que constituent les Domaine de Beaucastel, la cuvée Oumage du Sang des Cailloux et la cuvée vieilles vignes de la Janasse. Trois vins à vrai dire assez différents mais qui présentent un niveau de qualité comparable. Techniquement parfaits, (pas de sensation alcooleuse par exemple), ces flacons présentent une complexité hors pair, associée à une très grande buvabilité. Leur texture et l’intensité de leurs milieux de bouche doivent en faire des compagnons de table remarquables.
Beaucastel présente une minéralité superbe, Oumage une pureté de fruit inégalée et Janasse vieilles vignes une complexité remarquable ainsi qu’une cohérence absolue entre l’olfaction et la bouche. Mention particulière à Oumage, mis en bouteille en 2006 seulement, une petite pépite disponible à hauteur de quelques fûts.
Vieux-Télégraphe a su se défendre très honorablement dans ce contexte très concurrentiel. Il nous a moins marqué mais c’est assurément un très beau vin qui vieillira harmonieusement.
Seule déception, le domaine Cristia, encore une fois à cause d’une technique mal maîtrisée qui donne un vin chauffant en bouche, un piège qu’on su éviter les autres. A noter que ce défaut peut provenir d’un ramassage trop tardif (degrés trop hauts).

Mais venons-en aux faits. Un premier choix de 4 vins est servi à l’aveugle :

Superbe robe pure, limpide, moirée, rouge carmin à grenat foncé. Belle olfaction de caramel, de pâte de fruits (cassis, framboises), de crème de café, de sirop de sucre, de havane ou de cigarillo, puis de fleurs, de réglisse, de marc de café. Bouche tendue, notes très nettes de framboises, de fleurs, de réglisse, sapidité magnifique en bouche, le vin ne faiblit pas, minéralité et goudron, superbe finale, avec une matière qui s'est faite onctueuse, belle acidité parfaitement intégrée, notes d'épices et de pâtes de fruits pour finir, un vin tout simplement complet !
Rasteau cuvée Confiance

Vin à la robe limpide, rouge carmin, moirée. Belle expression de grenache, framboises, confiture de framboises, réglisse, espresso, cigarillo, minéral et goudron, fleurs, belle complexité des parfums. En bouche en revanche, cela ne suit pas les promesses, peu de fruit, l'alcool ressort de manière désagréable et brûlante, tout s'aplatit et la finale est absente malgré une certaine tension minérale. Dommage.
Cairanne cuvée Haut-Coustias

Belle robe grenat, avec un signe d'évolution sur le bord du verre, pure, pas totalement limpide cependant, réfléchissant la lumière. Olfaction complexe : olive noire, notes empyreumatiques (café, réglisse, cachou, caoutchouc, roche brûlée), aubergines, gomme, belle palette de parfums, bouche qui va en s'élargissant, belle minéralité, olive et fruits noirs, violette, cassis, réglisse, sang, sapidité remarquable dans le temps en bouche, belle finale, à peine marquée encore par l'élevage, très beau vin, qui serait un régal à table. Gigondas cuvée Ventabren

Robe plus claire que le précédent, trouble, rubis très foncé, avec un léger signe d'évolution. Senteurs de bitume, de schiste, de cailloux, violette et réglisse, caramel, vinaigre balsamique, confitures. En bouche, on retrouve une complexité minérale, florale, notes de réglisse, grande pureté et beaucoup de sveltesse dans ce vin, le problème viendra après avec une sensation alcooleuse, un côté dissocié, une certaine astringence, rattrapés par une finale épicée, dans laquelle on perçoit nettement des notes d'herbes aromatiques (laurier, garrigue, romarin). Quel dommage cet alcool et cette astringence ! Vacqueyras cuvée Lopy

Le Rasteau et le Gigondas se présentent à leur meilleur niveau. Complexité, sapidité, fraîcheur, typicité, tout y est.
Le Cairanne souffre hélas d’un déséquilibre sur l’alcool. Dans une moindre mesure ce sera également le cas du Vacqueyras, un vin que j’ai déjà mieux goûté dans d’autres millésimes, notamment 1999. Cette sensation désagréable de brûlure en fin de bouche annihile tous les efforts, c’est pour moi un défaut rédhibitoire sur ce genre de cuvée.

On sert maintenant un vin qui n’était pas prévu au programme :

Robe trouble, présentant du dépôt, carmin, pas de trace d'évolution. Il y a un côté marin indéniable, algues (maki), végétal. En bouche c'est très fruité, pâte de fruits, réglisse haribo, à peine alcooleux, beau vin, un peu simplet cependant.
Cairanne cuvée Prestige 1999 Domaine de l’Oratoire Saint-Martin

Pas de surprise notable avec ce vin, c’est au niveau attendu mais la complexité n’est pas vraiment au rendez-vous. Encore une fois, ça chauffe légèrement en fin de bouche, c’est dommage.

Arrivent maintenant les grosses cylindrées, toujours à l’aveugle :

Robe plus claire, évoluée, trouble (une teinte acajou sur les bord). Nez de chocolat, de confiture de framboises et de mûres, sucre, sirop de canne, viande crue, fruit confit, caoutchouc, figue, superbe complexité, belle entrée en bouche, framboises, réglisse, cerise burlat, légèrement boucané (lard) et également floral, finale intense, épicée (paprika ?), on est en présence d'un magnifique vin, avec à peine d'alcool mais superbement intégré ! Du très haut niveau. Domaine du Vieux Télégraphe

Robe davantage grenat, limpide, légère évolution. Olfaction sur le pneu, la fumée, la réglisse, le goudron, une pointe de tabac et de cerise (burlat ?). Bouche sapide, peut-être un peu simplette, cerises et framboises, une pointe végétale mais hélas l'alcool ressort, brûlant, gros défaut, finale longue et minérale cependant. La bouche est malheureusement déséquilibrée, le fruit s'amenuise et s'effondre alors que la composante alcoolique ressort. Dommage. Châteauneuf du Pape, domaine Cristia

Vin introduit par une très belle robe sombre, limpide et transparente, avec un nez qui exhale de très loin. De plus près cela jaillit effectivement du verre : fleurs, cerises, parfums, compote de fruits rouges (ce vin donnerait presque faim), goudron et réglisse à l'arrière plan, clafoutis, fumé, minéral encore, envoûtant. Bouche très sapide, un brin d'amertume, maki (?), réglisse, évoluante vers une minéralité (roche grillée), des notes de fleurs, élégance, pas d'alcool qui ressort, superbe minéralité en finale, une pierre dans sa gangue, magnifiquement pur mais pas encore prêt. Quel superbe vin !
Châteauneuf du Pape, Beaucastel

Robe très sombre, grenat, limpide, avec un brin de dépôt. D'emblée, on est subjugué par la profondeur du nez, un puits de parfums : fruits noirs, liqueur de mûre, bois précieux (ébène), café d'une grande pureté, encore des bois précieux (palissandre, makassar), fruits d'une grande pureté, violettes, roses (on a envie de dire roses noires), épices (cannelle ?). La bouche n'est pas en reste, extraordinaire de pureté, longue, sur les fruits noirs, des parfums, des fleurs limites capiteuses, rétro-olfaction sur de la réglisse extrêmement épurée, quel fruit, une sorte de sirop de côte du rhône, prunes encore, une essence de vin, tout simplement grandiose !
Cuvée Oumage, Domaine Le Sang des Cailloux, Vacqueyras

Robe un peu moins profonde que la cuvée Oumage, trouble et grenat foncé. Nez surpuissant et complexe de réglisse, de minéral, de violettes, de goudron, de caoutchouc, mais aussi olive, résine, balsamique, on ne s'en lasse pas. Comme dans tous les grands vins, la bouche confirmera cette panoplie olfactive, magnifiquement pure sur des notes de réglisse, de minéral, de violette, de caoutchouc, soulignant une grande cohérence avec le nez. Ce vin est impossible à cracher tant l'évolution en bouche est riche, tendant maintenant vers le cassis, le minéral encore, les épices, le poivre. Equilibre parfait Alcool / Fruit / Acidité / Tanins, finale sublime, soyeuse, un vin d'extase.
Châteauneuf du pape, cuvée vieilles vignes, Domaine de la Janasse

En conclusion, une superbe dégustation, homogène et allant crescendo dans l'émotion. J’avais ressenti cela sur les Pomerols 1998, signe qu’un grand millésime visité et abordé sous différents angles donne un moment souvent inoubliable.

Amitiés

Zapata

belle série, Zapata, et merci pour les CR.

J'adore La Janasse VV 2001, mais je le trouve tout de même un peu chargé. Beaucastel 2001, de même que Vieux Télégraphe 01 confirment tout le bien que l'on pensait d'eux.

cordialement

Yves Zermatten

''J'adore La Janasse VV 2001, mais je le trouve tout de même un peu chargé.""

Je ne suis donc pas le seul !! j'ai acheté ce vin , suite à de nombreux commentaires élogieux sur LPV . Il faut bien choisir sa soirée pour présenter ce vin .

effectivement, ce Janasse VV 01 n'est pas un vin de soif

et il vaut mieux en partager une bouteille à 6 à table (en fin de repas, après les autres bouteilles, c'est là qu'elle fera le plus d'effet) que d'en siroter une bouteille tout seul devant une demi-finale de coupe du monde de rugby

Yves Zermatten

On peut cependant la siroter à 6 pour fêter une victoire en demi-finale non?

Apparemment, même s'il n'est pas encore prêt, Beaucastel 2001 est en train de s'ouvrir.

Lors de ma dernière dégustation, il y a une bonne année, il ne sentait pas grand-chose d'autre que la fourrure et l'urine, même après un long carafage.

A-t-il été carafé? Dans l'affirmative, combien de temps?

Et c'est quoi "maki"?

Janasse VV, oui ce n'est pas du vin de danseuse toute en dentelles, c'est clair. Je crois qu'il faudrait servir ce vin à 16°, pas davantage. Déjà, à la fin de la dégustation, il s'était réchauffé et ça peut accentuer l'impression de "charge".

Beaucastel n'a pas été carafé. Il aurait probablement mérité de l'être.
Maki : en référence à l'algue (?) noire qui enrobe les makis dans les restaus japonais. Assimilé à une note empyreumatique si tu préfères.

Amitiés

Zapata

Maki : en référence à l'algue (?) noire qui enrobe les makis dans les restaus japonais

C'est bien une algue: la nori.

MERCI Zapata pour ces très intéressants CR...

J'ai gouté de nombreux CHATEAUNEUF 2001 cette année, et parmi les vins cités ici, les VIEILLES VIGNES de LA JANASSE 2001 m'ont tout de même fortement impressionné (noté 17,50) , un peu au-dessius de BEAUCASTEL (17 de moyenne en 2 dégustions) et VIEUX TELEGRAPHE franchement en retrait (noté 15)...pas gouté Cristia 01...

Christophe,

Tout-à-fait d'accord quant à la qualité moyenne de Vieux Télégraphe 2001.