Avertissement :
Ce récit s'inspire de faits authentiques personnellement vécus par l'auteur.
Les protagonistes de l'histoire sont des gens absolument charmants, pour lesquels j'ai beaucoup d'affection.
Mes amis, je les aime pour le meilleur et, aussi, pour le pire...
Un véritable calvaire…
Renaud nous avait pourtant prévenus :
« On choisit ses copains, mais rarement sa famille ».
Sauf que…
Si je n’ai pas choisi ma famille, j’ai encore moins choisi les copains… de ma femme. Or, c’est bien chez eux que j’ai vécu un calvaire gustatif, une épreuve que je ne souhaite même pas à mon pire ennemi.
Samedi midi. Nous sommes invités à fêter les 40 ans d’une bonne copine. Famille, amis, ados, bébés, tout le monde est là. Peu intéressé par l’anisette et encore moins par le Clan Campbell, je jette mon dévolu sur une Belge. Blonde et bien titrée. L’apéro dure, dure, dure et nous passons finalement à table à… 16 heures.
Couscous pour tout le monde accompagné, au choix :
- De rosé couleur citrouille,
- D’un Saint Nicolas de Bourgueil d’origine douteuse,
- D’un verre de côte de bourg issu d’un bib fièrement estampillé
Chantet-Blanet.
Le Saint Nicolas de Bourgueil est à lui seul une invitation au suicide. Le parfait tuto, comme disent les jeunes, pour passer de vie à trépas dans d’affreuses souffrances.
Sous sa couleur violacée, le cabernet Franc prend en traître. On pourrait penser, de prime abord, qu’il ne nous veut pas de mal. Or, tel l’Alien de sinistre mémoire, c’est tout l’inverse. Dans la fête, personne ne vous entend crier.
Le Cabernet franc est un cépage extraordinaire : mûr, c’est pas terrible. Pas mûr, ce n’est pas bon. Encore moins mûr, c’est pire que tout.
Il y a plusieurs centaines d’années, les alchimistes cherchaient à transformer le plomb en or. Si certains cavistes – pas tous, hein ? - y arrivent désormais très bien, glorifions le génial négociant qui a réussi l’exploit de transformer du raisin en un assemblage de poivron vert, de pissenlit… vert et de poivre… vert. Le genre de salade improbable que même le plus barré des Vegan aurait du mal à ingérer. Mais qui rapporte tout de même son lot d’espèces sonnants et trébuchantes. Si toutefois les clients en réchappent...
J’aurais dû me méfier...
Rien qu’à l’œil, j’aurais dû me méfier. Au nez, je savais qu’il ne fallait pas. Mais voilà. LPVien je suis, LPVien je reste et la curiosité emporte tout sur son passage. J’en vois déjà qui rigolent :
« On ne t’a jamais dit que la curiosité est un vilain défaut » ?
Merde.
Je porte la coupe aux lèvres et, du calice à la lie, une gorgée aura suffi. Mon Dieu ! Qu’ai-je fait pour mériter une telle souffrance ? Pourquoi m’infliges-tu cet infâme jus de chlorophylle ? Ce n’est pas possible ? Le vigneron a vendangé les feuilles et a laissé les grappes !
A cette infusion de salade s’ajoute désormais une acidité décapante qui excite, comme il se doit, les glandes lacrymales.
Le vice ayant été poussé jusqu’à ne pas mettre de crachoirs sur table, je suis contraint d’avaler tout rond le redoutable poison. C’est à ce moment que commence réellement le calvaire.
Glissant lentement dans l’œsophage, le vin – puisque c’est marqué sur la bouteille – commence insidieusement son œuvre destructrice. Les tanins tout secs et tout durs produisent dans mon gosier le même effet que du papier de verre sur de la soie (car j’ai l’gosier soyeux). Ça râpe, ça ponce, ça lime, ça décape, ça décharne.
Une seule gorgée aura suffi pour me convaincre de ne pas retenter l’expérience.
Je jette alors un œil torve vers le Côtes de Bourg, généreusement distribué en carafe d’un litre. Que faire ? J’y vais ? Je n’y vais pas ?
Il est 16 h 30 et je n’ai bu, depuis mon arrivée, que deux bières et une gorgée de cabernet. Allez ! Je tente.
J’aurais dû me méfier...
Rien qu’à l’œil, j’aurais dû me méfier. Au nez, je savais qu’il ne fallait pas. Mais voilà. LPVien je suis, LPVien je reste et la curiosité emporte tout sur son passage. J’en vois déjà qui rigolent :
« On ne t’a jamais répété que la curiosité est un vilain défaut » ?
Re-Merde.
Des Côtes de Bourg, il y en a des bons. Mais voilà. Je ne suis pas tombé sur le moins pire. Celui-ci a au moins le mérite de faire passer le goût désagréable qui pollue mes papilles depuis 10 mn. La feuille de cassis et le poivron – moins vert – jouent leur rôle de détergeant naturel. Les tanins accrochent et, tels une crème à récurer, retirent de la bouche ce qu’il reste de matière. La langue pendante, l’œil hagard, la respiration saccadée, je m’interroge sur ce que j’ai pu commettre pour mériter un tel châtiment. Chantet-Blanet fait déchanter le palais.
Mais le meilleur reste à venir…
La Badoit fait doucement son œuvre bienfaitrice. Litre après litre, elle apaise le feu violent qui ravage mon œsophage tout en éliminant les dernières molécules de solanacée.
Le dessert arrive et, avec lui, les bulles. D’emblée, je sais que la fête n’est pas finie.
De loin, la forme de la bouteille m’indique que je ne reverrai jamais les gens – si gentils – auxquels je dois mon invitation. Le verre, d’un vert très… vert, même plus que vert, porte fièrement son étiquette sur laquelle est inscrite la mention « vin mousseux de qualité ».
Et, comme si cette promesse de qualité ne suffisait pas, a été ajoutée une belle pastille autocollante sur laquelle figure la mention
« Saveur de l’année 2017 ».
Vin mousseux de qualité + saveur de l’année 2017 = velours de l’estomac + régal des papilles.
C’est, à n’en point douter, ce que n’importe quel être normalement constitué doit en conclure.
Sauf que…
Charles V…ER rime avec Enfer. Avec Misère. Avec Ether. J’avais déjà été confronté au breuvage de Charly dans le cadre professionnel. Une collègue, avec laquelle j’entretenais pourtant de fort bonnes relations, avait cru bon d’acheter ce vin mousseux à l’occasion d’une inauguration. Nous ne travaillons désormais plus ensemble (véridique).
Six ou 7 ans plus tard, la même partition est rejouée. Comment peut-on produire un vin aussi mauvais ? Comment réussir la désunion et la dissociation des saveurs dans une bouteille ?
D’ailleurs, en parlant de bouteille, une chose m’a choqué. Oui, choqué : alors que le vin-mousseux-de-qualité-supérieure, dans le verre, se la joue grand geyser du Yellowstone, pas une bulle ne s’accroche aux parois de la bouteille une fois celle-ci ouverte. Il y aurait de l’eau dans la quille que cela ne mousserait pas plus. D’aussi loin que je me souvienne je n’ai jamais constaté ça ailleurs.
Dans le verre, le mousseux blanc mousse et remousse encore. Il est désormais temps de goûter.
J’aurais dû me méfier...
Rien qu’au nez, j’aurais dû me méfier. Je savais qu’il ne fallait pas. Mais voilà. LPVien je suis, LPVien je reste et la curiosité emporte tout sur son passage. J’en vois déjà qui rigolent :
« On ne t’a jamais répété que la gourmandise est un vilain défaut » ?
« … ».
C’est terrible. Dès l’attaque, je sais que c’est mort : acidité et odeur disons… éthérée et rien de plus. Odeur de mauvais vin. Odeur d’un truc dont on sait d’emblée que ce ne sera pas bon. Ce que la bouche confirme de façon éclatante, imparable, magistrale. Nous avons trois vins dans le même verre :
- Un vin amer,
- Un vin acide,
- Un goût de vin (car c’en est).
Mais là où le champion s’affirme, c’est que ces trois goûts, saveurs, sensations – appelez-les comme vous voulez – cohabitent sans jamais se mélanger. C’est tellement dissocié que c’en est caricatural.
L’attaque est acide, la bouche est amère et le goût est immonde. Immonde et indescriptible tant il ne correspond en rien à ce que je connais du vin. Hormis l'éther, je ne vois pas autre chose.
Pas de fête réussie sans Charly !
Des vins, j’en ai bu pas mal. Des bons, des moins bons, des franchement pas bons, venant de tous les vignobles. Dans toutes mes dégustations, il y avait des éléments qui me permettaient de dire pourquoi ce n’était pas bon : structure, parfums, goût équilibre, défaut… Là, tout est combiné. Ce vin n’est pas bon, POINT !
Lorsque je lâche un virulent
« Putain ! C’est dégueulasse ! », ma femme me fait les gros yeux mais convient tout de même, en chuchotant
« qu’effectivement, c’est dégueulasse »
. Les verres à moitié remplis restent sur la table. Un jeu est annoncé. Il faut mener une enquête dans la maison pour savoir qui, quand, comment et pourquoi, a volé les bijoux de la Comtesse.
La prochaine fois, je proposerai ma propre enquête. J’ai déjà une petite idée du scénar…
« Un anniversaire est organisé. Tout le monde s’amuse jusqu’à ce que 3 vins soient servis. Dans l’heure qui suit, de nombreux convives se sentent mal. Quel pinard a rendu malade toute la famille » ?