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Au Pied de la prison de Rouen

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Au Pied de la prison de Rouen a été créé par Cheesecake

1er mardi de juillet.
Après l’Auberge du 15, un autre rendez-vous m’attend, non loin d’une impressionnante prison aux murs hauts dominés par des froids miradors à chacun de ses angles.
De l’intérieur, ils s'élèvent, inaccessibles sommets vers la liberté. Le sang glacé, le temps d'une promenade. Singulière condition d’isolement et l’image d’un camp retranché.
Vu de l’extérieur, L’édifice rougi de briques froides vous donne l’envie de raser les murs et de filer à l’anglaise. C’est le Nord. Là encore un décor à la Simenon, un peu glauque dans un urbanisme violent et pour tout dire un rien déshumanisé.

Nous sommes pourtant à Rouen, Normandie, une belle rencontre et une de mes plus belles émotions viniques de l’année. Là même, dans un îlot préservé du temps en un quartier historique demeuré intacte. Le temps d’un autre siècle, à l’ère de l’industrialisation européenne, avant les guerres avant l’effroi. Dans une Architecture préservée, une rue comme à Liverpool. Souvenir du temps des productions manufacturées familiales et paternalistes où se côtoyaient sans trop se mélanger patrons, cadres et contremaîtres.

La dégustation est quelque part en soi une rencontre. Quand elle se fait à l’aveugle entre amateurs confirmés et passionnés de vin elle peut devenir exercice de style. Lorsque la rencontre entre deux inconnus est aussi l’occasion d’évoquer un « projet vin », elle peut être aussi une évaluation si ce n’est une mise à l’épreuve. Redoutable en tout, en premier en humilité.

J’arrive en retard, me traine après une nuit blanche depuis la région parisienne en empruntant l’A13, la veille de l’arrivée du Tour, à peine plus vite, sans dopage.

La table est mise, impeccable, au cordeau dans un joli désordre ambiant ordonné par une vie familiale mouvementée. Cela sent bon la cuisine, comme je sens l’impatience de mon hôte qui a préparé l’entrevue de longue date.

Au menu:
Entrée fraiche de la mer,
risotto au champignon en cocotte et agneau braisé…de 7 heures s’il n’a pas trop attendu
Fromages

Me rappelle ni le dessert, ni le café. Pas eu de café. Normal. On boit, on parle, j'écoute.

Le premier vin à l’aveugle est carafé. C’est un blanc. Nous ne sommes pas dans le noir, en aveugle total.
La carafe livre en transparence une « fausse robe oxydative » qui va me perdre. C’est un effet de carafe et de table. De nappe.
Avant même de goûter je me dis et énonce que le vin évoque la robe d’un de ces vins blancs d’Anjou « nature ».
Ce, dans la plus grande subjectivité et un début de délire hypoglycémique sous-tendu par le manque de sommeil.
Mode Bobo, vrais connaisseurs, tous les chenins mènent à Rome!
Peut-être est-ce le voyage en caisse, en un espace captif, monotone, et l’impression laissée par la prison. Encore.
Je rêve d’un vin libre.
Etrangement le vin dans le verre est d’un blanc légèrement doré. A l'opposé de la première impression visuelle. il me laisse pantois, en carafe.

Et le voyage commence. Un départ, un séjour, un retour.

Au nez, le vin est extrêmement mûr à sur-mûr, un rien fermé dans un premier temps, délicatement boisé, puis sur les fruits blancs à noyaux, la prune, la pêche, une pointe d’abricot, la mirabelle à l’eau de vie.
En bouche la boisson est suave, extrêmement ronde, large.

Cela aurait pu être un chenin d’Anjou, mais je ne reconnais ni le cépage ni le terroir. Encore moins derrière la force du vin, la beauté et l’élégance ligérienne.

Mon hôte m’aiguille, il trouve le breuvage salin et iodé.
Facile quand on a procédé à la décantation après avoir choisi habilement le vin en fonction de ses préférences viniques. Et du vigneron toujours.
Il n’a pas complètement tord même si ce n’est pas ce qui me vient à l’esprit, c’est en retrait avec la minéralité.

Le côté opulent m’emmène alors vers le Rhône sud. Mais là aussi, en faisant le tour de la question, je pense grenache blanc et Languedoc, pour le côté gras, quoique le vin reste équilibré, encore frais, même s'il est le reflet d'un climat en apparence solaire.
Effet millésime me susurre mon camarade de jeux.

Du jeu au je, je me rappelle une dégustation à l’aveugle dans un bar à vin de Pau avec des vignerons de Jurançon qui avaient décrété le vin originaire du Rhône nord quand la première impression m’avait évoqué un grand et naturel Sauvignon. Affirmation timide de ma part. Au bout d’un quart d’heure," Va pour le Rhône nord", tous ensembles. C’était un Sancerre...

Je me recentre, j’hésite et finalement avoue mon ignorance. Je ne connais pas ce vin. Je ne le reconnais pas. Et pour cause, je ne l’ai jamais goûté.

Le vin s’ouvre au détriment de la finesse, c’est le côté chaleureux et riche qui prend le dessus, une expression confite sans être exotique, fruitée, angélique.

C’est un chablis !!! Un 1er cru Beauregard 2009 du jeune Pico.

Dire que j’ai dégusté attentivement une même après-midi de mars et à deux reprises, seul puis en compagnie, 7 (sept) de ses vins embouteillés. Pas celui-ci.

Le Montmain 2009 fumé empyreumatique, sur les fruits secs grillés, m’avait laissé la même impression monolithique en bouche. Une impression de richesse au détriment de la tension et de la minéralité. Peut-être de l’expression du terroir, en tout cas de la représentation que je me fais du grand Chablis de garde. Un vin atypique bien que très au dessus de la médiocrité de l’appellation et qui de toute manière demandera du temps.
Temps qui lui restituera peut-être une acidité trop enrobée par la générosité de la matière.

Tiens, générosité, jeunesse, matière et potentiel. Ne serait-ce pas l’image du faiseur de ce vin là !

Echec relatif, et humilité. Je m’abandonne aux bonnes nourritures terrestres et à la riche conversation de mon hôte qui se dit inconditionnel du viticulteur, là où tout à son contraire j'ai préféré le Montmain 2009 de De Moore, plus dynamique et gourmand et pourtant issu de la parcelle du jeune Pico. Question de goût.

« Allez, tu vas te rattraper sur le deuxième flacon, c’est plus évident, c’est un rouge ».
Je crains le pire, j’ai peur du ridicule, j’ai envie de fuir. Suis encore au pied de cette satanée prison !

Effectivement, pas de doute, nous restons en Bourgogne. Liberté. La robe est celle d’un pinot, à peine soutenue, non collé, non filtré. Ou alors, il va falloir que la maîtresse de maison s’explique, je peux le penser en bon "macho". Il y a de la matière en suspension.
Confirmation dés les premières effluves. Un choc. Les parfums hésitent entre végétal frais, ronce, fougères, herbes fraîches et les arômes floraux, la rose de jardin délicate et dans toute sa jeunesse, la pivoine avec un côté épicé poivré.

En bouche, le vin est franc, direct et droit, un rien austère à la première gorgée, très près du raisin, avec un jus naturel qui ne peut sied à tous. il reste conforme à l’impression olfactive, végétal et floral d’abord avec une fin de bouche stricte sur de somptueux amers.
Je cherche le fruit, le côté suave du pinot pour me rassurer et retrouver mes repères.
Ils arrivent, comme la marée atlantique monterait au galop dans une baie sauvage des côtes d’Armor.

Retour de fruit sur la cerise, la griotte, les baies sauvages.
Le vin gagne en profondeur aussi.

Faut que je me lance, j’élimine la côte de Beaune après avoir pensé grand Volnay.

Le vin est campé sur sa verticale, du Nadir vers le zénith, la perpendiculaire, très à niveau. A ce stade plus terrien qu’aérien, il m’évoque un Morey- Saint- Denis, un premier cru, ou un vin côté Flagey, un Echezeaux pour son côté viril et fin sans en avoir le niveau.
Je me place dans un triangle Morey, Flagey, Nuits. C’est large, c’est vaste, question climats, infini dans le monde du vin.

- « Allez, je vais t’aider, c’est un domaine que tu as mis sur une liste de vin à l’échange sur LPV ».
Merci et Mea Culpa, je n’ai pas ouvert LPV depuis des semaines, des mois.

- «Un climat, un bout de parcelle, même pas une pièce ! »
- « ??? »

Je ne connais pas ce vin, je suis sûr de ne pas l’avoir goûté dans la multitude d’échantillons bourguignons dégustés cette année.

Il faut bien dire, s’avancer et prendre un risque. Si je n’ai jamais goûté ce vin, il m’évoque les vins d’un vigneron que j’ai dégusté à deux reprises. La première fois en 2003, en dégustation pure collective, et seul aux caves Augé.

Je me lance. Je me jette. Je me noie tout en me délectant de ce vin qui est aussi la forme aboutie d’une expression bourguignonne.

Timide et hésitant, faussement sûr :
- « Il n’y a qu’un vin qui pourrait ressembler à celui-ci",
connu de moi et déjà bu en millésime jeune aujourd’hui ancien, le 2001, c’est
- "le Vosne- Romanée « Les Jachés » de Bizot ! ».

PERDU !!!

C’est un Vosne-Romanée « Les Réas » de BIZOT.

De l’humilité à la reconnaissance, il n’y a que quelques pas. Je peux me laisser bercer par l’abondante conversation de mon hôte qui sait parler quand il n’écrit pas, en me délectant de cette boisson des Dieux dont je veille à me garder toujours une part.

Un ange passe.

Le vin est sèveux, passe sur un registre sauvage, un poil animal, plus violent dans son expression, plus mûr au niveau du fruit, plus chaleureux à la répétition. On sent la rafle, sans ressentir une vendange entière. Et pourtant. Carafé, le vin se fige sur un registre plus végétal un soupçon amer, et finit par enfin montrer ses limites, il prend des notes de cola. Epuisé, à mon image.

Avant que la journée ne s’achève.
- « Le millésime ? »

J’hésite à peine.
- « 2007 »

Il me faut rentrer sur Paris, mon hôte a oublié ses gosses chez la nounou.
Le temps profane reprend son cours.

Cheesecake

En persévérant, j'arrive à me persuader qu’en tout homme il y a du bon. Il suffit de s’inspirer de la nature et des éléments.
En dernier recours, l’homme peut encore s’élever en levant le coude et sortir ainsi des pires labyrinthes.
10 Juil 2012 21:42 #1

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Réponse de Vougeot sur le sujet Re: Au Pied de la prison de Rouen

Moi, j'ai trouvé le nom de ton hôte...;)
Prison + Pico + Bizot + longues discussions + oubli des gosses = philosophe priapique ! :D

Très beau texte !

[size=x-small]J'aurais bien voulu en être...[/size]
11 Juil 2012 09:48 #2

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Réponse de Gildas sur le sujet Re: Au Pied de la prison de Rouen

C'est vrai que c'est toujours une " Bonne Nouvelle " que d'aller chez lui ;)
11 Juil 2012 10:06 #3

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Réponse de Cheesecake sur le sujet Re: Au Pied de la prison de Rouen

Merci Gildas et bravo à Vougeot pour la rédaction;)

Je découvre le "reportage", et je me dis que rendre visite à Priape s'inscrit bien dans un continuum commun.

Bien envie de participer à une de vos petites sauteries en nombre, histoire d'amener ma pierre à ce bel édifice et quelques cols pour soutenir ce temple érigé en l'honneur de tous les dieux du vin, du cœur, de l'intelligence, de la fraternité et de l'amitié.... et de la raison en cherchant bien.

Cheese:)

En persévérant, j'arrive à me persuader qu’en tout homme il y a du bon. Il suffit de s’inspirer de la nature et des éléments.
En dernier recours, l’homme peut encore s’élever en levant le coude et sortir ainsi des pires labyrinthes.
11 Juil 2012 16:08 #4

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Réponse de rzac23 sur le sujet Re: Au Pied de la prison de Rouen

Pour participer tu devras te livrer au rituel du Croizet Bages !


Franck L. "Patatement vôtre"
LPV Haute Normandie.
11 Juil 2012 17:11 #5

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Réponse de Cheesecake sur le sujet Re: Au Pied de la prison de Rouen

Est-ce à dire que si l'on est pas au niveau de votre noble assemblée voire que l'on se rende coupable d'une quelconque trahison, le rituel rappelle que l'initié est condamné toute sa vie à l'amertume!?

Cheese:)

En persévérant, j'arrive à me persuader qu’en tout homme il y a du bon. Il suffit de s’inspirer de la nature et des éléments.
En dernier recours, l’homme peut encore s’élever en levant le coude et sortir ainsi des pires labyrinthes.
23 Juil 2012 13:30 #6

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