Peux tu nous parler de l' importance des températures dans la fermentation, de comment tu les gères à pontet-canet ?
Mais aussi plus généralement de leur importance dans le goût du futur vin.
Lors de mon intervention initiale, j’avais volontairement laissé de côté certains aspects du processus de vinification pour ne pas surcharger le texte d’informations techniques.
Cela a été dit depuis, la température est un élément fondamental de la fermentation et de la vinification au sens large.
La température intervient sur l’expression aromatique des vins. C’est la raison pour laquelle les vins blancs et certains vins rouges sont fermentés à température « basse » c’est-à-dire vers 20°C.
Mais pour nous, c’est secondaire car on doit avant tout privilégier la structure tannique.
En effet, la température élevée va permettre d’extraire plus de tanins. On va donc laisser les températures monter naturellement, ou avec le chauffage, à environ 28-30°C.
Au-delà, il est admis qu’on a des risques d’arrêt de fermentation par destruction des levures par la chaleur. Mais, là aussi, de nombreux paramètres interviennent. Rien n’est binaire !
Comme cela a été signalé, on n’extrait pas la même chose en fonction du stade de la fermentation.
En schématisant, au début, on extrait la couleur, en milieu de fermentation, on extrait les tanins des peaux et en fin de fermentation on extrait des tanins de pépins.
La température intervient aussi dans le bon déroulement de la fermentation alcoolique. Une montée assez rapide de la température permet d’avoir une bonne multiplication levurienne.
Pour amener la fermentation à la fin (c’est-à-dire sans sucre résiduel), il faut une population levurienne suffisante au départ.
Nous n’utilisons que des levures « indigènes » et cela fonctionne très bien. Je dois avoir au compteur quelque chose comme 500 cuves vinifiées de cette façon.
Mais, c’est comme tout, il faut travailler en respectant certaines règles.
En fonction du stade dans la fermentation, du degré alcoolique potentiel et de la température, du niveau de maturité du raisin, on va adapter les niveaux d’extraction.
Alcool et température agissent dans le même sens, c’est-à-dire en augmentant l’extraction. Donc, surtout si le degré potentiel est élevé, on va diminuer la température en deuxième partie de fermentation pour passer par exemple à 26-27°C ; voire moins.
Mais tout se fait en fonction de la dégustation et en tenant compte des paramètres dont je viens de parler.
Il est important de déguster aussi souvent que nécessaire et de tenir compte de la globalité de la situation.
Dans la réflexion, il ne faut jamais oublier le type de vin que l’on veut produire. Mais pour moi, la vinification a pour but d’exprimer avec sincérité le potentiel du raisin et l’ « âme » du terroir d’où sont issus les raisins.
Pour pouvoir jouer à volonté sur la température sans s’enfermer dans une facilité qui empêche d’agir, nous ne disposons pas de contrôle électronique des températures. C’est un choix qui fait de nous un cas, sûrement unique parmi les domaines renommés.
Au début, j’avais opté pour cette approche plus contraignante afin de garder une proximité forte avec chaque cuve et l’accompagner au mieux lors des fermentations avec des levures indigènes.
Maintenant, c’est une motivation plus large qui me guide car elle inclut le respect du terroir.
Chaque décision, y compris celle de chauffer ou refroidir est une décision humaine prise en fonction du stade fermentaire et aussi et surtout du terroir d’origine de la vendange. J’utilise alors toute la connaissance que j’ai de l’endroit après plus de 20 années d’ancienneté sur le domaine pour prendre ce que je pense être la bonne décision pour le vin de la cuve considérée.
Il existe de nombreuses variantes à ce schéma qui reste très simple chez nous ; et d’autant plus simple qu’on extrait de moins en moins année après année.
Certains refroidissent lors de l’encuvage pour maintenir la vendange à moins de 10°C pendant 1 à 2 semaines. Ils favorisent ainsi l’expression aromatique (entre autres, je suppose). D’autres réchauffent fortement le vin lorsque la fermentation est terminée et qu’il n’y a plus de risque d’arrêt de fermentation.
Une certaine tendance a été à la vinification en barriques, appelée « vinification intégrale » ; tendance qui ne s’est pas vraiment développée et qui subsiste encore chez certains.
Je suis intellectuellement opposé à ces pratiques (pour notre région) car je veux une relation sincère et sans artifice avec le terroir ; sans technique ni technologie.
C’est aussi ce qui m’a amené à supprimer les fermentations malo-lactiques en barriques pour ne pas masquer la pureté aromatique et tannique du raisin derrière un boisé ; certes mieux intégré mais pas forcément révélateur de la justesse dans l’expression du terroir.
L’expérience des dernières années nous a montré que la « vérité vraie » se trouvait dans la vigne et que tout ce que l’on pouvait faire dans le chai n’était rien en comparaison du levier dont on dispose avec une viticulture « adaptée ».
Je pense faire un travail de vinification sérieux et appliqué mais qui ne va pas au-delà d’une certaine intrusion dans la réalité de la vendange que nous mettons dans la cuve.
L’émotion que l’on recherche dans un Grand Vin, ne peut pas naitre par le travail du chai.
Une fois de plus je vais reciter la pensée géniale de Michel Bettane quand il fait la distinction entre le « très bon » et le « grand ».
Mon sentiment c'est que le chai et l’élevage ne peuvent influencer que le « très bon ». Le « grand » vient uniquement de la vigne. Mais tout ce qui est fait à la vigne ne sert pas le « grand » ; loin de là ! D’ailleurs, la plupart des choses faites actuellement à la vigne va à l’encontre du « grand ». Au mieux, elles visent le "très bon", ou tout simplement à faire des économies.
C’est mon point de vue sincère et je ne conteste à personne le droit d’en avoir un autre ; même opposé !