Ethique tac
Il n’y a plus de vin à vendre au Clos Veličane : la production était très limitée en 2017, l’épisode de casse de la première expédition a amputé sérieusement le stock. Cela restera un moment douloureux, très stressant : encore quelques colis attendent leur destinataire avant que je ne crie victoire totale, mais nous y sommes presque. Nouvel emballage (merci agitateur !) et nouveau prestataire qui au même prix à fait le travail proprement et promptement.
Pour boire du 2017, il faudra donc venir au Clos Veličane et faire un sourire au vigneron s’il est de bonne humeur (ça arrive finalement assez souvent quand il est sur place)
Une dernière caisse doit partir vers Biarritz ces jours-ci : cette commande est arrivée presque par hasard. Un lecteur de LPV qui découvre la rubrique qu’il ne lit jamais, dévore le sujet Clos Veličane et tombe sur le formulaire encore actif (il ne l’est plus !, c’était un oubli)
Je dois une fois encore dire comme je suis touché, ému est plus juste, de recevoir ces témoignages qui accompagnent les commandes. Une belle et troublante lettre qui dénote de la passion du vin. Tout cela, c’est LPV qui le rend possible comme il est certain que ma vie, mes choix seraient différents sans LPV, cette aventure n’aurait sans doute jamais existé.
Bien entendu, ce sujet existe parce que je désire communiquer sur la production du Clos Veličane, mais ce passage à l’écrit m’est presque nécessaire pour faire le point régulièrement, comme si je devais coucher sur le papier tous ces éléments, pour mieux me les réapproprier, les digérer et aller de l’avant.
Je sais parfaitement que dans toutes ces commandes de mon vin, outre l’intérêt pour le vin lui-même, il y a l’envie de soutenir ce projet mais aussi le désir d’en faire partie un peu, de le faire sien et j’y pense à chaque fois que je suis dans ma vigne ou dans ma cave. Je vois bien au travers des mots que je reçois que le Clos Veličane, c’est un peu le rêve que beaucoup caressent. L’esprit, c’est bien celui de LPV, la passion du vin.
Ce 2017 n’est pas parfait, il est le fruit d’un millésime difficile, mais je ne le renierai jamais même si je n’y ai participé que de loin en loin. Il est évident que 2018 est mon vrai premier millésime : celui de mon travail et de mes choix, comme le premier qui est élevé dans la cave du Clos Veličane. Cela marquera son élevage. Du reste, il n’y a pas un jour sans que je me demande ce qui se passe derrière l’immobilité figée de l’absence. Les trois cuves sont là, elles renferment ce jus en évolution dans un silence total, dans une obscurité sans faille : il y a du mouvement dans cette immobilité ; il se joue le futur visage du vin, lentement.
Le mystère est à l'intérieur
Certes un contrôle est fait régulièrement ; Mateja veille mais entre ses venues, tout se fige en apparence, le silence s’installe de façon durable et pourtant un scenario se met en place.
Les températures descendent, on annonce de la neige cette semaine. La cave va ressentir, atténuée, cette baisse du mercure pour prendre lentement son ambiance d’hibernation qui devrait s’arrêter autour de 7 degrés. Cela aussi contribuera à forger ce vin. Il faudra attendre le printemps pour que tout reparte vers le haut et que nous envisagions de figer en bouteilles ce que le temps aura sculpté.
Tout cela me confirme que le vigneron, même s’il fait des choix où il peut à certains moments modifier, infléchir des évolutions, est en premier lieu un spectateur et que sa part est somme toute bien réduite face à ce que l’ordonnancement naturel impose. Je ne veux pas relancer ici le récurrent débat de l’importance respective des différentes variables dans l’existence d’un vin : l’expérience me montre qu’au mieux, le rôle du vigneron est de s’adapter aux circonstances et à leur évolution qu’il ne maîtrise pas. Là où il faut s’interroger, à mon avis, c’est quand il les maîtrise tout à fait et que les effets terroir et millésime sont réduits comme peau de chagrin. Ce n’est en fait qu’une question de limite que l’on s’impose personnellement. La vraie intervention du vigneron, elle est donc avant tout éthique ou pragmatique et je ne porte aucun jugement là-dessus car j’ai personnellement la chance de ne pas être tenu par une nécessité économique ou financière. J’ai aussi la chance d’avoir un terroir de premier ordre (certes, je l’ai choisi), un matériel végétal de même rang (le choix heureux d’un autre, il y a 20 ans, mais un choix quand même) et d’être mu uniquement par la volonté de faire le meilleur vin possible. Les choix peuvent être autres : faire vivre une famille, faire du vin pour tel ou tel marché, etc … Et le meilleur vin possible pour moi (et là, c’est mon choix) est celui de faire le vin qui transcrira au mieux le terroir, le matériel végétal et le millésime. En cela 2017, nous a bousculé ; 2018 nous a laissé davantage de sérénité.
La vraie question est de savoir où on place le curseur de l’intervention et il n’y a absolument pas deux camps opposés, mais bien un spectre dans lequel on se positionne allant du laisser-faire au contrôle total : mais chaque vigneron se situe quelque part dans cet éventail et non pas d’un côté ou un autre d’une ligne.
Si on prend la question des intrants : qu’est-ce que j’accepte de mettre dans ma cuve pour atteindre mon but ? C’est bien un choix éthique, même si cette éthique peut être à certains moments de ne pas faire crever sa famille de faim : sulfite ou pas. Du cuivre pour s’opposer à la réduction ou pas. Du sucre ou pas. De l’acide ou pas. Des levures qui vont révéler tels ou tels arômes ou des levures neutres ou pas de levure ajoutée ?
Il y a bien entendu bien d’autres questions à se poser mais une seule à laquelle il faut savoir répondre : qui suis-je ?