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Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 07 octobre 2010

On finira le Merlot demain ; …si tout va bien.

J’avais parlé (ou écrit) trop vite la dernière fois car la deuxième équipe est arrivée avant la fin de la semaine pour commencer aujourd’hui.
C’est l’orage de lundi dernier qui a modifié les plans. Venant du Portugal, cette équipe génère une inertie d’environ 2 jours, le temps d’arriver et on préférait les avoir sous la main en cas d'urgence.

Maintenant, on peut considérer que l’on aurait pu se passer d’eux pour finir le Merlot, surtout qu'en arrivant dans les vieilles vignes les rendements ont chuté et donc la vitesse d’intervention de la première équipe a fortement progressé.

C’est ainsi. On est amené à anticiper et parfois on tombe à côté. Dans le cas présent, ce n’est pas grave car les cabernets arrivent à maturité.
Et si on le souhaite, on peut aussi les occuper à effeuiller les parcelles de Cabernet Sauvignon. C’est du travail qui n’est pas totalement fait pour rien car ensuite les vendangeurs vont plus vite et le soleil sèche aussi plus efficacement la rosée du matin.

Localement, tous les châteaux semblent avoir déjà débuté le Cabernet Sauvignon ; parfois depuis plusieurs jours. Mais je n’ai pas trop le temps de me balader pour savoir qui fait quoi.

Qui a tord, qui a raison par rapport à ces choix très différents ? On verra bien.
Comme tout le monde, on pense avec sincérité que ce que l’on fait est le mieux possible pour la qualité…

La prochaine étape sera une plante Cabernet Franc (20 ans tout de même) mais rien n’est encore totalement planifié.

Pour l’anecdote, certaines parcelles que l’on a fait planter ou connues tout juste plantées, gardent longtemps le nom de « plante » et on ne se rend même pas compte qu’à 20-25 ou 30 ans une vigne a quitté le stade de l’enfance et même de l’adolescence !

Mon planning de remplissage des cuves de Merlot a lui-aussi été adapté pour tenir compte de la réalité du terrain, c'est-à-dire des rendements bien inférieurs à ceux que l’on pouvait attendre en début de vendange.
Le vieil adage « quand on en voit peu, c’est qu’il y en a encore moins » est particulièrement justifié.

Lorsque je fais mon plan de récolte, je fais le plus cohérent possible en fonction de chaque parcelle (maturité, type de sol, âge,…) pour que dans chaque cuve, on ne trouve que des choses identiques (ou presque) selon tous ces critères.

Mais la nature étant la nature, on ne tombe jamais comme prévu et le planning doit être évolutif pour savoir quoi faire de la vendange qui reste une fois que la cuve est pleine ou au contraire que mettre dans la cuve pas assez pleine pour la vinifier correctement.

S’il reste de la vendange à la fin, elle doit aller dans une cuve où la qualité sera « voisine », à défaut d’être « identique ». Et pareil dans l’autre sens.
Il faut donc avoir une multitude de « plan B », prêts à servir en cas de nécessité.

C’est là que les petites cuves prennent tout leur intérêt.
Pour nos cuves de 80 hl, il faut environ 1.5 ha pour en remplir une (à 35 hl/ha). Avec 150 hl, il faut presque 3 ha. Là c’est plus difficile de réunir autant de vendange totalement « homogène ». Enfin, si on a comme avant des cuves de 225 hl, toute sélection parcellaire devient illusoire car il faut pratiquement 4.5 ha !

Bref, ce ne sont que des problèmes pratiques sans importance.

Le vrai chiffre du soir, c’est qu’il reste environ 2/3 de la récolte sur pied.
Il y a encore du travail…

Jean-Michel Comme
08 Oct 2010 10:24 #31

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

samedi 09 octobre 2010

Quelques photos des vendanges :

Réception de vendange dans le cuvier béton :
Vidage des cagettes :
Premier tri (pas très utile cette année):
Second tri après égrappage :

Cuvier bois avec les deux réceptions de vendange en même temps :

Bonne soirée

Jean-Michel Comme
13 Oct 2010 18:35 #32

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 13 octobre 2010

Les vendanges continuent

On devrait atteindre ce soir ¾ de la surface récoltée. Travaillant avec les deux équipes, les cuves se remplissent plus rapidement que pour les Merlot où il n'y en avait qu'une.

Ayant 2 équipes de 40-45 coupeurs, on dispose depuis des années (1999) de deux lignes de réception de vendange pour remplir 2 cuves à la fois. L’intérêt est que l’on peut être en même temps dans deux qualités très différentes pour chaque équipe sans avoir à mélanger la vendange.

Au début de ma présence sur le domaine, on ne remplissait qu’une cuve à la fois toujours avec 2 équipes et il fallait en plus de tout le travail normal, organiser le chantier de récolte pour que les deux équipes soient dans le même niveau de qualité à tout moment ; en commençant et finissant de concert.

Puis, on a installé un système de vanne "3 voies" à la sortie de la pompe avec 2 directions possibles. C’était mieux mais il fallait toujours penser à avoir le bon aiguillage…sinon, problème.

Heureusement, c’est du passé et maintenant on travaille avec un autre niveau de confort et de respect de la vendange, puisqu’il y a des cagettes et plus de pompe à vendange.

Pour l’instant, aucune cuve n’a encore terminé sa fermentation. Tout avance doucement. On devrait avoir des fermentations plus rapides que l’an dernier mais on va une fois de plus flirter avec les 3 semaines au moins pour les premières ; et sûrement plus ensuite.
La combinaison des levures indigènes et du remplissage par gravité (vrai) tel que nous le pratiquons, augmentent fortement la durée de fermentation.

Les premières cuves de Cabernet Sauvignon commencent, quant à elles à fermenter.

Les dégustations quotidiennes permettent de conserver un bel optimisme. Mais je n’en dirai pas plus car c’est très prématuré et ce n’est pas ma motivation ici-même.

Tous les ans, il me semble que l’on extrait deux fois moins que l’année précédente. C’est encore vrai cette fois. Cela me conforte un peu plus dans l’idée que la vinification est devenue une opération secondaire dans le processus d’élaboration du vin. Il faut évidemment vinifier avec sérieux, dévouement et concentration mais c’est la qualité intrinsèque du raisin qui fait la différence et cette qualité là, elle vient de la vigne. On l'a trop longtemps oublié.

Ce qui me frappe le plus, c’est la sérénité de l’ambiance qui règne sur le domaine. Certes dans les vignes la présence des chevaux peut l’expliquer au moins en partie. Il y a bien entendu le soleil qui rend le travail plus agréable et le régisseur moins stressé.

Mais au fur et à mesure des années, on a trouvé un rythme de croisière qui fait que parmi le personnel, chacun a sa place et sait ce qu’il a à faire.
C’est une organisation voulue et qui me permet aussi de pouvoir prendre plus de recul sur les vendanges, les maturités, les vinifications, le travail qui va suivre les vendanges,…
Plus besoin pour moi de courir partout au risque de faire tout mal.

Depuis 2 saisons, nous intervenons aussi au Château Sénéjac (40 ha) en Haut-Médoc. Contrairement à ce qui est souvent pensé par les quelques personnes qui le savent, ce n’est ni un achat, ni un fermage mais une aide venue d’une amitié ancienne et durable entre propriétaires.

Ils sont (tout naturellement) passés en bio et biodynamie sur la totalité du vignoble.

La première année a été hésitante car ni la personne sur place (nouvellement embauchée) ni nous, ne connaissions le vignoble.
Cette année est plus assurée. Pour moi, c’est une expérience supplémentaire qui me permet d’observer d’autres terroirs pour tenter d’y appliquer la biodynamie la plus adaptée ; et qui est donc différente de celle de Pontet-Canet ou de celle de Champ des Treilles. On verra les résultats…

Voilà pour le point que je peux faire aujourd’hui.

Jean-Michel Comme
13 Oct 2010 18:36 #33

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

samedi 16 octobre 2010

Des vendanges qui arrivent à leur fin.
Nous avons arrêté hier soir la première équipe pour ne finir qu’avec la deuxième ; afin de rééquilibrer le nombre de jours de travail entre les deux.
Il nous reste donc environ deux journées pour en finir avec cette récolte 2010 qui restera dans les mémoires ; une de plus.
L’état sanitaire est encore parfait et les températures très basses associées à du soleil et du vent du nord, ont réduit toutes les velléités de développement de la pourriture.
On finira donc dans la sérénité.

Ce matin, il y a donc en face de moi un tapis de tri abandonné au milieu de la pièce pendant que la deuxième ligne fonctionne encore.

Le balai des palettes de cagette est devenu moins intense ; comme pour nous habituer au calme qui va revenir bientôt.
J’adore entendre le bruit des bus qui repartent pour le Portugal. On retrouve instantanément la quiétude ; même s’il reste environ une semaine de nettoyages divers et variés avant de retrouver des conditions de vie presque normales.

Les fermentations se passent plutôt bien. Je ne le dis pas trop fort au cas où…
On devrait être dans notre moyenne des 3 semaines, mais dans la fourchette basse.

Je ne sais pas comment les autres procèdent mais moi, je continue à remplir à la main des courbes de fermentation sur une feuille de papier. Je pourrais le faire sur l’ordinateur mais je n’aurais pas la même proximité avec chaque cuve que je sens vivre et évoluer sous la pointe de mon stylo (Bic-4-couleurs-orange-car-c’est-le-modèle-à-pointe-fine-pour-plus-de-précision-par-rapport-au-modèle-bleu).

Il y a quelque chose de magique dans la fermentation. C’est biologique donc pas d’une exactitude parfaite. Pourtant, chaque fois que je m’apprête à placer un nouveau point de densité sur la courbe, je sais exactement où il doit être. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’un problème est arrivé ou est sur le point d’arriver.
Ainsi, je peux en essayer de comprendre ce qui se passe pour pouvoir agir.
S’il y a eu une erreur humaine quelconque, elle se voit sur la courbe et il faut tenter de réparer.
Si un problème fermentaire doit arriver, il se voit venir et c’est fondamental.

Même après des milliers de points placés sur des centaines de courbes, j’éprouve toujours la même fascination à voir se construire une courbe de fermentation, petit à petit mais avec une sorte de logique implacable.

La fin des vendanges arrivant, hier après-midi j’ai profité du grand soleil pour faire un grand tour à pied dans les parcelles vendangées afin de bien m’imprégner de leur état pour préparer la suite, c'est-à-dire la fumure éventuelle, les labours,…

J’ai pu aussi penser au programme de travail des chevaux dans ce contexte de sècheresse.
Travailler avec des chevaux, c’est aussi être capable d’assurer les travaux en temps et heure, même si le contexte n’y est pas favorable par la sècheresse, la pluie, le froid,…

Mais pour le moment, on va finir les vendanges et rester concentré sur la vinification. Pour le reste, on verra…

Jean-Michel Comme




dimanche 17 octobre 2010

Fin des vendanges 2010 à Pontet-Canet ce soir à 17 heures.

Ma 22ème récolte au service de ce cru...

Jean-Michel Comme
18 Oct 2010 00:17 #34

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 19 octobre 2010

C’est l’heure du nettoyage avant le rangement.

L’amateur de vin n’a, je pense, pas d’idée du travail qui reste à faire lorsque le dernier grain de raisin a rejoint le cuvier.
Derrière la vision folklorique des vendanges, il y a la réalité plus terre à terre du travail qui attend le personnel.

Le domaine devient un vaste chantier dans lequel chacun s’active pour mener à bien des milliers de choses à la fois.

Les bus sont repartis vers le Portugal lundi après-midi.
Il faut maintenant laver, compter, ranger toute la vaisselle jusqu’à l’an prochain.
La cuisine doit aussi être entièrement nettoyée puis fermée.

Dans les chambres, draps, couvertures (et autres) sont mis en sacs destination pressing. Là aussi, il faut tout compter et répertorier.
Les chambres et les sanitaires doivent être nettoyés. Les installations sanitaires sont hivernées : robinets extérieurs démontés, tuyauteries vidangées, eau et électricité coupées, portes fermées,…

Les anomalies et articles à remplacer sont notés car d’ici l’an prochain, ce genre de détail peut se retrouver enfoui bien profondément dans quelque tête.

Les cagettes sont elles-aussi relavées une dernière fois avant de les stocker pendant 1 an.
Les remorques à tracteurs et chevaux et qui ne servent qu’au transport de la vendange sont mise dans le garage les unes sur les autres pour gagner de la place.

Dans les chais, c’est le grand nettoyage des réceptions de vendange (tables de tri, égrappoir, fouloir,…) Tout est démonté, détarté à la vapeur puis remonté pour être exposé durant les visites..

Les dessus de cuves en bois et béton sont nettoyés à l’éponge. Les sols et les cadres d’accès aux cuves sont débarrassés de tout grain de raisin tombé au sol pendant le tri.

On peut ajouter le nettoyage des vitres souvent touchées par des mains poisseuses de jus sucré.

Tous ces travaux annexes mais indispensables vont occuper une bonne partie du personnel pendant toute la semaine.

Le reste des salariés continue de travailler aux vinifications.

Et la vigne dans tout cela ?

Pour l’instant, elle doit attendre son tour. Mais, on fait au plus pressé.

Jean-Michel Comme
10 Mar 2011 09:50 #35

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 27 octobre 2010

4 semaines après le début des vendanges, on vient de commencer les écoulages. Pour l’instant, c’est la mise en jambes car il y a peu de cuves à faire dans la semaine. Schématiquement, on suit l’ordre et le rythme de remplissage. Donc, comme on a commencé les vendanges lentement, on commence à décuver lentement.

C’est une page qui se tourne car il y a 4 semaines que nous vivons avec ces cuves toutes identiques extérieurement mais si différentes par leur contenu.
Chacune est un peu comme un enfant qu’on a vu naitre, grandir puis devenir un jeune adulte.
Ayant un contrôle totalement manuel des températures, on peut voir évoluer chaque cuve qui ne ressemble jamais à la suivante.
C’est comme si chacune avait son propre caractère. Il y a les colériques, les gentilles, celles qui vivent leur vie sans changer de cap, celles qui partent mal et puis s’arrangent et même parfois celles qui partent bien et tournent mal.

Et un beau jour, la cuve est vidée ; c’est fini. Une autre vie commence pour le vin et pour les relations que nous avons avec lui.

Dans la vigne, la pression monte.
On a commencé la distribution de fumure.
Après les essais concluants de l’année dernière, on distribue cette année exclusivement le compost à la main, c'est-à-dire à la brouette aux seuls ceps qui en ont besoin.
De l’extérieur, cela peut paraître fastidieux mais dans la configuration de faible vigueur dans laquelle j’ai souhaité mettre le vignoble, nombreux sont les ceps qui sont trop faibles. Si ces ceps avaient un peu plus de vigueur, on pourrait produire un peu plus au niveau global sans hypothéquer pour autant la qualité.
Une vieille parcelle est toujours une mosaïque de pieds différents dans l’âge et la vigueur.

Une fumure au tracteur, même bien menée ne peut pas descendre en précision au dessous d’une zone.
Les décisions de mettre ou pas de la fumure sont alors prises par rapport à une moyenne de la zone. ; trop faible, on met, trop vigoureux, on ne met pas.
Pourtant, à l’intérieur, il y a des ceps qui sont à l’opposé de l’ensemble et pour eux la décision moyenne aura un impact négatif ; c'est-à-dire de donner à manger à un gros ou rien à un maigre.

Avec la technique « manuelle », on fait en fonction de chaque cep, individuellement.
Pas de satellite mais une règle simple. Cep maigre : 1 pichet, Cep vigoureux : rien. Entre les deux : un demi-pichet. Il faut toujours rester terre-à-terre.

Finalement, on va assez vite ; il suffit d’avoir du monde disponible.

Après la fumure, les tracteurs ou les chevaux (suivant les parcelles) labourent les sols.

Il ne faut pas le dire trop fort, mais le chantier des chevaux avance bien. Le fait d’avoir tiré des remorques de vendange les a maintenus en bonne forme physique.
Avec 8 ha par cheval et 1 ha par jour, ils en ont pour 8 jours ; auxquels il faudra ajouter un traitement biodynamique dans l’intervalle.

Pour chevaux et tracteurs, la pluie de dimanche dernier a été une vraie bénédiction. Les sols étaient très durs et on n’avait pas essayé de labourer. Maintenant, ils sont parfaits. A cette saison, l’eau ne s’évapore pas vite donc les sols vont rester meubles.

Toutes les vigneronnes (et même au-delà) sont occupées au conditionnement du 2008.
Les négociants trépignent en attendant les bouteilles achetées il y a un an et demi.

Plus le temps passe, plus le nombre de gros formats commandés par nos clients, augmente.
Toutes ces bouteilles sont conditionnées à la main et cela prend de plus en plus de temps.

Voilà ce que l’on peut dire des travaux sur le domaine.

Jean-Michel Comme
10 Mar 2011 09:52 #36

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 23 février 2011

Déjà 3 mois que je n’ai pas donné signe de vie dans LPV.

Je n’étais ni très loin ni fâché mais je n’avais peut-être rien d’intéressant à raconter.
Je lis avec plaisir que certains n’ont pas oublié mes interventions et j’en suis flatté.

Durant tout ce temps, j’ai beaucoup réfléchi quant aux relations vis-à-vis d’un forum comme LPV et de l’opportunité d’y intervenir.
Jusqu’où doit-on ouvrir son travail aux autres sans pénaliser son entreprise?
N’est-on pas tenté de ne présenter que la face la plus photogénique de la situation ?
L’intervention d’un viticulteur ne sert-elle pas l’image de son cru ; même si le but n’est sincèrement pas là. Il suffit de comparer les visites des différents domaines pour se poser la question.
Mon statut m’oblige aussi à taire mon point de vue sur les vins que je produis ainsi que sur les autres domaines.
Comme dans toute chose, il faut faire au mieux en restant sincère et prudent. La marge de manœuvre est réduite.

Autant de questions qui me hantent quand je prends le clavier pour poster un message.

J’ai aussi mis ce temps libre (en n’écrivant pas) pour travailler à la compréhension de la météo. Je ne souhaite pas rallumer ici même un feu éteint car je n’ai rien à prouver ni aucune motivation pour croiser le fer.

Les ressources infinies d’internet permettent d’accéder à une montagne d’informations. En les croisant, j’ai pu avancer dans ma quête du Graal : la compréhension du climat ou plus exactement de "mon" climat.
J’ai manipulé des milliers de chiffres, fait des centaines de graphes, validé des choses, infirmé d’autres,…
Ce que j’ai appris reste bien plus modeste que ce qu’il reste à apprendre, mais c’est un début.

Dans un registre un peu différent, il est toutefois intéressant de regarder l’évolution des températures sur plus de cent ans. Ainsi, chacun peut se faire son opinion sur le réchauffement climatique…

Pour le challenge, j’ai fait une prévision de pluviométrie par semaine pour l’année 2011. Je ne suis pas naïf car je sais que les erreurs seront plus nombreuses que les choses justes. Mais, c’est un bon exercice.
A force, j’y arriverai,…peut-être.
Cette quête de compréhension est une véritable drogue vers laquelle il ne faut pas aller sans retenue car il y a aussi le travail quotidien à assumer.

Sinon, la taille est terminée depuis la semaine dernière.
Nous avons eu à déplorer la perte de l’un de nos meilleurs vignerons ; emporté à 50 ans par un cancer diagnostiqué en octobre.
C’est un coup dur au niveau humain. Face à de tels drames, les tracas matériels sont bien secondaires.
C’est la deuxième fois depuis que je fais ce métier que nous perdons un vigneron en poste.
C’est toujours avec un petit pincement au cœur que je vais dans les parcelles de celui qui nous a quittés. Mais la vigne n’attend pas et elle nous oblige sans rien oublier à nous tourner vers l’avenir et préparer la prochaine saison.

La campagne hivernale de tarière (pour faire un trou à la place des pieds morts) s’est déroulée avec une originalité de bon augure. Un seul cheval a pu assumer sans problème les 24 ha dédiés à la traction animale. Déjà l’an dernier, on avait construit et utilisé cette tarière d’un nouveau genre mais c’était encore sur l’ancienne surface de 7 ha.
Avec 24 ha, le challenge était tout autre. On a profité des constatations faites sur la précédente campagne pour améliorer l’ensemble et nous avons été satisfaits (et fiers) de constater que le cheval pouvait avoir une productivité comparable à celle d’un tracteur.
En début d’année, une nouvelle jument appelée Surprise est arrivée à Pontet-Canet. Elle n’est pas destinée faire passer la surface « cheval » à 32 ha. Elle doit donner des bases plus sûres à notre projet. Je pense en avoir déjà parlé en fin de saison dernière. Si je devais trouver une critique à ce qui a été fait, c’est justement que notre système était basé sur 100% des chevaux, 100% du temps, à 100% de leurs capacités. On comprend tout de suite le problème...
Avec un cheval de plus, on se donne une marge de sécurité et on se prépare à monter en puissance les années futures en prenant un animal de plus chaque fois que l’on basculera 8 ha en traction animale.

Pour les vignerons, l’heure est maintenant à la réparation du palissage. On devrait y être jusqu’à la mi-mars.
Les vigneronnes sont quant à elles au pliage.
Pour attacher les souches, on utilise du vime, sorte d’osier cultivé pour cet usage.
J’ai réintroduit ce matériau naturel un an après mon arrivée à Pontet-Canet, c'est-à-dire en 1990. Avant, ils utilisaient depuis quelques années, du lien nylon qui avait l’avantage d’assumer son rôle pendant 500 ans sans se dégrader…
Certains sont encore fierement en place plus de 20 ans après.

L’industrie fabrique maintenant toute une gamme de liens plus ou moins dégradables. Je suis surpris de voir certains persévérer ou même revenir aux liens nylon. Il y a vraiment 2 mondes !
Une réponse « écolo » des fabricants est de proposer des liens en coton ; ce qui a l’avantage d’être dégradable.
Cependant, est-ce raisonnable d’attacher la vigne avec du coton alors que les cours flambent par pénurie de coton par rapport à la demande mondiale ?

Pourquoi n’en reste-t-on pas au bon vieux vime sans aller chercher la complication ?
Vaste débat…

Les tracteurs et chevaux ont fait cet hiver plusieurs traitements biodynamiques partiels et spécifiques pour des usages précis. Il reste encore du travail dans ce sens.
Corinne et moi continuons de progresser dans la compréhension du vivant pour adapter la biodynamie la plus appropriée à chaque cas.
Pontet-Canet, c’est environ 10 biodynamies différentes. On pourrait être encore plus précis mais je ne suis pas sûr de pouvoir l’assumer en pratique. C’est pourtant ce qu’il faudra être capable de faire à l’avenir si on veut continuer à progresser.
Il y a tant de choses à comprendre qu’une vie ne suffira pas.

Le vin lui est toujours là en barriques ou dans les chais.
Le 2009 est maintenant remonté en cuves béton. Il est prêt à la mise mais il y restera jusqu’en juillet.
J’aime bien laisser le vin en cuves béton à la fin de l’élevage. La paroi respirante permet de lisser les derniers tanins avant la mise en bouteilles.

Le 2010 est en barriques. Que dire de ce vin ??? Surtout rien. On attend que les projecteurs des primeurs s’allument pour le présenter.

Depuis quelques années, il n’est plus étonnant d’avoir du bon vin à Pontet-Canet donc ma vraie fierté de l’année 2010 concerne le Château Sénéjac que nous aidons depuis 2 ans en particulier pour ce qui concerne la biodynamie.

Je pense avoir fait le tour de toutes les nouveautés. Si j'ai oublié quelque chose, ce sera pour la prochaine fois...

Jean-Michel Comme
10 Mar 2011 09:53 #37

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mercredi 09 mars 2011

Les choses s’accélèrent.

On n’a pas encore franchi la moitié du mois que déjà on en perçoit la fin.
L’hiver semble être parti. L’ambiance dans les vignes n’est plus à la taille. Heureusement, elle est terminée chez nous mais quand je vois des vignes encore non taillées je me dis qu’il y a un temps pour tout et que là le temps est dépassé.

Tout respire le printemps.
La vigne commence à pleurer très régulièrement. Les premières fleurs montrent leurs couleurs et les mimosas embaument l’air.
Pourtant, les bourgeons n’ont pas vraiment changé d’aspect.

Tous les ans à la même époque, j’aimerais retenir encore un peu cette période hivernale pour affiner les travaux qui auront du mal à se faire plus tard.
Le beau temps de ces derniers jours rend plus agréable mon tour des vignes à pied. J’essaie d’en apprendre un peu plus de ce vignoble et de la nature pour être plus efficace dans mon métier.
Pourtant, les choses que j’en connais sont infiniment moins nombreuses que celles que je ne connais pas.
Je dois néanmoins persévérer et toujours trouver en moi l’énergie pour continuer. Quand je dis que cette voie est un vrai parcours personnel, un chemin intérieur bien avant des considérations matérielles ou financières…

J’espère toujours, avant le début de la végétation, avoir quelque déclic qui me permettra de parfaire la préparation du prochain millésime. L’essentiel des traitements (biodynamiques) qui pourront influer sur la qualité sont déjà faits.
Est-ce suffisant ? Assez précis dans la segmentation des terroirs ? Est-ce totalement cohérent tout simplement ? Qu’aurai-je pu faire de plus ?
Ce sont quelques questions qui me hantent au quotidien.

J’ai en mémoire que c’est bientôt la fin de la période propice à ces opérations de fond.
Dans quelques jours, on aura basculé dans les travaux de printemps. Puis la vigne se mettra à pousser et il faudra la suivre et l’aider dans son cycle.
Une fois de plus, serai-je à la hauteur du défi ?
Une année réussie n’est pas un aboutissement, mais tout juste une étape avant une prochaine épreuve dont on ne connait pas l'issue.
Ce qui me réconforte, c’est qu’à la fin, on pourra voir (et déguster) le résultat de tout ce travail, cette réflexion.

Les vigneronnes finissent le pliage et les vignerons mettent une dernière main à la réparation du palissage.
On va commencer la complantation d’ici une semaine (=remplacement des pieds manquants).
Puis viendra le début des décavaillonnages, labours de fin d’hiver pour lesquels on va chercher la terre sous le rang avec des charrues articulées.
Grande avancée pour nous car ces charrues ont été entièrement démontées, réparées et même repeintes dans l’hiver. On s’améliore car bien souvent il nous est arrivé de repartir pour une nouvelle saison sans même les avoir révisées. Manque de temps.

Le 2010 est maintenant prêt pour les dégustations primeurs qui elles-aussi vont vite arriver. Pourtant, le vin ne sera dégusté par personne de l’extérieur, avant sa présentation officielle aux négociants qui travaillent avec nous.

J’ai enfin pu déguster PC 2009 et 2010 côte à côte. C’est le privilège de ce métier…
Justement, le 2009 est totalement prêt à la mise en bouteille qui interviendra en juillet.
Chaque fois que je le déguste, j’ai un petit sourire amical pour tous ceux et notamment dans ce forum qui ne croient pas à la biodynamie. Dommage…

Je pense avoir fait le tour pour aujourd'hui.

Jean-Michel Comme
10 Mar 2011 09:56 #38

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 23 mars 2011

Comment penser tenir une sorte de chronique de la vie du domaine sans parler des dégustations « primeur » ?

Hier soir, le Pontet-Canet 2010 a été présenté pour la première fois. C'était pour les principaux négociants qui diffusent nos vins.
A partir d’aujourd’hui, c’est le début du grand rush qui va durer pratiquement un mois et pendant lequel le vin va être dégusté par des milliers de personnes.

Recevant uniquement au château, nous avons donc tout le temps pour expliquer, à ceux qui le souhaitent, notre travail et la philosophie qui nous guide. C’est un vrai confort pour tous ; le vin, les visiteurs et nous.

Je ne me sens pas à l’aise dans les relations publiques car ma vie est à l’extérieur. Mais, quand on me le demande, je dois aussi me plier à ce rituel indispensable pour l’image du domaine.

Je dois aussi reconnaitre que le vin, qui jusqu'alors m’appartenait un peu moralement, passe dans d’autres mains. Les choses ne sont donc plus tout à fait des mêmes. J’ai perdu de cette relation intime avec lui. Mais c’est sa vie qui est organisée ainsi ; je dois l'accepter.

Il m’a occupé l’esprit depuis le vin des vendanges 2009, en tirant les leçons de ce millésime. Avec l’arrivée des rameaux puis des grappes, mon attention a été totalement dédiée à lui.
Ensuite, ce fut le tour des cuves et du vin qu’elles contenaient.
Cette viticulture différente rend les vinifications beaucoup plus simples et les assemblages bien plus faciles qu’avant.

Maintenant, le vin est là et on le montre au grand jour.

Mon esprit est pourtant déjà parti ailleurs dans le 2011 qui va arriver et qui lui aussi m’occupe depuis la fin des vendanges.

Je m’efface un peu de la vie du Pontet-Canet 2010 pour le confier aux soins de ceux qui ont la charge complexe de le présenter au monde et d’en faire la promotion.

Comme toujours, je suis sûr qu’il contient un peu de mon âme. C’est peut-être pour cela qu’au moment d’ouvrir la première bouteille pour les primeurs, les larmes ne sont pas très loin dans mes yeux.

Jean-Michel Comme
05 Oct 2012 18:50 #39

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 19 avril 2011

Difficile en ce moment de trouver du temps pour entretenir cette petite chronique. Mais à partir du moment où elle existe, il faut bien l’alimenter de temps en temps.

La semaine des primeurs s’est déroulée sous un chaud et inhabituel soleil printanier.
Pour les milliers de visiteurs qui ont fait le déplacement jusqu’à Bordeaux, c’était plutôt une bonne chose car le soleil rend toujours les paysages plus beaux et les vins meilleurs !

Chez nous, pour la deuxième année consécutive, on a fait déguster uniquement au château.
L’essentiel des gens avait pris rendez-vous mais nombreux sont aussi ceux qui sont venus à l’improviste et ils ont très bien fait.
Pendant toute une semaine de table en table, nous avons expliqué notre viticulture et notre philosophie de la vigne et du vin.
L’occasion était trop belle car pour la première fois, nous présentions un vin certifié bio et biodynamie ; premier Cru Classé « majeur » à avoir obtenu ce sésame. Même si ce n’est pas un aboutissement dans la vie, il y a des moments qui comptent.

Malgré tout, le souvenir des moments difficile est toujours là et très souvent, il faut encore reprendre l’explication de 2007. Cela ne manque pas de me faire remonter quelque émotion, dernier stade avant un petit sanglot dans la voix que je contiens parfois avec difficulté.
Chacun a une croix à porter…

Les gens sont sensibles au discours mais on n’est pas encore sorti de la dictature du « winemaking ». Si tout le monde est d’accord pour dire que le vin se fait à la vigne, la vinification reste l’étape essentielle dans beaucoup de cerveaux, professionnels ou pas, producteurs ou pas.

Les choses évoluent. Certes, c’est à la vitesse de Bordeaux mais on y arrive. Dans la petite région, on peut maintenant compter sur les doigts d’une main (ou de quelques mains) les propriétés qui n’ont pas d’essai bio ou biodynamie. Beaucoup de ceux qui se lancent resteront au stade d'essai encore des années, mais quel changement depuis que nous avons entrepris cette profonde (r)évolution à Pontet-Canet.

Pour en revenir à la vigne, c’est aussi un nouveau départ et les grands discours ne sont que peu de choses si on ne reste pas concentré sur l’essentiel.

Avec les chaudes conditions que nous connaissons depuis le début du mois, la vigne a fait une pousse mémorable.
Au début de la semaine des primeurs, depuis le cuvier de Pontet-Canet je voyais le vert des parcelles de Merlot lorsqu’elles étaient à contrejour du soleil. Mais à la fin de la semaine, le vert était devenu généal et très affirmé et le Cabernet Sauvignon avait fait de même. Plus besoin de contrejour.
Difficile pour moi de rester dedans à expliquer alors que dehors c’était commencé !

Notre planning de travaux, calé avec rigueur depuis plusieurs semaines était parfaitement cohérent…pour une année normale. Mais là, on se retrouve déjà en retard.

Dans ces cas là, il y a deux solutions, soit on garde l’ordre des travaux et on conserve le retard, soit on laisse ce que l’on fait pour s’attaquer au travail suivant lorsqu’il est plus urgent.
C’est la deuxième solution qui va s’imposer à nous.
Actuellement, les vignerons tirent les cavaillons c'est-à-dire qu’ils sortent au sarcle et à la main la terre et l’herbe laissés autour des ceps par les charrues.
Ils auraient dû avoir largement le temps de finir, avant de commencer l’épamprage en fin de mois. Cette dernière opération est essentielle et ne peut pas être reportée.
La qualité en dépend, l’efficacité des traitements aussi. Et ce qui prend une journée en début de pousse prendra 2 à 3 jours quelques semaines plus tard. Donc, tout retard mal géré s’amplifie dramatiquement au fur et à mesure que le temps passe.

Donc, on va abandonner les cavaillons pour s’occuper de l’épamprage. On remettra ainsi les pendules à l’heure.
Le petit solde de cavaillons sera confié à une entreprise de prestation de service. C’est un moindre mal car non vital pour la qualité du vin et la vie du cep.
Malheureusement, ces gens sont largement occupés par des châteaux bien plus en retard que nous car avec la pousse précoce, ceux qui étaient déjà en retard se retrouvent en situation critique.
C’est vrai qu’il est très confortable de pouvoir sortir sa bouée de secours quand c’est nécessaire. Cela n’a pas toujours été le cas. Au début, il n’y avait rien ou bien peu de choses. C’est à force de travail que petit à petit, sur plus de 20 ans, les choses se sont améliorées. Je mesure tous les jours la chance que j’ai.

On a aussi commencé les traitements. Là aussi, l’humilité et la concentration sont toujours d’actualité.
Dans cette rubrique édulcorée pour ne pas heurter les âmes sensibles de ce forum, je ne me contente que d’énoncer les choses qui vont créer un consensus.
Pourtant, la réalité pratique est toute différente depuis plusieurs années.
On a beaucoup à tester dans les relations que nous entretenons avec le vivant. C’est fascinant de voir des choses fonctionner.
Malheureusement, je ne connais que des bribes de ce vivant si subtil et si complexe.

En ce qui concerne les chevaux, ils ont fait leur part de labour et ont terminé en temps et heure.
Reine est tombée malade il y a deux semaines. C’est la première fois que nous avons un tel sinistre. Il a fallu de prises de sang, des piqûres,…
Heureusement, les choses vont mieux. Elle a repris le travail, ce qui doit lui faire plaisir car elle a énormément de volonté.
On a ainsi pu apprécier d’avoir pris un cheval supplémentaire. Ainsi, les chantiers de labour et de traitement n’ont pas été perturbés.
La nouvelle recrue, Surprise, a pu montrer qu’elle était à la hauteur et qu’elle avait la même énergie que Reine, qui n’est autre que sa sœur.
Notre projet de chevaux de trait semble être vraiment entré dans une phase de routine. C’était dans mon esprit le passage obligé avant tout expansion sur de plus grandes surfaces.

Cette année, les chevaux de trait pullulent dans la région. On les voit gratouiller sommairement le sol de préférence devant un objectif ou un visiteur. On a souvent oublié de supprimer les pesticides avant toute chose et la traction animale côtoie aussi très souvent le désherbage chimique. Quelle cohérence !

Après la bulle « internet », il y a maintenant la bulle « chevaux de trait ». La première a explosé en plein vol. La deuxième connaitra sûrement le même sort. De là, ne resteront que les gens motivés qui ont pris le temps de réfléchir et de mûrir leur projet avant de se lancer.

Le nôtre a au moins le mérite d’être sincère. Pourtant, avec 30% de la surface cultivés aux chevaux, il nous reste 70% cultivés au tracteur. De quoi rester humble…

Que ce soit pour la biodynamie ou pour les chevaux, le chemin à parcourir reste long et épuisant. Surtout quand, en plus de tout, on porte une croix sur son dos…

Jean-Michel Comme
05 Oct 2012 18:51 #40

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 03 juin 2011

Je profite d’une journée travaillée mais calme pour donner quelques nouvelles du domaine.

Durant ce printemps aux airs d’été, la vigne a poussé à une vitesse incroyable et on a été obligé de la suivre au mieux pour ne pas se retrouver dans une situation ingérable.

Dans mon dernier texte, j’avais dit avoir abandonné le « tirage des cavaillons » (= nettoyage manuel du tour des ceps) pour commencer l’épamprage, opération cruciale de la saison.
Ce fut une bonne décision car la vigne n'a pas calmé son ardeur.

Jour après jour, le travail a avancé à une bonne vitesse pour se finir pratiquement au moment des relevages.
L’avantage de la biodynamie et des rameaux qui poussent plus droit, c’est justement que le relevage peut être retardé car les tracteurs ou les chevaux peuvent continuer de passer plus longtemps sans casse malgré l’absence de relevage.
Ainsi, on peut avancer au maximum l’épamprage avant de passer à autre chose.

Quoi qu’il en soit, on reste au service de la vigne car c’est elle qui décide en matière de relevage. On fait en fonction de chaque parcelle et pas en fonction d’un programme établi, calendrier à la main par une personne plus ou moins éloignée du terrain.

La fleur est arrivée avec une avance de deux semaines par rapport à l’an dernier. Malgré des conditions parfaites « sur le papier », les grappes ne semblent pas être très pourvues en grains.
C’est plutôt une bonne chose pour la qualité mais cela remet un peu en question nos certitudes sur les conditions idéales pour une floraison « réussie ».

Parfois, il pleut et les grappes sont très fournies en baies. Parfois, il y a de la coulure lorsqu’il pleut. Là, c’est le contraire. On peut alors se dire qu’il a fait trop beau sur la fleur ; générant d’autres déséquilibres que la pluie mais procurant les mêmes effets. La vérité n’est jamais dans les extrêmes !

On a poursuivi notre politique de non-rognage. C’est une opération qui ne favorise pas la fécondation des fleurs mais c’est pour moi un passage obligé vers la viticulture que je recherche.¨Pourtant, le non-rognage n'est qu'une pierre de l'édifice et il ne faut pas l'appréhender seul.

Cependant, dans la région comme ailleurs, les vendeurs de rogneuses ont encore de beaux jours devant eux…

Petit à petit je vois des parcelles changer d’une année sur l’autre pour aller dans la direction que je souhaite pour elles. Et ce que je souhaite pour elle est dans le registre de l’émotion. C’est difficile de le décrire mais ça fait quelque chose qui amène parfois presque les larmes dans les yeux en se disant « qu’est ce que c’est beau ! ».

Le programme chevaux fonctionne à merveille et on s’achemine sûrement vers une extension du projet à 8 ha de plus l’an prochain et l’arrivée d’un cinquième animal.

Le seul problème qui n’a rien à voir avec les chevaux, c’est la sècheresse qui a obligé d’arrêter le buttage des vignes (=labour qui envoie de la terre sous les rangs).
On verra bien comment se passe la suite de la saison. Mais avec un sol sec, les herbes ne poussent pas vraiment beaucoup.

Pour les tracteurs, les choses sont assez comparables ; les labours sont arrêtés.

Avec ces conditions sèches, le mildiou est pour l’instant aux abonnés absents.
C’est une bonne chose car on reste plus détendu.
Mais d’un autre côté, les améliorations ou modifications dans la stratégie de lutte que nous avons élaborées depuis des mois, restent toujours sans possibilité de pouvoir juger de leur pertinence.
Gagner sans combattre n’est jamais glorieux. De ce point de vue, pour le moment, on a perdu un an.

Heureusement, il nous reste les vers de grappe, particulièrement actifs cette année !
Là aussi, il faut essayer de comprendre quelle logique les guide, quel terroir les favorise, quel cépage est plus sensible,…

Comme pour le vin, tout est une question de terroir. Le ravageur n’a que peu d’importance. C’est la même chose avec les maladies.

Comme toujours, il y a des moments où on progresse dans la connaissance. Puis d’autres où on a l’impression de stagner ou pire de reculer en voyant une théorie ne pas tenir à l’épreuve des faits.
Heureusement, chaque petit progrès est une victoire dans la tentative que nous faisons de compléter le grand puzzle du vivant.

Avec les conditions météo que nous avons, les vendanges seront obligatoirement précoces en 2011.

Mais, nous ne sommes qu’au début du mois de juin et il reste encore beaucoup de temps et d’incertitudes avant les vendanges.

Restons donc humbles et concentrés…

Jean-Michel Comme
05 Oct 2012 18:53 #41

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 12 juillet 2012

Je me rends compte qu’il y a déjà plus d’un an que je ne suis pas intervenu ici-même pour donner des nouvelles de Pontet-Canet.
Je pense que le moment est bien choisi pour revenir. Il y a eu 5 ans avant hier, que nous avions pulvérisé des pesticides après une attaque de mildiou « mal négociée », coupant court momentanément à notre conversion bio et biodynamique.

Le grand sentimental que je suis, ne peut pas l’oublier. Certes, j’y repense intensément tous les ans à la même époque ; mais j’y repense très souvent tout court.
Je l’ai dit plusieurs fois, c’est une croix que je porte.

On a passé des années depuis. Mais 2012 a une connotation particulière car on arrive à 5 ans et surtout la région vient de connaitre des conditions climatiques particulièrement difficiles, très favorables au mildiou. Nous avons su y faire face. Par modestie, on ne dira pas avec brio mais au moins avec efficacité.

L’année a montré d’une part qu’on pouvait être tout aussi performant en biodynamie qu’en conventionnel et d’autre part que le bio de bricolage, ça ne marche pas.

Si on fait le bilan de ces 5 années passées, on peut constater le chemin parcouru.

D’une part, notre démarche est devenue plus sûre et plus professionnelle. Nos consommations de cuivre sont actuellement à des niveaux bien inférieurs à ce que nous savions faire il y a 5 ans ; avec une efficacité qui n’a rien à voir.
C’est aussi le résultat d’un raisonnement biodynamique appliqué au quotidien avec le souci d’avoir une cohérence globale.

D’autre part, le domaine a connu une évolution fulgurante dans sa notoriété.
C’est toute cette démarche à la vigne qui est une le principal moteur.

Mais Pontet-Canet 2007 reste très marquant dans mon esprit. J’ai la certitude qu’il contient aussi une part de mon sang.
Il est le premier représentant d’une nouvelle génération de vins du domaine dans lesquels l’approche biodynamique est très palpable.
Il est la preuve que quand on pense que tout est perdu et que l’on est au fond du trou, il y a toujours un moyen de rebondir.
Donc, quand j’ai un problème dans ma vie, personnelle ou professionnelle, j’ouvre une de ces bouteilles en me disant que les choses ne peuvent que s’améliorer !

En 5 ans, on a aussi vu le retour de la traction animale. Actuellement, nous en sommes à 32 ha ainsi cultivées dans leur totalité, soit 40% du domaine. Ces 32 ha ont toujours été traités avec les chevaux ; ce qui rajoute une difficulté supplémentaire car le mode de pulvérisation (jet projeté) est sur le papier et en partie dans les faits, moins performant que la pulvérisation qui associe un flux d’air.

Après les nombreux essais « bio » plus ou moins heureux, on a aussi vu les chevaux fleurir dans la région.
Ce qui m’étonne souvent, c’est l’absence de construction de tels projets.

Dans notre approche biodynamique, on considère qu’il y a deux phases importantes dans la vie des hommes (et aussi des ceps de vigne). Il y a la phase d’émotion et celle de conscience.
Je crois que beaucoup de chevaux (maintenant de bœufs de trait) et aussi d’essais bio sont issus de l’émotion ; c'est-à-dire de démarches qui n’ont pas été construites, ni pesées, sans ligne directrice.
On le fait parce qu’on pense que ça fait bien et que grâce à ça, on va connaitre le succès, au moins médiatique.

Notre décision d’aller vers les chevaux a été faite en conscience, c'est-à-dire après une longue réflexion sur les causes, les moyens nécessaires et les objectifs.
Maintenant, Pontet-Canet se trouve à un moment de son histoire où il va falloir faire des choix définitifs.
A force de pousser les box pour faire entrer de plus en plus d’animaux dans un local de fortune, il faut prendre la décision de construire un vrai bâtiment capable de contenir assez de chevaux pour cultiver les 80 ha du domaine.
Et comme on n’est pas dans l’émotion, ce bâtiment ne doit pas être construit sans vision globale des bâtiments ; il doit s’inscrire dans un ensemble plus large capable de donner une ligne directrice au domaine pour les décennies à venir.
Donc, à notre échelle c’est un gros projet et une lourde responsabilité !

En 5 ans, le raisonnement viticole actuel s’est aussi affiné et fiabilisé.
En 2007, le non-rognage ne concernait que le Cabernet Sauvignon.
Progressivement, il est devenu une généralité, à partir de 2009. Cela a permis d’avoir la cohérence du non-rognage, non-effeuillage et absence de vendange verte sur l’ensemble du domaine et tous les cépages.
Avec l’expérience, nos gestes sont devenus plus sûrs et adaptés aux situations.
Maintenant, on accompagne même les ceps jusqu’à leur mort de l’hiver sans avoir recoupé les rameaux. Une mort dans la sérénité pour une renaissance dans le même « état d’esprit » au printemps suivant.
Rien n’est fondamental mais tout compte !

2012, année particulièrement poussante n’aurait pas pu voir l’absence de rognage avec le savoir-faire que nous avions il y a 5 ans.
Pourtant je ressens plus que jamais que ce choix est nécessaire pour la vigne. Il faut cependant être capable de le gérer ; ce qui n’est pas simple.

En 5 ans aussi, les composts du commerce ont disparu de notre univers. Nous n’utilisons plus que du fumier de ferme, acheté un an avant à un éleveur voisin et qui reçoit les préparâts biodynamiques pour en faire du vrai et bon compost biodynamique. La mise en place a aussi évolué puisqu’on est passé d’un épandage au tracteur sur des parcelles ou portions de parcelles à une mise en place à la brouette et à la main, uniquement aux ceps qui le nécessitent.
Là aussi, le changement s’est fait sur plusieurs années avec une amélioration de la technique pour rendre ce système pérenne.

Les soins au vignoble pour influencer sur la qualité sont devenus beaucoup plus nombreux et beaucoup plus précis qu’avant. De nombreux traitements sont réalisés en hiver durant cette mort apparente des ceps. Ils permettent d’orienter la qualité dans le sens qui nous importe. Ainsi, quand la vigne pousse, on peut dire que le potentiel qualitatif des vignes a été figé. La seule chose, et non des moindres, est alors d’accompagner la vigne durant son cycle pour qu’elle soit forte face au mildiou et autres affections et qu’elle puisse exprimer au mieux le potentiel qu’elle porte en elle.

En commençant l’écriture de ce texte, je n’avais pas envisagé qu’il puisse être aussi long.
La plupart des informations que je viens de donner avait déjà fait l’objet d’un écrit ici-même à ce sujet.
Mais j’ai pensé qu’il était intéressant de faire néanmoins ce genre de bilan.
En 5 ans, il s’en est passé des choses sans qu’on s’en rendre vraiment compte !! Les perspectives qui s'offrent à nous sont immenses car on n'a fait que le plus simple et le chemin est encore long.

N’oublions pas malgré tout que l’année culturale est loin d’être terminée. Certes, le mildiou n’altèrera pas la récolte cette année, mais les raisins sont encore loin d’être dans la cuve et encore moins dans le verre sous forme de vin.

Donc, concentration maximale et humilité sont plus que jamais requises.

Jean-Michel Comme
05 Oct 2012 18:54 #42

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 04 octobre 2012

Les vendanges ont commencé ce matin à Pontet-Canet.

Pour moi, c’est la 24ème dans le domaine ; une paille. Je suis arrivé jeune célibataire et me voici maintenant cheveux grisonnants toujours affairé dans les mêmes parcelles ; même si l’environnement a bien changé.
Le changement le plus symbolique, c’est l’arrivée de la vendange avec des chevaux depuis quelques années. Le transport de cagettes avec les animaux, ce n’est pas dans le projet de suppression du compactage. Mais cette pratique a l’avantage de maintenir la condition physique des chevaux avant les labours d’automne qui commenceront dès la fin de la récolte. Et puis le comportement des gens change au contact des chevaux.

C’est aussi le début de récolte le plus tardif que j’ai pu voir ici.

Depuis ma dernière intervention qui remonte au début de l’été, on a eu des conditions sèches voire très sèches et parfois des températures caniculaires.
Le mois de septembre est passé avec un air estival qui nous a fait penser que l’on pourrait rester encore longtemps avec des vêtements d’été. La transition vers l’automne a été brutale dans les derniers jours de septembre. C’est vraiment là qu’on a réalisé qu’on était aux portes d’octobre.
A cela, on a aussi été aidé par les raisins dont la maturité n’était prévue au mieux qu’à l’extrême fin du mois de septembre. Donc, on ne pensait que de loin aux vendanges.
Un épisode pluvieux de plus de 60 mm en 3 jours a un peu changé la donne.
L’état sanitaire était particulièrement bon avec des peaux épaisses. Mais 60 mm aussi près des vendanges, ça compte.

J’ai donc craint de voir des baies se fendre en grossissant.
La décision a alors été prise d’avancer la venue de l’une des deux équipes de vendangeurs pour le 27 septembre. Mais comme les peaux semblaient très bien résister et qu’elles pouvaient encore gagner en maturité, on a choisi en attendant l’option de l’effeuillage.
Les gens étaient là, en cas de besoin mais les raisins pouvaient continuer de mûrir. C'est un luxe que j'apprécie à sa juste valeur.

Chaque jour, je faisais un tour complet des parcelles de merlot pour vérifier l’évolution de l’état sanitaire ; tout en mangeant beaucoup de baies pour suivre leur maturation.

Jour après jour, on a ainsi gagné une semaine. Mais hier, il m’est apparu que l’on voyait plus régulièrement que le jour précédent des baies altérées.
Il valait donc mieux débuter la récolte.

Ce fut chose faite ce matin. Les raisins qui arrivent sur la table de tri sont sains, sucrés et charnus ; un plaisir à voir. Je pense que localement, nous faisons partie des derniers à nous lancer.

Pourtant, on ne travaille qu’avec une équipe pour pouvoir suivre la maturité des différents terroirs du domaine pour le Merlot. Entre les parcelles les plus précoces et les plus tardives, il y a environ une semaine. La bonne solution est donc de prévoir de vendanger doucement sur environ 7 jours pour tenir compte de cette donnée incontournable.
Avec deux équipes, les 7 jours se transforment donc en 3.5 jours et donc on n’est plus capable de saisir chaque parcelle au moment le plus opportun pour elle.
Et ensuite, quand on a fini le merlot, on peut être rapidement tenté de se précipiter trop précocement sur les cabernets ; même s’ils ne sont pas encore à point. Plus de 200 personnes à occuper ; c’est un bon argument pour éviter tout temps mort !...

Mais tout cela n’est qu’une vision théorique car rien ne se passe jamais comme on l’a prévu.
Donc, comme tout vigneron pendant les vendanges, on fait au mieux en regardant le ciel, en comptant les parcelles encore à vendanger et en goûtant les raisins.

Si le besoin s’en fait sentir, la deuxième équipe sera alors mobilisée. Venant du Portugal, il y a au minimum deux jours entre la décision et leur arrivée effective. Ce n’est pas négligeable et il faut aussi l’intégrer dans le raisonnement. En deux jours, il s’en passe des choses.

Parfois, le ciel gris et les feuilles mouillées ne me font entrevoir que des catastrophes ; tout est gris, même dans la tête. Puis, dès que le soleil revient et sèche les vignes, j’ai alors l’impression que rien ne peut nous arriver.

Une des nouveautés de l’année, c’est l’arrivée d’une troisième réception de vendange. On reste à deux équipes pour deux réceptions de vendange. Mais on a maintenant la possibilité d’en mobiliser une troisième équipe en cas de besoin tout en étant capable de recevoir le raisin supplémentaire avec la même qualité de travail et la même rigueur.
Pas de tri optique chez nous, incompatible avec la philosphie qui est la nôtre; c'est à dire d'aller résoudre les problèmes à leur origine : une baie verte triée c'est bien mais le mieux c'est quand même de ne pas la produire.

A l’heure où j’écris ces lignes, la première cuve béton vient d’être remplie. Trop tôt pour faire le moindre commentaire sur la qualité ou les rendements.

A ce titre, 2012 est donc le troisième millésime certifié bio et biodynamique.
L’année 2012 n’a pas été simple pourtant il y a sur les ceps une récolte qui semble belle en quantité et en qualité.
Mais je refuse toute autosatisfaction car en bio ou pas la moindre des choses est d’assurer une récolte normale en quantité tous les ans. Se satisfaire du fait qu’on a du raisin dans une année difficile revient donc à reconnaitre qu’on a eu de la chance, qu’on n’est pas dans la normalité et donc qu'on ne croit pas à ce que l'on fait !

Je pense qu’on a fait ce qu’il convenait de faire, au bon moment, ni plus ni moins. C’est une des leçons de 2007… A toute chose malheur est bon ; pourrait-on dire.
L’avantage d’être certifié, c’est toujours de pouvoir prouver qu’on a respecté les règles qu’on énonce. Je pense que quand l’hiver aura fait son œuvre, beaucoup de « non-certifiés » auront oublié au moment des dégustations "primeur" les tracas qu’ils ont subis ou les entorses aux règles du bio qui en ont découlées.

Voilà un peu où nous en sommes en ce 4 octobre 2012.

Jean-Michel Comme
05 Oct 2012 18:55 #43

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

samedi 06 octobre 2012

On produit une partie du foin destiné aux chevaux !
Il y a plusieurs années, j’avais fait préparer une parcelle de lande pour en faire une prairie de fauche. Mais l’herbe n’avait jamais vraiment poussé ; surtout par manque d’attention.

L’hiver dernier, on a mis du fumier pour la première fois dans cette prairie qui a pu être fauchée cet été. On a donc du foin ; 31 boules. La certification bio a été demandée pour la parcelle ce qui fait donc qu’une partie du foin que consomment les chevaux est bio.

Avec des soins réguliers, j’ai bon espoir de produire beaucoup plus de foin à cet endroit.
Le reste du foin provient toujours d’un producteur non-bio.
Mais ma démarche donne une dimension plus globale à notre projet de traction animale.

Pour en revenir à l’essentiel, le vin, la récolte du Merlot continue. Contre toute attente parès les pluies de la semaine dernière, l’état sanitaire de ce cépage reste très bon. J’avais noté mercredi une évolution de la pourriture mais deux jours après celle-ci semble stoppée (…pour le moment).

Nous avons malgré tout décidé de vendanger aujourd’hui samedi car j’ai noté la présence régulière de baies présentant une gouttelette de jus qui perle. Cela concerne des baies ayant subi des coups de soleil cet été et dont la peau a été fragilisée.
Dans l’immédiat, cela ne pose pas de problème particulier, surtout avec des fréquences faibles mais en cas de pluies, les chosent pourraient dégénérer assez vite. L’essentiel des terroirs de graves est concerné.
Et comme le goût des raisins semble optimum, on vendange. Hier soir, il restait encore 70% du merlot à récolter ; ce n’est pas une paille !
On n’a toujours que la moitié des effectifs et on devrait pouvoir tenir ainsi jusqu’aux premières parcelles de cabernet.
Avec les vendanges, il ne faut pas voir quand on doit commencer, il faut aussi tenir compte du jour où on peut/doit finir.

Lorsqu’on aura une vision suffisante sur l’évolution de l’état sanitaire et du temps prévu, on décidera si on fait ou non une pause pour attendre les derniers merlots sur argilo-calcaire, qui sont encore en parfaite condition.

Demain dimanche, j’ai prévu un grand tour à pied du vignoble, tous cépages confondus. Ainsi, on aura des bases fiables pour fixer notre stratégie.

Les premières cuves remplies ne sont pas encore en fermentation. Il semble que sur l’une d’entre elles, les odeurs du marc commencent à changer. C’est le tout premier signe d’une fermentation qui pointe son nez. On n’est toujours qu’avec des levures indigènes, donc ce n’est pas moi qui décide !

Jean-Michel Comme
01 Jan 2013 15:14 #44

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

samedi 20 octobre 2012

Les vendanges sont maintenant terminées.

Lors de mon dernier message, j’avais évoqué un plan de récolte idéal que nous avions élaboré en précisant qu’il ne serait sûrement pas mis en œuvre tel quel à cause du temps perturbé.
C’est effectivement ce qui est arrivé.
Des pluies plus ou moins fortes accompagnées de températures très douces et parfaites pour le botrytis ont mis à mal nos prévisions.
Il a fallu avancer la récolte et faire venir les vendangeurs portugais un peu plus tôt que prévu.

Nous avons aussi renforcé les effectifs avec des gens locaux pour vendanger jusqu’à 130 rangs en même temps.
Cette logistique implique aussi de pouvoir servir 250 repas chauds à midi ! Ce qui n’est pas rien…

Dans la région, tout le monde s’est hâté sans trop relever la tête ni regarder autour pour savoir ce qui se passait.
Evidemment, il aura fallu trier la vendange ; plus ou moins selon les endroits. C’est toujours surprenant de voir comment les différents terroirs se sont comportés face au champignon. L’état de maturité est un élément important mais ce n’est pas le seul. C’est un grain de sable de connaissance supplémentaire. Pour pouvoir créer une dune de connaissance, il en faut des grains de sable !!!

Cette pluie laissera un sentiment de frustration au sujet du millésime car elle est intervenue très tardivement et massivement.
Cependant, il ne faut pas enterrer trop tôt le millésime car justement, le fait de pouvoir récolter une vendange mûre (avec parfois la nécessité de trier) donne des vins de bon, voire très bon potentiel.
Les degrés, les acidités et les tanins sont ceux de millésimes mûrs.

Je ne vais pas refaire le coup du millésime du siècle. Mais les dégustations de cuves en fermentation sont très prometteuses. On ne sera définitivement pas sur un petit millésime ; loin de là.

Partout en Gironde, les rendements semblent être bas.
C’est le cas chez nous aussi. Il y avait bien moins de jus que ce que nous pensions avoir sur pied.
On n’a rien enlevé en été et évidement rien ajouté, donc on prend ce qu’il y a et c’est tout.
Je pense que localement, on sera dans la moyenne des rendements.

La viticulture que j’applique est très complexe car il faut « orienter » le vignoble vers un niveau de production en sachant qu’il n’y a pas de possibilité de correction.
Le niveau de vigueur doit aussi intégrer la météo éventuelle du prochain millésime car c’est toujours plus difficile de faire face au mildiou avec des vignes plus vertes !
L’étude des cycles pouvant influencer la météo est donc de première importance pour moi.
J’ai fait des centaines et des centaines de graphes sur le sujet. Je ne me limite pas dans les critères retenus car je n’ai aucun préjugé favorable ou défavorable.
Science et biodynamie ne font qu’un ! :)

Les vinifications suivent leur cours. Finalement, la période est assez tranquille pour moi car on ne peut pas extraire moins. C’est comme partir avec une voiture limitée à 50 km/h ; on n’a pas trop à craindre les panneaux.
Il y a quelques années, il fallait faire évoluer les niveaux d’extraction à tout moment en fonction de la dégustation pour extraire ce qu’il fallait mais sans trop extraire. Depuis 2007, chaque année nous amène à extraire moins que l'année d'avant. C'est surprenant, y compris pour moi !
Maintenant, on commence au minimum possible avec très peu de possibilités pour baisser encore plus.
Je continue de déguster une à plusieurs fois par jour chaque cuve mais c’est pour me confirmer que je ne suis pas dans l’erreur en extrayant si peu.

La semaine prochaine va être consacrée au rangement de tout ce qui ne sera plus utilisé avant un an : matériel, drap, ustensiles de cuisine,…

Parallèlement à cela, on va prévoir de mettre le compost aux ceps qui le nécessitent. Le faisant pied par pied à la brouette et à la main, il n’est pas nécessaire que les sols soient secs. Les pluies actuelles ne dérangent donc pas ce travail.
Par contre, les labours qui vont suivre ne peuvent pas se faire dans ces conditions. Il va falloir attendre le retour de quelques jours de beau temps pour envoyer tracteurs et chevaux chausser les vignes.
Il ne sert à rien de forcer la nature.

C’est tout pour aujourd’hui en ce samedi pluvieux…

Jean-Michel Comme
01 Jan 2013 15:17 #45

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 15 novembre 2012

Depuis ma dernière intervention, les fermentations se sont terminées ; ainsi que les vinifications proprement dites.

Ne comptez pas sur moi pour vous donner des pistes de comparaison avec d’autres millésimes ou une évaluation de la qualité du vin. Il est encore trop tôt et mon avis pourrait être qualifié de non-objectif ; … ce qui ne serait pas faux !

Les fermentations alcooliques ont été faciles et je ne comprends toujours pas pourquoi plus personne ne songe à utiliser les levures indigènes. Elles sont gratuites et sûrement les plus aptes à transmettre une complexité supplémentaire au vin.

Maintenant, nous en sommes aux fermentations malolactiques. Dans les dernières années on est progressivement revenu à les faire en cuves plutôt qu’en barriques neuves ; toujours en levain indigène, évidemment !
Là-aussi, les vendeurs de bactéries prêtes à l'emploi ont bien fait leur travail de marketing ; l'ensemencement devient la norme. C'est triste !

L’avantage de le faire sous bois est de donner des tanins et un boisé mieux intégrés au moment stratégique des dégustations primeur.
A l’opposé, j’ai aussi estimé que l’on perdait en pureté du fruit et aussi en sincérité dans l’expression du terroir.
A la vigne ou au chai, aucun artifice ne doit venir masquer l’expression de l’endroit où les raisins ont poussé. Travail sans filet ; si une erreur est faite au préalable, on la verra. Donc, il ne faut pas faire d'erreur ou alors la payer au prix fort !

Quand cette fermentation malolactique est terminée, le vin est légèrement sulfité puis soutiré une semaine après.
Ce n’est qu’ensuite qu’il peut aller en barriques.
Donc, pas non plus de séjour plus ou moins long sur lies. Le gras dans le vin doit être l’expression de la profondeur intrinsèque du vin ; quelque chose qui lui vient de son âme et pas d’une décomposition plus ou moins heureuse de levures. La technique d'élevage sur lies dans les rouges a connu son heure de gloire comme toute nouvelle technique; mais elle est retombée ... comme la plupart des nouvelles techniques.

Assez parlé de vinification. Je rejoins l’attitude d’ Aubert de Villaine décrite dans l’excellent commentaire de Jérôme Perez sur le WWS. La description du travail du vigneron s’arrête aux portes du chai. La vinification est secondaire ; certes indispensable mais secondaire.

Mon attention se porte maintenant sur le millésime 2013 qui a commencé. Pas facile en cette année tardive de pouvoir mener à bien le chantier de mise en place du compost à la brouette aux seuls pieds qui le nécessitent.
Mais c’est un travail que je veux poursuivre plusieurs années de suite pour pouvoir être capable de tirer des conclusions fiables sur sujet. Si on arrive à faire rehausser un peu la production moyenne des pieds les plus faibles, sans augmenter celle des ceps les plus vigoureux, on aura réussi et même largement rentabilisé l’opération. On peut en effet penser que le niveau de qualité ne sera pas altéré tout en augmentant un peu la production.

Mais c’est quand même un travail fastidieux quand il est appliqué à l’échelle d’un domaine de 80 ha et planté avec un mètre entre les rangs.
Rien n’arrive sans effort.

De ce fait, les labours ont aussi pris du retard. Heureusement, on finit par en voir le bout.
Les chevaux aussi ont connu leurs périodes de turbulence. Deux animaux sur cinq sont passés par la case infirmerie, avec vétérinaire, prises de sang et arrêt de travail.
Donc, du retard dans le travail car notre projet est basé actuellement sur 4 chevaux en permanence dans les vignes. Et là, le compte n’y est pas.
C’est la réalité des choses. La poésie est largement minoritaire par rapport aux contraintes et imprévus souvent brutaux du quotidien.

On profite aussi de ces quelques jours de beau temps pour tenter d’épandre (au tracteur) du fumier de cheval dans nos prairies destinées à produire du foin (bio) pour les chevaux. On se rapproche un peu du modèle autonome défini par Steiner et qui est si cher à Hervé…winking smiley

Pour redire quelques mots sur le vin, depuis le début des vinifications je déguste les vins en gardant en mémoire les soins biodynamiques qui ont été réalisés spécifiquement sur les parcelles. A partir de là, je me fais mon idée par rapport à ce que la parcelle à l’habitude de produire en qualité en valeur relative et absolue dans chaque millésime.

C’est ainsi que certains choix peuvent être confirmés et d’autres abandonnés. A partir de là, je vais orienter mes choix pour la prochaine campagne.
Nous avons beaucoup de traitements à faire dans l’hiver et c’est donc maintenant qu’il faut commencer à les planifier.

C'est tout pour le moment.

Jean-Michel Comme
01 Jan 2013 15:18 #46

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 24 décembre 2012

Je suis l'aventure des dolias depuis leur genèse, mais tant que ce n'était pas officiel, j'avais promis à Jean-Michel Comme de ne pas en parler. Vu qu'elles sont aujourd'hui à la vue du grand public qui visite Pontet-Canet, je suis libéré de mon engagement ;)

Cela fait plusieurs années que Jean-Michel essayait de trouver une alternative aux barriques "d'un vin" car elle donnent un résultat qualitatif nettement inférieur aux barriques neuves. Et en même temps, il ne voulait pas faire du 100 % barriques neuves. Je lui avais parlé des essais d'amphore du Clos d'un jour (je lui avais même fait déguster "un jour sur terre" pour qu'il juge sur pièces). Il avait trouvé cela intéressant, mais des amphores de 120 l sont difficilement envisageables pour un domaine de 80 ha. Même les cuves ovoïdes de Nomblot existantes n'étaient pas satisfaisantes en terme de volume par rapport à l'espace occupé au sol.

Comme souvent à Pontet-Canet, les solutions ont été trouvées en interne. Jean-Michel a dessiné lui même la cuve. Puis fait faire un moule. Ensuite, plusieurs essais ont été faits pour trouver la bonne composition du matériau, avec dégustations comparatives. Il a été inclus un peu de caillou calcaire broyé issu du sol de Pontet-Canet pour que le vin garde un lien avec le terroir durant l'élevage. Le badigeon comprend un peu d'argile orange de Pontet Canet.

La fabrication des dolias a démarré il y a trois mois dans une entreprise médocaine, avec vue sur la Gironde. Il y en a aujourd'hui cinquante.
[size=small]Les photos sont de JM Comme[/size]

EricB
01 Jan 2013 15:19 #47

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 25 décembre 2012

Tout a déjà été dit sur cette nouveauté des dolia. C’est cependant à replacer dans le contexte du domaine.

Notre philosophie, je l’ai déjà dite et redite ici-même. Mais il convient de la redire pour faire sentir la logique globale de la démarche.

Notre travail à la vigne vise à l’expression la plus pure du terroir supprimant toutes les actions qui peuvent le masquer ou en donner une interprétation faussée.
Ainsi, rognage, effeuillage et vendange verte, ont été bannis. Les vins sont issus d’équilibres naturels des pieds de vigne.
La biodynamie, instrument et moteur de cette philosophie permet d’obtenir des vins ayant une expression à la fois plus minérale, une plus grande pureté aromatique et un équilibre différent.

La vinification vise à respecter cette volonté pour la transformation du raisin en vin. Ce n’est presque plus qu’une simple infusion que nous réalisons, loin de la technologie ou des modes ; voire des technologies à la mode.

Le passage à l’élevage se fait maintenant en ayant supprimé les fermentations malo-lactiques en barriques car j’estimais qu’elles n’allaient pas dans le sens de cette pureté recherchée.

L’arrivée des dolia s’inscrit donc dans la continuité du travail réalisé depuis le terroir.

On va chercher à maintenir cette pureté aromatique sans la masquer par un excès de bois.
La proportion de bois neuf a été réduite dans les derniers millésimes.
On reste donc à 50% de bois neuf. Les dolia vont remplacer une partie des barriques de un vin.

50 dolia ne représentent cependant qu'une proportion assez faible de la production.

Nous travaillons sur la question depuis le millésime 2009; d'abord avec un élevage dans une de nos cuves de 80 hl. Mais la taille de ces cuves était trop importante pour avoir une bonne évolution des tanins du vin. La pureté du fruit était respectée mais au prix d'une évolution trop faible des tanins. L'épaisseur de la paroi était trop importante et le volume trop élevé. La surface d'échange progresse moins vite que le volume de la cuve quand on va vers des cuves de plus grande taille. C'est un intérêt de la barrique qui a une bonne surface d'échange par rapport à son volume.
C'est pour cela que sont arrivées 10 cuves de 6 hl en béton. L'épaisseur de la paroi était plus faible et le volume de seulement 3 barriques.
La forme très médiatique nous importait peu car on ne fait pas d’élevage sur lies.

On a fait des tests sur le millésime 2010, en comparaison aux cuves. Nos attentes se sont concrétisées.
On conservait la pureté du fruit tout en ayant une bien meilleure évolution tannique.

Et on a décidé de franchir le pas, il y a un an. J’ai dessiné une cuve nouvelle et nous avons fait construire le moule, qui de ce fait nous appartient.

La forme de la cuve a été réfléchie. Une forme évasée en partie basse privilégie le gras dans le vin, car il y a plus de surface de contact avec les lies. Une partie basse plus resserrée laisse les vins plus tendus. Cela risque aussi de faire réduire les vins par un entassement des lies. La forme choisie est un équilibre entre les deux versions, gras et tension.

Elle a aussi l’avantage d’être équilibrée visuellement.
Même si ce n’est pas fait exprès, sa hauteur divisée par son diamètre moyen est pratiquement au nombre d’or (1,60). C’est pour les puristes…:)
Pendant ce temps, les œufs ont eu un deuxième millésime, le 2011. On a pu tirer de nouveaux enseignements de cet élevage et faire évoluer le projet en conséquence.

J’ai pris contact avec un maçon local qui avait aussi une bonne expérience dans les cuves béton traditionnelles. Après avoir été un peu effrayé par ma demande, il a finalement accepté le challenge ; non sans avoir conservé une certaine angoisse !
Nous ne voulions pas que l’information circule avant les cuves ; comme c’est souvent le cas par exemple quand les gens communiquent sur la biodynamie avant même d’avoir commencé; tout en disant qu'ils le font pour le vin..

Deux cuves ont été moulées au printemps, pour être remplies en début d'été.
En septembre, après dégustation des vins, la production a été lancée.

Je voulais aussi lier les cuves au terroir de Pontet-Canet ; qu’elles en aient la mémoire.
Pour cela, la moitié des cuves a reçu dans le béton, au moment du moulage, du calcaire provenant de notre meilleur terroir argilo-calcaire et où nous produisons le meilleur merlot du domaine.
Ce calcaire a été broyé pour l’intégrer au béton.

L’autre moitié a reçu des galets de graves que j’ai ramassé un à un sur la croupe de Pontet-Canet en respectant la diversité des couleurs pour avoir tous les types de graves du domaine.

Le maçon m’avait donné la taille maximale admissible pour des cailloux entiers. Je ne voulais pas broyer les graves, étant persuadé qu’elles émettent une énergie. N’est-ce pas Luc ?;)

Enfin, pour le badigeon extérieur, j’ai pensé que le gris traditionnel était un peu triste. On lui a préféré du ciment blanc dans lequel on a ajouté de l’argile orange. Cette argile provient d’une lentille de quelques mètres carrés repérée entre deux parcelles pendant mes tours dans le vignoble.
Plusieurs argiles ont été essayées mais c’est celle-là qui a été choisie. Il a fallu la purifier car naturellement, cette terre argileuse contient 50% de sable alors qu’on pense qu’il s’agit d’argile pure.
Calcaire, Argile et Graves représentent 3 éléments (Terre, Eau et Feu). L'Air c'est tout simplement celui qui traverse la paroi poreuse pour aller rencontrer les tanins. Ainsi, on retrouve bien les 4 éléments. Ouf!

Actuellement, 48 des 50 cuves fabriquées ont été livrées ; les deux dernières le seront au début janvier car elles n'étaient pas assez sèches..

Dès la rentrée, on va les préparer puis les remplir. D’abord avec des lots séparés puis avec l’assemblage lorsque celui-ci sera réalisé. Les vins de Merlot iront préférentiellement dans les cuves contenant du calcaire. Les autres sont pour le Cabernet Sauvignon.

Voilà, pour la précision demandée…

Jean-Michel Comme
01 Jan 2013 15:21 #48

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 01 janvier 2013

Quand je suis arrivé à Pontet-Canet, on n’en était pas à s’occuper des terroirs différents au sein d’une même parcelle. On était au stade du gros œuvre plus que celui des finitions !

Puis, après quelques années, il y a environ 20 ans, j’ai ressenti le besoin de segmenter certaines parcelles pour les vendanges, sinon pour certains travaux de l’année, car visiblement la différence de sol générait des qualités différentes.
J’ai affiné cette politique de gestion parcellaire par micro-terroirs durant quelques années pour atteindre un paroxysme au début des années 2000 ; il y a un peu plus de 10 ans.
A cette époque, j’avais aussi pris en charge la vinification et je pouvais aller au bout du raisonnement en vinifiant séparément avec la plus grande précision possible par rapport à la micro-zone.
J’ai vinifié dans des cuves de taille de plus en plus petite en allant même jusqu’à mettre de la vendange dans une cuve de 19 hl ; ce qui est minuscule en comparaison de la taille du domaine.

Je n’ai jamais été attiré par les cartes pédologiques. C’est très à la mode mais en général, elles finissent dans les salles de dégustation pour impressionner le touriste car personne ou presque n’est capable de les lire et surtout le lien avec la réalité de la qualité est assez flou.

Depuis toujours, j’ai simplement regardé le résultat d’un endroit sur la pousse de la vigne, sur son état sanitaire, sur la qualité des raisins,…
Les différences de sol qui marquent les vins, se voient évidemment sur le terrain comme le nez au milieu de la figure.
Si cette « différence » ne se voit pas dans le vin, son intérêt est plus limité ; voire uniquement intellectuel.
J’ai parfois constaté que les efforts de segmentation de certains micro-terroirs étaient seulement intellectuels car les vins produits étaient très comparables et finissaient dans la même cuve dès la fin des vinifications. Les efforts faits et l’argent dépensé pour vendanger séparément des petites zones (en commençant par exemple à vendanger au milieu du rang) n’étaient pas payés en retour.

Cette proximité avec le terrain m’a permis le gain de précision qui a nous a donc amenés au début des années 2000.

Finalement, la segmentation de plus en plus poussée des terroirs pour des qualités de vin en proportion, était aussi une sorte de constat d’échec dans la gestion du domaine. N’ayant pas été capable d’optimiser les différents endroits, on les sépare et on voit cette différence qualitative le verre à la main.
A la fin, on se retrouve effectivement avec des lots séparés de qualité différente et on finit par avoir des assemblages avec une proportion de premier vin faible. Alors on se dit, fier de soi qu’on a bien fait de faire tout ce travail.

Là, la biodynamie est arrivée et a amené un autre raisonnement et d’autres relations vis-à-vis du terroir.

Cela a permis de mieux comprendre les forces et les faiblesses de chaque endroit et surtout de pouvoir amener des solutions pour pallier aux faiblesses.
Ainsi, la qualité de tous les endroits a augmenté et a rendu le travail de sélection parcellaire beaucoup plus succinct.
Quand on ambitionne 40 à 50% de premier vin, on peut tolérer des lots « faibles » qui iront dans le second vin voire le troisième.

J’ai travaillé depuis longtemps avec l’idée de ne faire que du grand vin. Objectif illusoire certes, mais qui impose de ne rien laisser de côté dans les moyens et les idées mis en œuvre. Il faut aussi accepter de prendre des risques et de les assumer.

Je n’arriverai jamais à produire 100% de grand vin, mais cet objectif m’oblige à ne jamais faire de concession et à toujours rester critique sur mon travail, mes réussites et mes échecs.

Sans avoir vraiment anticipé le phénomène, il est apparu que l’approche biodynamique qui a été appliquée a eu entre autres, comme conséquence une augmentation de la qualité des zones les plus difficiles. Il a aussi fallu le traumatisme de 2007 pour accéder à certains niveaux de connaissance des terroirs que nous n’avions pas.
Par rapport à la période d’avant, la connaissance des terroirs s’est améliorée, toujours avec ma présence sur le terrain, mais avec des moyens de compréhension beaucoup plus fins.
Par exemple, nous n’utilisons que le raisonnement symbolique, c’est-à-dire l’idée que chaque détail du vivant veut dire quelque chose.

Mon jugement des études pédologiques est donc devenu beaucoup plus critique car finalement elles sont basées sur une approche grossière de la réalité d’un terroir et du vivant. Un terroir et surtout un grand terroir, c’est avant tout de la subtilité et des gros trous au tracto-pelle pour comprendre un endroit, c’est très loin de la subtilité. Les racines de la vigne ont une capacité bien plus importante d’exprimer le terroir qu’une pelle mécanique. Toutes les plantes et tous les détails d’un endroit expriment qui est l’endroit et donc ce qu’il peut nous amener à nous vignerons.

Les 80-90% de grand vin que nous produisons maintenant avec le niveau de qualité actuel montrent que nous étions dans le faux auparavant.

Si on compare un cep de vigne à un enfant que l’on éduque, on peut dire que la politique qui a été la nôtre il y a quelques années, c’est comme si dans une classe, on ne fait que juger le niveau des élèves et qu’on ne retient que ceux qui correspondent aux objectifs.
Maintenant, on essaie de comprendre qui est chaque élève pour lui donner l’éducation la plus appropriée à lui-même afin qu’il réussisse à atteindre ce que l’on souhaite pour lui.
A la fin, il y en a un plus grand nombre qui est capable d’être retenu dans la sélection.
Ce n’est pas magique mais du simple bon sens.

Pourtant, en regardant vers l’arrière, ce n’est pas un sentiment de satisfaction qui m’anime mais plutôt la conviction que l’essentiel reste encore à bâtir.
Ce que nous avons construit a le mérite d’exister et a permis de montrer qu’une autre voie est possible.

Mais, je pense qu’il nous faudra se servir de cette base pour aller vers autre chose de plus global, de plus intégré et de plus respectueux du vivant (avec un grand « V ») que ce que nous faisons actuellement.

De notre viticulture actuelle, il n’y aura finalement pas grand-chose à garder. Si j’ai l’opportunité de continuer dans ce métier encore longtemps, peut-être que dans quelques années, je regarderai avec un sourire amusé et compatissant la viticulture qui est la nôtre actuellement et qui m’a pourtant demandé, pour la créer une énergie intérieure, une abnégation et un don de soi considérables !

Cette viticulture de demain dont je ressens l’existence risque néanmoins de demander encore plus d’implication et d’énergie personnelle que la précédente.

Qui a parlé de Chemin de Croix ?...

Jean-Michel Comme
15 Oct 2013 19:00 #49

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

dimanche 24 février 2013

La taille vient de se terminer. On peut dire que les vignerons ont eu une saison de taille particulièrement arrosée. Fait rare, il a fallu changer parfois le planning de taille pour tenir compte de l'humidité.
Un vigneron a laissé de côté une grande parcelle de merlot sur sol argilo-calcaire en attendant des jours meilleurs. Puis quand il a eu fini ses autres parcelles, la pluie n’avait toujours pas quitté la région. Il n’a pas eu d’autre solution que de prendre son courage à deux mains et tailler sa parcelle dans des conditions difficiles.
C’est le travail du vigneron. Personne ne se plaint. Bien-sûr, ils préfèrent travailler quand il fait beau, mais ils savent qu’il faut faire le travail, alors ils le font sans état d’âme.

Heureusement, depuis quelques jours, la pluie est partie. Tout le monde respire et apprécie les températures basses, pratiquement les premières de l’hiver !

Maintenant, les vignerons réparent le palissage sur leurs parcelles. Le principe est simple dans nos vignobles à forte densité. Ils tapent sur les marquants (=petit piquet qui tient le cep) et le grand piquet (=celui qui supporte les fils de fer) avec un bâton. Si le piquet est fichu, il bouge beaucoup. Il est donc arraché puis changé. Il faut ensuite les enfoncer à la masse et remettre les pointes qui tiennent les fils. Justement, il faut aussi réparer les fils coupés et leurs ancrages dans le sol. Tout est fait à la main. Il y a trop de piquets par hectare pour trouver une rentabilité à enfoncer les piquets avec un tracteur et un enfonce-piquet hydraulique.

Les vigneronnes pendant ce temps plient les « astes », c’est-à-dire les longs bois ou baguettes, selon les expressions propres à chaque région. Elles alternent aussi avec le conditionnement c’est-à-dire la mise en caisses d’une partie du millésime 2010.
Avec le temps, les réglementations sont devenues beaucoup plus complexes. Il y a des spécificités pour chaque pays. La montée en gamme du vin fait aussi que les commandes ressemblent beaucoup plus à de l’épicerie que de l’industrie lourde.
Il y a 20 ans, grossièrement on avait, un stock tampon de caisses pour le marché français et un stock pour le reste du monde. On prenait des palettes entières en fonction des besoins. Maintenant, une commande est spécifique à chaque client-négociant et même souvent à chaque client de nos clients.
Tout cela avec des numéros de lot et des numéros de client gravés sur chaque bouteille.
C’est donc beaucoup de temps passé et de précautions à prendre. Depuis 10-15 ans, une personne est dédiée aux préparations d’expéditions. En période calme, elle fait les caisses seule. Sinon, elle coordonne le chantier de conditionnement, le respect des demandes faites par la personne chargée des préparations de commande et enfin charge les commandes dans les camions avec vérification et même caméras de vérification.
On a quitté le monde de l’agriculture !

Le domaine a vécu un traumatisme en perdant un cheval durant le week-end dernier. C’est la première fois que cela nous arrive. Kakou était là depuis le début et sa personnalité le rendait attachant. Tout le monde a été touché par cette disparition.
Cela montre aussi qu’un tel projet n’est pas dans la poésie car en plus des nombreux problèmes à résoudre, parfois il y a des drames.

La vie continue et un autre cheval va bientôt arriver pour remplacer Kakou.
Le projet ne va pas se développer cette année même si nous sommes techniquement capables de progresser en surface. Le local qui sert d’écurie depuis 5 ans est arrivé à un point de saturation qui fait qu’on ne peut pas accepter d’animal supplémentaire actuellement.
Mais on ne reste pas immobile pour autant car nous travaillons à un projet de bâtiments incluant une écurie dimensionnée pour recevoir assez de chevaux pour les 80 ha du domaine.
C’est un projet global qui intégrera bien plus qu’une simple écurie. Il demande donc d’être bien réfléchi car il sera la colonne vertébrale du développement du domaine dans les prochaines décennies. Il faut penser à tout ce qui peut arriver et essayer de l’intégrer sans penser à toucher au gros œuvre.
Nous préparons aussi l’avenir en ayant acheté une maison proche de notre lot de parcelles qui se trouve à la sortie de Pauillac à 1 km du domaine. La maison logera une famille de vignerons comme c’est une pratique courante chez nous. Et dans les dépendances, on pourra installer une écurie « poste avancé » pour loger les deux ou trois chevaux nécessaires à l’entretien des parcelles d’à côté. Ainsi, les animaux n’auront pas à faire 4 voyages par jour aux périodes de forte activité. Le reste du temps, ils auront leur place avec les autres dans les écuries neuves.
Cela n’est pas encore pour demain mais on s’y prépare.

Enfin, le vin n’est pas oublié. Le 2011 est maintenant remonté en cuves béton, prêt pour la mise en bouteille qui doit intervenir en juillet. Il lui reste quelques mois pour parfaire son évolution.
Le 2012 est donc maintenant en barriques ou en dolia.
Je n’ai pas résisté à l’envie de déguster les vins qui ont été placés dans ces nouveaux contenants.
Il y a maintenant 60 dolia dans l’ex-chai à barriques qu’on devrait rebaptiser chai à dolia !
Quand je vois les cuves ainsi alignées, je ne peux pas m’empêcher d’être fier et ému d’avoir eu la possibilité d’initier et de mener à bien un tel projet. Je remercie les propriétaires pour la confiance qu’ils me témoignent.
Maintenant, il faut confirmer dans le verre les espoirs que nous mettons dans ces contenants.

Les choses vont vite car on commence à entendre parler de plus en plus souvent des dégustations primeur du début avril.
Avec elles, il y aura les nouvelles feuilles de vigne et une nouvelle saison qui va commencer…

Voilà ce que l’on peut dire aujourd’hui de la propriété. Une page, c’est à la fois long et très court pour dire tout ce qui peut se passer sur un tel domaine. Chaque jour, chaque année apporte son lot de petits changements. Aucun n’est fondamental mais tous comptent un peu dans le résultat final.
Et en 2013, au même stade qu’en 2012, on ne travaille pas vraiment tout à fait pareil.

Jean-Michel Comme
15 Oct 2013 19:01 #50

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 15 mars 2013

Les dolia ont fait des petits.
Depuis cette semaine, il y a environ 80 dolia dans le chai de Pontet-Canet.
Pour être tout à fait clair sur le sujet, je peux le dire maintenant ; le projet actuel est de 100 pièces. C'est une question de semaine pour y arriver.
Je n'ai pas voulu en parler avant d'en avoir 50. Mais il faut 100 dolia pour représenter 1/3 d'une récolte moyenne du domaine. Avec seulement 50, on était encore presque dans l'anecdotique.

Les permiers vins entonnés "endoliés" ont maintenant presque 2 mois de présence. On peut déjà tirer des enseignements à la dégustation. Mais il faudrait en parler dans la rubrique "biodynamie". C'est comme je l'avais rêvé mais en mieux. Cela montre la complexité du vivant.

Pour rebondir sur un autre débat,
le vin est d’inspiration cosmique. Il a le goût de la matière du monde
Finalement, il n'y a même pas besoin de la matière, juste l'impulsion suffit !;)

Je voudrais aussi relever le fait que la rubrique Pontet-Canet a dépassé les 500000 visites. C'est incroyable !

Jean-Michel Comme
15 Oct 2013 19:03 #51

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 14 octobre 2013

Le temps est venu de donner quelques nouvelles de Pontet-Canet. Depuis le temps, je ne boudais pas ni n’avais vraiment pris de la distance avec LPV. Je n’avais pas envie d’écrire tout simplement surtout pour redire toujours la même chose.

L’hiver a été marqué par la pluie sans vraiment de froid à Bordeaux. Partout, les vignerons ont subi ces conditions climatiques pénibles et souvent ils ont pris du retard.
Le froid est arrivé tardivement et quand ce n’était plus le moment.
Le débourrement a donc été influencé par la pluie et le froid. Les adeptes du « il n’y a plus de saison » diront que le printemps n’a pas existé en 2013.

Je m’étais préparé à des saisons culturales difficiles car passionné par les cycles de la lune, je pense qu’on est maintenant dans une période moins favorable que dans la décennie précédente.
Presque comme en 2012, il a fallu traiter sans baisser la garde jusqu’à l’été.
Le temps froid a persisté jusqu’après la fleur et donc celle-ci s’est déroulée dans les pires conditions avec deux semaines de retard par rapport à la moyenne.

Assez vite, on a supposé des taux de coulure très élevés ; particulièrement pour le merlot mais pour tous les cépages.
C’est la plus forte coulure depuis 1984 ; il y a presque 30 ans.

Même si l’effet du rognage est connu sur le taux de nouaison, c’est-à-dire la proportion de fleurs qui deviennent des grains de raisin, j’ai tenu à poursuivre dans le voie du non-rognage mise en place il y a de nombreuses années.
C’était selon moi une nécessité pour la vigne dans l’année mais aussi pour les années suivantes.

J’avais eu le même raisonnement en 2007, au risque d’en payer le prix sur les attaques de mildiou en maintenant un inoculum sur les feuilles. Et en 2008, on avait tourné la page du millésime précédent mais la vigne n’avait pas oublié l’effet positif pour elle de cette pratique.

Là, c’est la même chose. Malgré l’excès d’eau dans le sol qui allait rendre la vigne « poussante » quel que soit le temps estival, il fallait lui donner les conditions physiologiques pour qu’elle puisse suivre un cycle le plus normal possible avec un arrêt de croissance dans l’été pour une bonne maturation. Seul le non-rognage le permet. Il est d’autant plus nécessaire quand l’humidité est présente...mais il est aussi d’autant plus difficile à tenir quand justement, la vigne ne cesse de faire de nouvelles feuilles.
Il a donc fallu une présence bien plus forte que les autres années pour faire, refaire et refaire encore les fameux ponts qui remplacent le rognage.

Il faut ajouter le fait que chez nous le rendement que nous souhaitons, soit 35hl/ha, doit être obtenu sans rectification de charge par des vendanges vertes. La vigueur du vignoble est donc conditionnée par cela. Il est évident que quand un phénomène extérieur diminue le potentiel de rendement, on a effectivement un manque à la fin. Les vendanges vertes tamponnent les excès du climat dans un sens et dans l’autres mais possèdent des effets pervers que je ne souhaite plus voir chez nous.

On a supporté ces conditions peu favorables jusqu’à la fin juin. Evidemment, j’ai adapté les soins biodynamiques au climat que nous subissions, terroir par terroir et cépage par cépage.

Le temps a basculé au beau et même très chaud en juillet avec des températures proches de la canicule.
On a pu enfin souffler. Là aussi, il a été nécessaire de faire évoluer les traitements pour tenir compte de cette nouvelle donne.
Cela étant, le mildiou s’est progressivement développé sur feuilles durant tout l’été malgré des conditions qui sur le papier ne lui étaient pas favorables du tout.
Puis la nature nous a envoyé un coup rude le 26 juillet au soir. Une véritable tornade a traversé notre petite région et particulièrement Pauillac. La coiffe du clocher de l’église s’est envolée et allant atterrir sur une maison plusieurs dizaines de mètres plus loin ; risquant de tuer l’occupante.

Heureusement, la vigne n’a pas subi de vrais dommages mis à part des pointes tordues sur les piquets et des rangs parfois légèrement couchés.
Les plus gros dommages ont concerné des toitures, la garenne du Château, une nouvelle fois marquée mais surtout c’est notre plantation de peupliers de 15 ans qui a été décimée. 95% des arbres ont été coupés à mi-hauteur alors qu’ils étaient bons à exploiter.
Un vrai coup au moral même si ce n’est pas vital pour nous.

La véraison est intervenue au début aout. On commençait à entendre des dates particulièrement tardives pour le début des vendanges.
Heureusement, dans ce contexte morose, aout et la première moitié de septembre ont été chauds et secs.
La maturation a été chaotique. Mais paradoxalement c’est peut-être la faible production qui nous a sauvés. En effet, dans les conditions de l’année, la vigne n’aurait jamais pu vraiment murir une récolte « normale ». Pourquoi cela, je ne sais pas car on a déjà eu des mois d’aout et septembre bien pires avec une meilleure efficacité. La viticulture n’est pas une science exacte !

Très vite les grains se sont bien goûtés sur le domaine. Et je n’envisageais pas qu’on puisse attendre au 15 ou 20 septembre comme on l’entendait, même en cas de vrai beau temps.
La biodynamie a changé les raisins depuis plusieurs années et c’est particulièrement vrai pour le cabernet-sauvignon.

Les pluies de fin septembre ont ensuite changé la donne. Tout le monde s’est mis à surveiller l’état sanitaire des grappes et quand la situation a évolué de manière visible, les gens ont commencé les vendanges.
Chez nous, ce fut le 30 septembre avec une équipe. Puis l’humidité persistante nous a suggéré de convoquer la deuxième équipe pour cueillir les parcelles de cabernet sauvignon au meilleur moment (dans le millésime).
On a alors terminé le 10 octobre.
Le rendement est de fait lilliputien car il devrait être voisin de 15hl/ha ; du jamais vu depuis très longtemps. C’est sûrement dans la fourchette basse des rendements mais les plus élevés ne devraient pas être très élevés.

Il s’agit de ma 25ème vendange à Pontet-Canet ; un cap psychologique évident mais avec un accouchement difficile.

Avec 23 cuves au lieu de 45 et le cuvier bois pratiquement vide, il faut se concentrer pour garder le lien nécessaire avec les cuves.

Je l’ai souvent dit, la vinification est devenu chez nous un acte secondaire. C’est-à-dire qu’il faut la faire sérieusement mais sans espérer changer le potentiel de la vendange de départ.
Cette année encore, les intensités d’extraction sont dans la lignée des années précédentes et donc très faibles. Ce n’est pas un choix personnel mais une constatation qui s’impose à moi quand tous les jours je déguste les moûts pour élaborer la suite des niveaux d’extraction.

Cela étant, je suis satisfait du niveau de qualité des vins jeunes. Personne n’a encore fini de fermenter et je suis optimiste pour les assemblages. Mais je ne referai pas une fois de plus le coup de l’année du siècle…Donc, je n’en dis pas plus.
Cependant, je suis suffisamment confiant pour penser qu'il ne devrait pas y avoir obligation d'aller chercher ses magnums de 2013 à Vingrau pour les enfants nés dans l'année...smileys with beerwinking smiley

Par contre, les chais à barriques seront pratiquement vides.

C’est une année qui montre que la viticulture est une partie de l’agriculture et qu’on est soumis aux aléas du climat.
Les néo-investisseurs de la filière vont avoir besoin de toute leur motivation pour supporter des comptes d’exploitation qui seront la plupart du temps négatifs ; mais dans tous les cas très loin de la situation après 2009 et 2010.
C’est sûrement la principale leçon de ce millésime hors-normes du début à fin.

Il est encore trop tôt pour tirer des leçons de ce qui a marché et ce qui au contraire n'a pas été à la hauteur de mes attentes. Et je sais déjà que dans ce dernier cas, la liste est longue.

Heureusement, on a pu aussi découvrir des perspectives nouvelles qu'il faudra fouiller dans le futur. Parfois c'est pour l'an prochain, mais il arrive aussi qu'on se fixe un programme sur les 30 ans à venir, donc il n'y a pas matière à s'ennuyer...

Jean-Michel Comme
15 Oct 2013 19:04 #52

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