La règle est simple : nous donnons "Carte Blanche" à des hommes du vin pour qu'ils signent un éditorial.
François Dubernard avait à cœur de tenir ce rôle : qu'il en soit remercié. La langue de bois n'existe pas sur LPV et c'est tant mieux.
Un éditorial qui donnera sans doute un beau débat, que nous espérons constructif et digne.
Paroles sincères de vigneron :
ICI
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Francois Dubernard, Domaine du Bouscat, Bordeaux Supérieur
De l’éthique du Vin, du respect d’autrui, du plaisir de créer de jolis vins et de les partager.
Cela fait plus de 6 mois que je rumine ce texte. Différents essais, certains trop naïfs, d’autres trop techniques…
J’ai repris le Domaine familial, il y a 10 ans.
Mon père travaillait (travaille toujours comme tout bon retraité paysan) notre terre.
Dans les années 60 quand il reprit la suite de son père, l’argent ne coulait pas à flot. Il commença donc à raisonner son travail. Mais toujours pas de désherbages chimiques, uniquement des engrais organiques etc.…
Tout d’abord comme il n’aimait pas trop les produits chimiques, il limita avec son bon sens la quantité de produits phytosanitaires lors des traitements, et les géra parcelle par parcelle. Cela rendit les vignes de plus en plus résistantes vis-à-vis des maladies.
Après avoir commencé des études de mathématiques, je me réorientais et obtenais un BTS viti-oeno. En 1998, je débarquais sur le Domaine pour en reprendre les rênes. Dès cette année, je me disais qu’il y avait quelque chose de sympathique à faire avec les parcelles de coteau, plein sud! Allez, zou ! Opération ébourgeonnage, échardage puis vendanges en vert. Résultat : naissance de la Gargone : un vin différent et quelque peu fougueux, qui de millésime en millésime fit sa place.
En 2003, rebelote ! Ayant eu la chance d’avoir vinifié dans le sud de la France, je me suis dit qu’il y avait moyen de faire une super Gargone avec un tel millésime : naissance des Portes de l’Am…, un cran au-dessus de la Gargone.
Bon tout ça c’était bien. Mais voilà, pour en revenir à la vigne et au vin, ce qu’avait mis en place mon père n’était pas suffisant à mon goût. Je rentrais dans un réseau de lutte raisonnée vers 2000. Et d’année en année jusqu’à cette « belle » année 2007, je peaufinais ce système de lutte, en pondérant encore plus, en utilisant des produits de synthèses et d’autres « naturels ». Au final, avec beaucoup moins de traitements et d’argent dépensés dans les produits, j’obtenais une vigne saine, pouvant pousser les maturités au mieux.
En fait pour moi, mon pari n’était pas encore réussi : pas de trace de maladie, donc encore trop de « phytos » dans la vigne… « C’est quand même sacrément bien », me disaient mes collègues. De renchérir : « Pourquoi ne passes-tu pas en Bio ? ».
Si je n’avais pas eu accès aux molécules de synthèses (proscrit dans la charte de bios) je n’aurais pas eu ce résultat ! Deuxième chose, étant dans une zone géographique viticole où les traitements contre l’insecte vecteur de la flavescence dorée sont obligatoires (décret préfectoral), je ne voulais pas avoir à utiliser le seul insecticide homologué pour le bio : la roténone. Ce produit, bien que d’origine naturelle, est beaucoup plus toxique que les insecticides dernières générations. Et, dernière chose, nos tracteurs ne sont pas encore équipés de filtre à particule ou autres systèmes de dépollution. Moins je passe dans mes vignes, moins je pollue par ce biais. Cela est difficilement compatible avec la technique bio, qui exige beaucoup de passage en vigne pour les traitements (durée de vie des produits courte) lors des fortes pressions de maladies.
Pour ce qui est du vin, là aussi, j’ai revu ma copie. Comment avoir des vins plus charnus, élégants et stables sans avoir à les assommer avec des produits œnologiques dans tous les sens (en fait, surtout le soufre) ? D’ailleurs pourquoi viser le soufre ? Parce qu’à haute quantité, son ingestion peut apporter quelques « menus » problèmes … je pense que la cirrhose aura fait son travail avant ! Parce qu’il détériorait les qualités gustatives d’un vin ?
Ma démarche fut simple : le soufre est un anti-oxydant. Faisons en sorte que la quantité de soufre présente dans la bouteille de vin soit « acceptable », i.e. : pas de risque de déviations levuriennes et autres.
Les plus gros changements dans mes élevages fut de limiter les soutirages, et de passer des fûts de 225 litres à 300, 340 et 600 litres, en fonction des cépages et cuvées. Plus on augmente le volume d’élevage, plus on augmente l’effet de réduction (l’inverse de l’oxydation) d’un vin. Du coup, j’ai mis en place un élevage sur lies sur mes rouges. La lie est aussi un très fort réducteur.
Peut-on encore baisser les soufres ? … Euh… mais pourquoi encore ???
Pourquoi ne ferais-je pas vraiment des vins sans soufre ?
Et bien, parce que je ne sais pas faire techniquement, et que je ne veux pas faire risquer à ma clientèle un risque extrêmement haut qu’un de mes vins ne se barre en sucette quelques temps après la mise en bouteille.
Dernières possibilités, pas de soufre, mais une flash pasteurisation du vin avant la mise en bouteille, ou encore une filtration stérilisante, pourquoi pas… Mais pour ce qui est de la vie dans le vin…
Alors pourquoi avoir peur du soufre ???
Pourquoi avoir peur des molécules de synthèse qui sont souvent quasiment inoffensives pour l’homme et l’environnement, dans le cadre d’une bonne utilisation, comparées au cuivre par exemple ?
Mais, au fait, un vin sans soufre est-il meilleur ? Peut-être, j’en ai effectivement goûté. Mais rares, très rares sont les magiciens capables de nous enfanter ces breuvages.
Le soufre dans le vin lui fait-il perdre de ses qualités ? De ce côté, absolument rien n’a été prouvé. De manière générale, c’est plutôt l’inverse.
Personnellement, on continue les labours, on ne met que des engrais organiques (utilisables en bio), on restreint les intrants phytosanitaires (on en a moins que les bios en 2004, 2006, et 2007 !), et respecte le vin pendant son élevage. On ne court pas après un label, une marque quelconque auxquelles se rattacher. Toutes ces notions qualitatives sont des investissements personnels, je ne ressens pas le besoin de le claironner partout, sauf si comme c’est le cas ici, on me demande de l’exposer.
Je respecte tous les courants de pensée et de travail de notre fabuleux métier, du moment qu’ils ne tombent pas dans le sectaire ou l’imbécile. Je suis en colère contre ceux qui traitent à outrance pour assurer une récolte de prix, car à l’origine de crus très connus. Je m’insurge contre ceux qui font du bio ou de la biodynamie uniquement parce que c’est porteur commercialement, ou encore par mode avec les « bobos des vignobles » pour qui tout ce qui est « naturel » est bon, voire meilleur… Il en va de même pour certaines boîtes de conseil et de vente de produits phytosanitaires qui se disent en lutte raisonnée et qui font traiter plus que les conventionnels.
J’admire les gens qui arrivent à marier viticulture et respect de l’environnement, œnologie et respect du vin et du consommateur, qui travaillent avec les tripes, par vraie philosophie, par raison, mais aussi par passion.
A mon niveau je tends plus vers une lutte raisonnée extrême, ou comme diraient certains : un « bio » raisonné, une alternative à la charte bio actuelle en somme. Le bio, dans la forme, est obsolète, il faut le revoir, il y a encore trop de non sens agronomiques. Par contre sur le fond, il faudrait que tous les agriculteurs s’y penchent plus que sérieusement.
Comme le disait une de mes profs :
« La parfaite raison fuit toute extrémité
Et veux que l’on soit sage avec sobriété »
Sans oublier un bon grain de folie quand-même!
François Dubernard