La soirée se déroule à Lavinia, Genève, le 15 avril dernier et coûte Chf 340.--, nous sommes 25 environ.
Début des festivités à 19heures avec, en attendant les uns et les autres, la présence de Xavier Ausas, œnologue depuis plus de 20 ans de la prestigieuse Bodega Vega Sicilia à notre table. Le personnage frappe par son franc parlé et son honnêteté intellectuelle, même s’il reste un très bon vendeur de ses crus (à bon entendeur !). Laurent, Patrick et moi, sommes donc fin prêts pour cette soirée qui se déroulera avec une présentation détaillée des particularités du terroir de Vega par Xavier Ausas, suivie de la dégustation proprement dite puis d’un repas fort sympathique.
Le vignoble de Vega se situe à 760 mètres d’altitude dans la Ribera del Duero avec une exposition plein nord et un domaine de 1000 hectares dont 240 de vignobles. Le cépage principal est le tempranillo, typiquement espagnole et autochtone, dont l’âge moyen est d’environ 35 ans et aucune vigne de moins de 10 ans n’est utilisée pour l’Unico. La sélection massale des cépages est poursuivie avec une agriculture raisonnée, sur une roche calcaire, le tout entourée d’une forêt de 500 hectares de pins qui fait office de tampon climatique, en régulant la chaleur en restituant de la fraîcheur au domaine lors des journées très ensoleillées. Par ailleurs, le bas de la « colline » est planté de chênes et de noyers, peut-être pour produire dans plus de 40 ans, les bouchons « in house » de Vega Sicilia. La grande crainte pour Vega sont les gelées printanières qui peuvent endommager le vignoble fortement et détruire une récolte. Les exemples donnés par Xavier Ausas sont éclairants, entre 0 et -4 degrés la nuit en avril et octobre de certains millésimes… la contre partie peut-être des bénéfices d’un climat situé en altitude, dont le problème principale reste l’oïdium.
Les vins de Vega sont des vins travaillés. Pas dans le mauvais sens du terme comme on pourrait le croire, mais dans un sens positif, ou l’intervention de l’homme, à partir d’un produit de base de qualité n’est là que pour « orienter » le vin, sans lui faire subir de transformations chimiques forcées. En effet, l’élevage par exemple, se fait en trois temps, avec un premier passage en foudre de chêne usagés de 20'000 litre, suivi d’une phase dite de « musculation » en barriques de chêne neuves et américaines pour se terminer à avec une « récupération » en grands tonneaux usagés à nouveau. Cette répartition tripartite de l’élevage va durer entre 6 et 9 ans avant la mise en bouteille et se retrouvera sur le marché des consommateurs au plus tôt 10 ans après la récolte. Tous les testes et analyse de laboratoire se font à Bordeaux, ou d’ailleurs Xavier Ausas à fait ses études œnologiques.
Les Valbuna n° 5 (le 5 nous indique qu’il y a au minium 5 ans entre la récolte et la mise sur le marché. Il existe également un n° 3) nous sont présentés comme des vins « à part » et volontairement différent des Unico, et non pas comme les « seconds » vins de Vega. Leurs prix élevés, un peu moins de Euro 100.-- tend selon Xavier Ausas, à justifier cette explication. Personnellement, et après les avoir dégustés, je considère quand même ces vins comme de « seconds vins » trop chers. L’assemblage et composé à 80 – 85% de Tempranillo et est complété par du Merlot. C’est le plus bordelais des vins de Vega. La production annuelle se situe autour de 200'000 flacons.
Vega Sicilia Valbuena n° 5, 2006 :
En bouteille depuis seulement 1 an, issu d’une vendange austère et difficile, ce vin n’est pas encore commercialisé. Belle matière colorante, rubis intense, noirâtre au centre du verre et se présente avec un disque presque violacé. Le 1er nez est très puissant, trop jeune, fort, pas très agréable et qui dégage des arômes de purée de pomme de terre assez distincts. Le deuxième nez évolue, toujours en puissance, sur une muscade épicée et d’une verdure dure. La bouche se dote directement de tannins très présents et puissants, toujours fidèle aux pommes de terre et agréablement salé. La finale est très très longue, grâce au trop plein d’alcool avec une douceur chocolaté. Le fût est excessivement présent mais sans vulgarité. On considère ce vin comme faisant partie de notre « éducation » Vega Sicilianesque !
Vega Sicilia Valbuena n° 5, 2000 :
Millésime très médiocre dans le Duero mais excellent pour Vega grâce à l’altitude du domaine. Légèrement moins intense que le 2006, le liquide est rouge sang avec une belle clarté qui s’agrémente de fins et minimes reflets orangés. Le nez lacté et arrondi se pare d’un alcool déjà fondu et d’une touche de verdure. La simplicité du nez se modifiera, après une bonne aération et d’un réchauffement en verre pour finir sur une touche fumée et torréfiée tout en étant salé et non sucré. La bouche est acide, boisée et courte… trop courte. Un peu « léger » et décevant.
Vega Sicilia Valbuena n°5, 1998 :
Récolte très très difficile. Les tannins ont longtemps étés très mordant et le vin s’est calmé et relaxé qu’après quelques années en bouteilles. Légèrement trouble, le centre rubis foncé arbore des beaux reflets nettement orangés avec une certaine faiblesse colorante. Le nez est déséquilibré car top alcooleux mais agréable grâce à une touche mentholée qui s’incarne en s’aérant pour finir sur des arômes tertiaires de sangs un peu piquants. La bouche est une bonne surprise avec un retour fruité et la disparition de la touche lactée si souvent typique des 100% tempranillo bons marchés, L’astringence est fine et sensible. Sympa.
Vega Sicilia Valbuena n°5, 1986 :
Malgré un joli noir au centre du verre, on perçoit le pied de ce dernier, le tout avec une belle dominante brique aux reflets cognac léger. Le nez est assez simple mais intense, on y découvre de la crème, une légère torréfaction qui apparaît après une 15 de minutes, ainsi que de petits relents de sous-bois humide et champignonneux. La bouche est un peut « cuite » le maximum du potentiel de garde ayant été atteint, la finale est assez courte, l’astringence encore présente manque de finesse, le fruité est plat et agrémenté de balsame. Je l’ai bien aimé malgré mes critiques.
Après cette mise en bouche, nous attaquons les choses sérieuses avec la belle série des Vega Sicilia Unico qui ont cette particularité qui a, comme le mentionne Xavier Ausas, « des tannins présents non agressifs ! ». La phrase semble aller de soit mais en y réfléchissant, il me semble qu’elle caractérise parfaitement ces vins. Entre 90'000 et 100'000 bouteilles d’Unico sont produites chaque année, et lorsque les conditions ne sont pas réunies d’un point de vue qualitatif, la cuvée est déclassée. Xavier Ausa a laissé échapper, que le fait de ne pas produire « unico » une année, représente une perte d’environ Euro 10'00000.-- (ce qui est apparemment le cas en 2001) . Les Vega Sicilia Unico sont vendu à environ 65% en territoire ibérique et seulement 35% sont pour l’export. C’est du notamment au fait que leur système de vente favorise les clients fidèles en leur proposant chaque année l’équivalent de leur dernière commande, avec notamment une liste d’attente (environ 2 à 3 ans) sur laquelle tout un chacun peu s’inscrire. Par ailleurs, ce « droit » du client d’avoir chaque année son quota de bouteille est transmis de père en fils.
Une petite note générale avant de se lancer dans le vif du sujet : Les Vega Sicilia Unico ont une capacité réellement extraordinaire de changer au cours de la dégustation. Ils n’évoluent pas de manière linéaire comme on pourrait s’y attendre, mais font réellement preuve de vin « vivant » qui avance et recule en fonction du temps, de la température et du dégustateur. J’ai été très impressionné.
Vega Sicilia Unico 2002 :
Depuis 1 an seulement en bouteille, il sera commercialisé en 2012 environ. Les quelques privilégiés présents ont ainsi pu avoir en « avant première » un mythe à l’état de bébé. A la limite entre le pourpre et le rubis, l’intensité de la matière colorante étonne réellement. Je retrouve ces flaveurs étrange de purée de pomme de terre, ainsi que de la banane et du caramel. La complexité est toute relative et l’alcool bien présent. Le deuxième nez évolue sur des notes de cœur d’artichaut plaisantes. Je m’attendais à beaucoup plus d’astringence qui est en fait assez douce. Très très court, avec un fruité très peu présent et surtout, pas vraiment identifiable (cassis ? mures ?). Une belle acidité toutefois ainsi qu’une fraicheur latente. Grande précision. Une heure plus tard, je reviens et le nez a développé une belle complexité qui se décline sur des notes citronnées très agréables.
Vega Sicilia Unico 1999 :
Les vendanges ont débuté le 6 octobre et le 7 il se met à pleuvoir jusqu’au 25 ! Les vendanges recommencent alors le 1 novembre. A nouveau un cœur très dense, presque noir, avec une excellente cristallinité sur les bords du disc qui laisse apercevoir ses reflets orangés, plus rubis que pourpre. Le premier nez s’ouvre de manière assez prononcée sur des notes de tabac et de torréfactions, vraiment toute en finesse, assez alcooleux quand même, avec un fond de fruits noirs confits mais très très léger. Encore une petite touche de banane élégante mais qui va disparaître rapidement. La bouche attaque finement et une astringence assez douce se fait sentir. La finale est très/trop courte. Là aussi les fruits sont difficilement décelables. Petite déception.
Vega Sicilia Unico 1994 :
Vendanges magnifiques et 99 points de monsieur Parker. A ce sujet, Xavier Ausas nous rappelle que les vins de Vega Sicilia Unico ne sont pas réellement au goût de monsieur Robert Parker, mais qu’il respecte le travail effectué, ceci expliquant leurs bonnes notes (!?!).
Malgré la matière colorante très intense, je dénote une certaine « transparence » qui donne une impression de liquidité plus accrue. La robe orangée attaque en étoile et par pointe avec des reflets vraiment brique, le cœur du verre. Très joli. Toujours assez alcooleur mais plus fondu dans la masse cette fois, on y sent des arômes tertiaire de gibier et de forêt… très différents d’un sous-bois, plutôt ce que l’on sentirait en marchant la tête entre les branches de conifères. Les fruits noirs sont présents dès la première bouche qui devient ample et large pour ne terminer que longtemps après. Belle persistance en finesse, qui contraste assez bizarrement avec ce nez dont l’alcool était si présent.
Vega Sicilia Unico 1982 :
(Pour l’anecdote, ce vin est de une année mon aîné !) Très belle liquidité, presque limpide avec un orangé clair et unifié. Je décèle nettement des petite fraises au nez, encore jeune et étonnement vif malgré ses notes tertiaires, quelques fruits confits par ci par là. La bouche est magnifique, longue, en finesse, élégante et pointue, délicate et précise… J’ai le sentiment que le vin s’éteint une fois avalé… mais il revient en force quelques secondes après… grande nouveauté pour mois que cette petite mort momentanée. Sans avoir dégusté les suivants, je trouve que c’est le meilleur So Far…
Vega Sicilia Unico 1973 :
Ici l’on sent que l’on commence les choses sérieuses. Très belle uniformité briquée, presque cognac avec un cœur encore rubis qui vire quand même sur une sorte de brun caramel. La complexité colorimétrique me plaît énormément. Festival de senteurs aériennes et fraîches, une lame de fond mentholée, avec une touche d’eucalyptus, de forêts de pins et de conifères, le tout avec d’extraordinaires touches de café arabica… étonnamment complexe. Un vrai plaisir. La phrase de Xavier Ausas me revient ici « l’acidité est notre passeport pour l’éternité ! ». Ce n’est pas un secret que la structure est maintenue par l’acidité mais ici c’est une véritable leçon œnologique pour moi. L’équilibre est parfait, avec une touche de gourmandise toutefois grâce à une ampleur nouvelle qui disparaît toutefois assez rapidement. Des flaveurs de térébenthine avec une base de cèdres se développent ensuite. Vraiment excellent.
Vega Sicilia Unico 1965:
Un tuilé transparent et limpide aux reflets d’un café mal infusé mais délicat qui vire sur l’ambre nous renvoie un festival de lumière chatoyante. Vraiment très beau à l’œil. Vif, jeune, avec une touche de poivronnée, le tout délicatement torréfié, un caramel à la fleur de sel et assez bizarrement une senteur que je qualifierais d’eau. Je trouve que ca sent l’eau non chlorée… Désolé mais je n’ai rien trouvé de mieux et dans ce cas précis c’est un adjectif positif. D’une élégance rare, la bouche se révèle d’une longueur assez époustouflante, d’une complexité aromatique très riche et d’une acidité encore bien présente. Certain le trouve déjà sur la pente descendante… je trouve au contraire qu’il est dans la force de l’âge. Peut-être que les arômes oxydatifs en ont repoussé certains.
Vega Sicilia Unico 1953:
Magnifique limpidité, robe ambrée, brillance incomparable, la vue du liquide nous redonne cette impression assez particulière d’être vivante et instable.. Le nez s’ouvre sur des levures agréables, tout en finesse, avec à nouveau une complexité qui se développe sur la forêt de pins, de menthol et d’eucalyptus. D’une élégance à couper le souffle. La prise en bouche est étonnante de finesse avec des tannins soyeux qui tiennent magnifiquement debout grâce à une acidité qui donne cette structure très fine. La longueur en bouche est réellement prodigieuse. Magnifique.
A ce stade nous entamons le repas. Presque en silence. Avant de reprendre nos esprits, je comprends ce que veut dire « un vin intellectuelle ». Effectivement, tout est dans la finesse, l’attente, la recherche et la compréhension. Un vin d’esthète, loin de toute vulgarité et dont l’élégance s’acquiert uniquement au fil des ans. Je crois sincèrement qu’il est inutile de vouloir ouvrir un Vega Sicilia Unico de moins de 25 ans.
Ensuite nous est servi pour accompagner le repas:
Vega Sicilia Valbuena n°5, 2004 :
Belle intensité chromatique, rubis avec un léger dégradé qui s’amenuise sans être encore orange. Une fois encore ces arômes de purée de pomme de terre, fin mais très intense, l’alcool n’est pas agressif et se présente de manière gourmande. L’attaque est tranchante, la bouche persiste en puissance et la finale est un peu courte. De loin mon préféré de Valbuena, alors qu’il était dur de se présenter après les Unico.
Vega Sicilia Unico 1995 Magnum :
Beau rubis intense, reflets aux nuances marrons. Le nez se développe lentement sur le menthol, le pin et cette finesse aérienne caractéristique. Contrairement aux autres unico, une petite et délicate pique vient chatouiller les narines. Une acidité présente structure initialement le tout avant de presque s’effondrer complètement (pourtant c’est un magnum !). L’astringence est tout en finesse et se finit avec une belle présence noisetté en bouche. De loin pas le plus fin des Unico mais vraiment très plaisant.
Nous est ensuite servi pour finir, à l’aveugle :
Vega Sicilia Reserva Especial – 1990/1996/1994 :
Rubis intense au centre, qui s’étiole sur un légère brique sur une magnifique liquidité. Très fin, le nez développe une touche « lactée » agréable de tempranillo, frais et vif, se développe sur quelqu’chose de plus rond, ample, voir gras au fur et à mesure qu’on l’aère. Assez paradoxalement (noté avant que l’on m’indique de quoi il s’agit), je trouve que ca n’a ni la finesse élégante des Unico, ni la « vulgarité » des Valbuena… Je suis un peu perplexe en me demandant ce qu’il ont bien pu nous servir. Je n’arrive pas à identifier les fruits noirs, pourtant plus présents… Un petit peu froid peut-être. Malgré ce caractère hétéroclite, je trouve ce vin excellent et intemporel.
Concernant le service des Vega Sicilia Unicos, Xavier Ausas recommande de ne pas les décanter car, je cite : « avec la décantation tu peux perdre ce que jamais tu vas récupérer ! » . Il faut servir avec un agneau nourri au lait par sa mère entre 4 et 6 kilos, simplement couper en 4 morceaux et glisser dans le four avec un assaisonnement léger.
Magnifique soirée. A refaire.
Barth.
P.S : Pour l’anecdote, j’ai pris avec moi quelques bouteilles vides d’Unico – pour pouvoir dire que je les avais bues, les 1953, 1973, 1982 et le magnum de 1995 – et lorsque je suis rentré chez moi, vers minuit, je me suis apercu qu’il restait en tout cas un beau verre dans le Magnum. Je le sers et vais lever mon amie endormie dans le lit pour le lui faire déguster, sans allumer la lumière… Elle a trouvé excellent, à l’aveugle !