Gilles T
Bonjour,
Loin de me revendiquer comme "spécialiste" des rieslings mosellans, je me permets toutefois de mettre en ligne cette synthèse que je m'étais "construite" il y a quelques années à l'occasion d'un séjour dans cette magnifique région. J'avais pioché très librement * (c'était alors pour mon usage personnel) dans des écrits divers, notamment dans ceux toujours excellents de précision de David R (un grand merci à lui). C'est long, sans doute peu digeste, mais bon... Et puis, les vrais spécialistes pourront toujours rectifier si erreurs il y a !
Cordialement,
Gilles
* PS : certains passages ne sont que des copiés-collés. Qu'on n'hésite donc surtout pas à supprimer ce message en entier si cela pose problème.
___________________________________________________________________________________________________________________________________________________
Rieslings de Moselle, Sarre, Ruwer et Nahe
Il existe quatre catégories de vins en Allemagne :
Tafelwein = catégorie la plus basse (libre de toute contrainte) ; littéralement, vin de table
Landwein = 2ème catégorie (équivalent au vin de pays)
QbA (Qualitätswein bestimmter Anbaugebiete) = 3ème catégorie (chaptalisation autorisée)
QmP (Quälitatswein mit Prädikat) = catégorie supérieure (chaptalisation interdite)
Quelques définitions :
Weingut = domaine
Einzellage (pl. Einzellagen) = un seul cru (ou climat)
Erste lage = équivalent de 1er ou Grand Cru (les meilleurs Einzellagen sont ainsi des Ersten Lagen)
Grosslage (pl. Grosslagen) = ensemble de plusieurs crus (Einzellagen) censés avoir un caractère similaire
Bereich = appelation régionale. Pour satisfaire la demande, par exemple de Bernkasteler (vin de Bernkastel), on a ainsi légalisé ce nom réputé à un secteur très étendu en créant le Bereich Bernkastel !
Trocken = sec. A ne surtout pas confondre avec Trockenbeerenauslese ou TBA (sélection de baies séchées), un vin d'une très grande richesse en sucre.
Feinherb ou halbtrocken = demi-sec
Edelfäule = pourriture noble
Restsüsse = sucre résiduel
Grosses Gewächs ou Erstes Gewächs = vin sec d'un grand terroir
VDP (Verband Deutscher Prädikats und Qualitätsweingüter) = association regroupant les meilleurs producteurs (signe de reconnaissance = aigle dessiné sur la capsule). Les vignerons membres du VDP forment le « Grosser Ring ».
Un autre groupe de vignerons (hors VDP) s’est ensuite développé pour organiser ses propres enchères : le « Bernkasteler Ring ». Il tient ses ventes à Bernkastel la veille de celles de Trèves.
Pour les grands Rieslings de Moselle (Mosel), Sarre (Saar), Ruwer et Nahe, seules nous intéressent les deux dernières catégories, et essentiellement la QmP.
A l’intérieur de cette catégorie supérieure (QmP), les vins (pour rappel, non chaptalisés) sont classés en fonction de leur Prädikat, c'est-à-dire de la teneur initiale en sucre des raisins (taux de sucre du moût), exprimée en degrés Oechsle, soit le nombre de grammes dont un litre de jus de raisin dépasse le poids d’un litre d’eau. Plus le poids du moût est élevé, plus le raisin est mûr et sa teneur potentielle en alcool importante (pour exemple, si le litre de jus de raisin pèse 1090 grammes, le degré Oechsle sera de 90).
Dans l’ordre croissant de maturité : Kabinett, Spätlese, Auslese, Beerenauslese, Trockenbeerenauslese (+ Eiswein).
Le Kabinett doit avoir un minimum de 70 degrés Oechsle de sucre naturel, le Spätlese 80, l’Auslese 90, le Beerenauslese 110 et le Trockenbeerenauslese 150 (l’Eiswein, minimum 110). Mais les meilleurs producteurs remontent souvent ces seuils. Par ailleurs, avec le réchauffement climatique, certains vignerons n'arrivent plus à produire de Kabinett ou de Spätlese. Du coup, ils déclassent volontairement des niveaux supérieurs (c'est le cas par exemple de Clemens Busch sur 2006. Son Marienburg Spätlese GK est une mini-Beerenauslese. Pour le prix, c'est parfait si on veut une BA, en revanche de nombreuses personnes risquent d'être surprises si elles ne sont pas averties...).
Sans doute faudrait-il donc également fixer une limite haute à chaque niveau.
Les Spätlesen et Auslesen, peut-être plus encore que les BA et TBA, traduisent au mieux l'expression de terroir. Il ne s’agit donc pas de niveaux qualitatifs croissants, mais bien de niveaux de sucre initial (et souvent de sucre résiduel) croissants.
L'Eiswein est une catégorie à part. Lors des enchères, les TBA sont régulièrement (beaucoup) plus chères que les Eisweine. Egon Müller aime dire que tout le monde peut faire du Eiswein : il suffit qu'il fasse froid (au minimum -7°c), il faut se lever tôt, et le tour est joué (ou presque). Cependant, très peu d'Eisweine sont réellement passionnants. Les plus beaux proviennent souvent du gel sur des raisins sains.
Les Allemands considèrent les vins secs généralement en dessous de 9 g/l de sucre résiduel (en France, et d’après le règlement communautaire, en dessous de 4 g/l). Cela peut paraître élevé, mais il ne faut pas oublier que les acidités sont plus importantes qu'en France, et donc que le vin aura un équilibre plus sec.
Les vins secs s'apprécient plutôt jeunes, et jusqu'à 6/7 ans. Ils peuvent bien sûr se conserver au delà. Ne pas hésiter à bien les aérer car ils ont souvent du perlant, ce qui peut déranger.
Les vins de Mosel-Saar-Ruwer vinifiés en secs sont souvent trop maigres et trop acides. Il existe toutefois d'intéressants exemples de vins secs désormais, notamment avec Roman Niewodniczanski du domaine Van Volxem à Wiltingen (Saar). Il travaille avec des rendements plus faibles donnant plus d'expression à ce type de vin.
A partir du moment où le domaine souhaite produire un « Grosses Gewächs » (vin sec issu d'un grand terroir), il s'engage à ne plus mettre le niveau de Prädikat sur l'étiquette. Ce niveau doit cependant être au moins du Spätlese. Alors, même si dans la pratique ce vin est un Spätlese trocken, cette dénomination n'apparaît plus.
Le but est d'avoir des vins secs dans la catégorie QbA et des vins à sucre résiduel (ou vins « fruités ») dans la catégorie QmP, ceci pour faciliter la distinction par le consommateur.
Dans tous les cas, être toujours attentif au degré alcoolique indiqué sur l'étiquette. Lorsqu'il est situé entre 7° et 9°, il s’agit forcément d’un vin « fruité » classique de Moselle (avec du sucre résiduel), et non d’un vin sec.
Les vins « fruités » vieillissent admirablement bien, grâce aux sucres résiduels et à l'acidité. Même la catégorie Kabinett peut étonner. Ces vins gagnent vraiment à être gardés car, s’ils délivrent beaucoup de fruit dans les 2/3 premières années, ce n'est qu'ensuite qu'ils gagnent en complexité avec l'apparition des épices, des notes de terroir et d'une vraie tension.
Les accords mets/vins sont bien sûr multiples. Les accords classiques, comme pour les vins alsaciens, peuvent être testés avec les secs. Pour les vins « fruités », éviter de les choisir trop jeunes. Privilégier les fromages de chèvre, plus ou moins secs en fonction de la richesse du vin.
Il est possible d'ajouter le terme trocken, que le vin soit QbA ou QmP. On peut donc trouver un riesling basique chaptalisé (QbA) avec sur l'étiquette la mention « Riesling trocken » et un riesling non chaptalisé (QmP) sous le nom de « Riesling Kabinett trocken » (sauf, comme indiqué un peu plus haut s’il s’agit d’un « Grosses Gewächs »). Il existe donc (certes de façon marginale toujours hors « Grosses Gewächs ») des Kabinett trocken, des Spätlesen trocken, des Auslesen trocken et même des Auslesen GK trocken (cas extrême, dans un style puissant et haut en alcool qui peut ressembler à certains vins d'Olivier Humbrecht). Donc, QmP n'est pas forcément lié à un vin à sucre résiduel, même si c'est l'idée du VDP.
C’est donc la volonté du VDP d'avoir tous les vins secs (qu'ils soient chaptalisés ou non) dans la catégorie QbA et tous les vins « fruités » dans la catégorie QmP.
D'une manière générale, toujours regarder le degré alcoolique sur l'étiquette. Au dessus de 12,5°, le vin pourra quasiment toujours être considéré comme sec. En dessous, on peut adapter des règles simples. Par exemple, si on voit un Kabinett à 7,5° ou 8°, on saura qu'il est de style fruité avec du sucre résiduel (et une bonne acidité). S’il fait 10,5° ou 11°, il sera de style halbtrocken ou feinherb (demi-sec) (même si cela n'est pas revendiqué sur l'étiquette). Insistons de nouveau sur le fait que les vins allemands, grâce à leur acidité et souvent à leur faible degré alcoolique, se goûtent plus rapidement secs que les vins français (alsaciens ou ligériens).
A ce propos, il est souvent délicat de faire le parallèle avec les vins français. Le terme Spätlese se traduit par exemple par « vendange tardive », mais les vins n'ont aucun rapport avec les VT alsaciennes. Ils sont très largement élaborés (surtout en Nahe et Mosel-Saar-Ruwer) sur des degrés alcooliques faibles. Dans ce cas, ils ont bien sûr des sucres résiduels mais le jeu avec l'acidité et le fruité primaire est très intéressant.
La majeure partie des Kabinett, Spätlesen et Auslesen « basiques » sont produits grâce à des raisins mûrs mais pas botrytisés. Jusqu'à 3 ans d'âge, les vins se goûtent sur le fruit (agrumes, poire, pomme...) avec un sucre plus ou moins important. Par contre, ils évoluent et se minéralisent ensuite rapidement. Ils acquièrent alors les notes du terroir, suivant le type de schistes ou d'autres composantes des sols. Les vrais liquoreux ne commencent vraiment qu'à partir des Auslesen GK. Il est conseillé, pour se faire une image de ces vins allemands, de débuter par des Spätlesen.
Le système d'appellation et de réglementation des vins allemands se base sur la loi de 1971. Quelques mots ici sur l'Auslese. En effet, depuis tout temps, elle couvre une partie importante et large de vins, car on peut avoir des raisins très mûrs mais sains produisant un Auslese, mais également des raisins partiellement, voire totalement botrytisés !
Avant la loi de 1971, les producteurs utilisaient différents termes pour différencier les vins produits au niveau Auslese : bien sûr le simple « Auslese », puis « Feine Auslese », qui peut se traduire par « tri fin », et enfin « Feinste Auslese » (tri le plus fin). Depuis 1971, ces termes n'ont plus le droit d'apparaître sur les étiquettes. Les producteurs ont alors inventé de nouvelles désignations pour différencier leurs Auslesen. C'est principalement en Mosel-Saar-Ruwer que ces changements ont été mis en place. Certains utilisent des capsules dorées (GoldKapsel ou GK) qui peuvent être considérées comme un équivalent de la «Feine Auslese», des capsules dorées plus longues (Lange GoldKapsel ou LGK), à la place de «Feinste Auslese». C'est le cas d'Egon Müller ou de Joh Jos Prüm (chez ce dernier, 1 ligne blanche en bas de la capsule dorée signifie GK, 2 lignes blanches LGK).
D'autres ont un système d'étoiles (*), allant de une à trois en général, avec des exceptions allant jusqu'à cinq. Jos Christoffel Jr utilise ce classement et Klaus Peter Keller (Rheinhessen) également, quoique ce dernier n'utilise que trois étoiles pour ses meilleures cuvées.
Il existe aussi des numéros de « Fuder » (fût), qu'il ne faut pas confondre sur l’étiquette avec le numéro AP. Carl Von Schubert (Weingut Maximin Grünhaus), par exemple, utilise ce système. Enfin, certains domaines combinent parfois ces multiples possibilités.
Pour résumer :
Le système de GK, * ou Fuder, mis en place à partir de 1971 pour remplacer les termes de feine et feinste, n'est pas une mention légale, et chaque producteur établit son propre classement. Généralement, plus le moût initial est concentré, plus il y aura d'étoiles et plus la capsule (dorée) sera longue.
Le système AP est un agrément, lui par contre officiel, pour les vins QbA et QmP.
Le réchauffement climatique a pour conséquence la production de plus en plus importante de capsules dorées. Les Auslesen destinés aux enchères peuvent alors moins se distinguer par rapport à ceux vendus à la propriété, et les différences de prix rencontrées aux enchères rendent ce mode d'achat moins intéressant.
Deux exemples d’étiquettes de vin allemand :
DR LOOSEN Nom du domaine (Weingut)
2006 Millésime
Bernkasteler Lay Nom du cru : ici, le cru « Lay » de la commune de Bernkastel
Riesling Kabinett Cépage et « niveau » du vin
Qualitätswein mit Prädikat Signifie que ce vin appartient à la catégorie supérieure (QmP)
Willi SCHAEFER Nom du domaine (Weingut)
Graach / Mosel Commune et région du domaine
2007 Millésime
Graacher Domprobst Nom du cru : ici, le cru « Domprobst » de la commune de Graach
Riesling Auslese Cépage et « niveau » du vin
Mosel Région
Prädikatswein Signifie que ce vin appartient à la catégorie supérieure (QmP)