Domaine des Tres Cantous, R. Plageoles, Vin d’Autan 1989
Il s’agit d’un vin historique : le vin qui signa le début de la douce révolution à Gaillac, une sorte de prise de la Bastille ou plutôt de réunion des Etats Généraux. Robert Plageoles a juré de donner un grand vin liquoreux à Gaillac, à partir d’un cépage local, l’ondenc, presque disparu alors et guère plus répandu aujourd’hui.
Jusqu’à lors, les Gaillac doux étaient des vins très agréables, qui faisaient la part belle au mauzac, autre cépage local, mais un peu plus diffusé quand même et débordant du cadre de l’appellation, puisque présent à Limoux notamment. Ils étaient des vins moelleux plutôt que liquoreux, la concentration n’excédant que très rarement les 70 grammes de sucres résiduels pour des vins qui, si ils possédaient un joli fruit, pêchaient souvent par manque d’acidité.
Robert Plageoles, avec ce vin, a tracé le chemin dans lequel se sont engouffrés d’autres vignerons audacieux et ambitieux, avec réussite, chacun définissant un style personnel : les uns pour des vins très concentrés (Patrice Lescarret au domaine de Causse-Marines), les autres en mettant en avant un cépage local ( Alain Rotier avec sa cuvée Renaissance) ou importé (la muscadelle du Concerto du domaine René Rieux), d’autres jouant sur les assemblages traditionnels où la muscadelle joue sa partition avec le sauvignon ( Jean Marc Balaran au domaine d’Escausses et ses Vendanges dorées ou Bruno Montels avec sa cuvée Trois Chênes). Il va sans dire que la liste des noms cités n’est pas exhaustive et l’on peut également parler du travail remarquable du domaine Barreau, du domaine de Vayssettes ou du château de Mayragues, et surtout celui de Jérôme Bézios du Château Palvié.
Ce qu’il y a de remarquable dans ce vin d’Autan, c’est qu’il est issu d’un cépage plutôt mal aimé, pas forcément reconnu qualitativement et tombé en désuétude : sensible aux gelées de printemps, sujet à la coulure et à l'oïdium, très productif si on n’y prend garde, ravagé dans tout le Sud Ouest par la crise du phylloxera. Il ne subsiste qu’à hauteur d’une dizaine d’hectares dans le gaillacois, a disparu ailleurs bien qu’il soit encore dans les décrets d’appellation de quelques AOC du Sud Ouest, jusqu’à Bergerac. L’Australie est sans aucun doute, aujourd’hui, le principal producteur d’Ondenc.
Comme pour tous les cépages du Sud Ouest, la synonymie est très importante pour l'ondenc, apparenté au petit courbu. Son nom viendrait selon la plus favorable des hypothèses du village de Ondes, dans le Tarn et Garonne, mais une autre version, plus poétique celle-là, incline à penser que ce nom est dû aux ondulations du feuillage sous les assauts du vent, d’autan, notamment. Ce vent d’Autan, ici aussi appelé « vent des fous » est une particularité géographique ; un vent qui vient du Sud / Sud Est. Il est la conjonction de deux phénomènes météorologiques : le premier, dû à une dépression au pied du versant nord des Pyrénées, favorisant les entrées marines par le couloir du Lauragais. Le second, lié à l’effet de foehn du vent de secteur sud dans les Pyrénées qui vient accentuer la première dépression. La géographie locale et notamment la présence de la Montagne Noire, crée une auto-accélération par phénomène de Venturi. Et encore différencie-t-on localement l’Autan Blanc, plus sec de l’Autan Noir, chargé d’humidité.
La présence de ce vent est déterminante pour la qualité de ce vin puisque les raisins sont laissés sur claies sous un tunnel orienté de telle sorte que le vent d’Autan vienne poursuivre l’œuvre du passerillage sur pied. En effet, la taille et les vendanges en vert permettent de ne laisser sur pied que 4 grappes par souche. Ces grappes sont ramassées à la main en surmaturité sans présence de botrytis, mais dans l’absolu légèrement desséchées. La mise sur claie poursuit ce blettissement.
Le préssurage fait, le vin est élevé en cuve pendant un an.
Commentaires de dégustation :
Le vin étonne, voire destabilise par sa couleur très ambrée, avec de beaux reflets orangers à bruns, qui s’ils sont admirables, laissent craindre que le vin soit oxydé. Le premier nez rassure par la présence de notes de coing, de pruneau. L’aération laisse apparaître un très beau rancio avec des notes de café, de noisette lui donnant un air ibérique indéniable. La bouche est une volupté absolue, riche, généreuse, mais tout à fait équilibrée sur des notes d’orange amère et de ce rancio formidable. La longueur est exceptionnelle et confirme le grand vin espéré, délicieusement décadent et excessif.
Un vin à son apogée, un mythe pour tous les amoureux de Gaillac. Il impose le respect et je suis heureux de l’avoir croisé 3 fois au cours de ma vie, à différents stades de son évolution et toujours avec le même émerveillement. Je crois qu’il ne faut pas trop tarder à le boire pour ceux qui ont la chance d’en posséder.