La nouvelle génération au domaine Mathilde et Yves Gangloff
Ce compte rendu ne revêtira pas le format et la longueur habituels. Le nombre limité de notes prises reflète le trop court moment passé au caveau. Nous devions passer récupérer notre commande mais n'étions pas certains de pouvoir goûter. Notre planning s'était donc organisé sur cette hypothèse. Nous avons pu le faire néanmoins et fûmes fort heureux de remettre un pied ici après cette parenthèse restrictive.
Nous sommes Samedi, il est 8h00. Le jus d'orange et la tartine viennent à peine d'être engloutis, qu'il faut régler la nuit d'hôtel, mettre le baggage dans le coffre, appuyer sur le bouton de démarrage et filer illico presto vers ce recoin presqu'à l'écart de Condrieu. Il est 8h30 lorsque nous nous présentons devant la bâtisse. C'est un visage peu familier qui nous reçoit.
- Bonjour. C'est aimable de nous recevoir si tôt.
- La journée est complètement remplie. C'était 8h30 et malheureusement pas un autre moment. Entre la baisse des volumes et la demande toujours croissante, nous ne recevons plus que sur RDV. Nous n'avons plus de vins pour le caveau et les clients de passage. Et ces temps de Covid ne facilitent pas non plus d'accueillir les particuliers comme nous le faisions auparavant.
- Je ne suis pas venu souvent. Je sais que Yves a une fille...
- Je suis le gendre d'Yves, le mari d'Elsa. Notre famille s'est récemment agrandie. Elsa était encore hier soir à traiter plus de 1 000 réservations. C'est donc moi qui vous reçoit ce matin
.
- Félicitations! Vous travailliez dans le vin auparavant?
- Non pas du tout. J'étais prof. J'ai changé de voie. Je fais des études complémentaires et nous avons surtout la chance d'avoir Yves pour nous accompagner. Après il a 65 ans. Il a construit tout le domaine. Il a bien le droit de se reposer un peu. Et c'est à nous de le soulager. Mais bon, il n'est jamais bien loin
. Qu'avez-vous pu goûter jusqu'à présent?
- Nous ne sommes arrivés qu'hier sur la région. Salon de Cornas et Pierre et Jean Gonon.
- Nous avons la chance, Yves est de la génération Chave, Gonon, etc. Nous pouvons aller goûter chez eux.
Ajuster ses gestes aux exigences du millésime 2021
- Comment se présente 2021? Entre le gel et la pluie, les volumes doivent être assez bas.
- Nous perdons la moitié en blanc et un tiers en rouge. On arrive à 25 hl pour ces derniers lorsque le cahier des charges permet 35. Il y a une chance qu'il n'y ait qu'une seule cuvée de Côte Rôtie cette année.
- De mes premières discussions, il a plu en quantité importante dans la région.
- Nous avons couru après le temps pour éviter la piqûre. Le blanc résiste un peu mieux à la pluie. Nous pouvons tailler le viognier plus tôt. Et pour les vendanges, nous avons commencé par les Côte-Rôties puis continué avec Saint-Joseph, plus en altitude, pour terminer sur les blancs.
- Beaucoup de pluie, une récolte assez tardive. Les degrés n'ont pas dû être élevés.
- La Syrah rentre à 10-12°.
- J'imagine que vous avez chaptalisé.
- Oui, une cuve. Comme dans les années 80
. Pour gagner un degré.
- Vous avez peut-être adapté d'autres parties?
- Nous avons moins eu recours aux amphores. Elles visent à apporter habituellement de la fraîcheur.
Saint-Joseph 2020
Premier vin de la journée. Les papilles sont probablement plus réceptives à l'amertume. De la peau de poire, de l'écorce de pamplemousse. Une dimension horizontale qui prévaut. Une épaisseur modérée, pas de sensation grasse ni de finesse. Ce n'est pas le style que je peux affectionner.
- La malo est faite?
- Oui. Elle s'est faite sur les blancs 2020 presque partout en cuve. En 2021, ce sont les rouges qui se sont tous faits en cuve.
Condrieu 2020
Un registre plus nuancé sur les fleurs blanches et la jeune noix de coco, tant au nez qu'en bouche. Peu de sensation de SR. Le soupçon âcre ne survient qu'en finale.
AB+/B-
- Et 2020?
- Nous faisons plus de vins. Il y a 7 barriques de + comparativement. Les raisins étaient plus sains. Nous vendangeons fin Août / début Septembre.
Gérer la rafle
Saint-Joseph 2019
Une composition dotée de finesse mais également de notes noires et d'une impression métallique/sanguine/ferreuse. Les tanins sont présents, sans excès. Ils contribuent à susciter une certaine appétence en finale. Je sors pourtant à peine de mon petit-déjeuner
.
B
- Il y a de la rafle?
- 100% VE.
- Ce n'est pas si marqué que cela.
- Le St Jo passe 15 jours en cuve. On surveille de très près pour décuver avant les notes végétales. Il existe aussi l'influence des contenants. Le végétal ressort plus sur des 228 l que sur des 300.
- Je n'avais pas souvenir de ce niveau de VE, notamment sur les Côte-Rôties.
- Nous en avons effectivement moins. La tendance est plutôt à 50% sur la Barbarine et 60% sur Sereine.
Côte-Rôtie, la Barbarine, 2019
- Pas de bois neuf. 50% de VE.
- Quels âges ont les tonneaux?
- 1 à 5 ans. Les vignes ont 25-30 ans.
- En bio de mémoire.
- Oui. On manque parfois de main d'oeuvre du coup, nous avons parfois des sous-traitants provenant d'Espagne. Ils font du très bon travail en coteau. La mise s'est faite en Juillet.
L'attaque est très ouverte, expressive, lisible. De la cerise noire, de la myrtille, du cassis. Le milieu est un peu moins convaincant avec des tanins végétaux. Mais la finale relance l'ensemble avec de salivantes notes de zan et une compotée de fruits noirs.
TB-
- Nous avons pu déguster hier au restaurant à Vienne une Barbarine de 20 ans d'âge. C'était délicieux.
- C'est bien ces restaurants qui jouent encore le jeu. L'établissement que vous évoquez suit Yves depuis ses débuts.
Côte-Rôtie, la Sereine, 2019
"70% de VE, 60% de bois neuf pour des vignes de 60 ans."
De la gelée de pruneaux, du cassis noir. C'est assez confituré tout en restant très frais. Quelques tanins sur les papilles, une pointe métallique, du poivre noir et une virgule sur la pétale de violette. Une solide ossature. Une complexité et un potentiel bien supérieurs.
TB+/Exc-
- Un de vos confrères évoquait encore cette année l'esca.
- Nous sommes également touchés par ici. Nous faisons les remplaçants selon la disponibilité que nous avons dans l'année. En général avant Mai. Nous n'avons pas le droit de remplacer plus de 20% des pieds. En 2020, cela nous a pris plus de temps. Les plants morts avaient de longues racines et il a plu en Février, pas le temps idéal.
Le moment fut bref mais intense. Voilà une nouvelle visite que mes papilles valident comme un point de passage régional impératif. La nouvelle génération poursuit la belle dynamique initiée par Mathilde et Yves. Et ce doit être avec une grande sérénité que ces derniers peuvent les accompagner, depuis ici ou là-haut.
En parlant des parents, le vin bu la veille en bonus:
Côte-Rôtie, la Barbarine, 2001
Lorsque nous découvrons en toute fin de carte de vins, plusieurs propositions de vins arrivés à maturité, notre palpitant s'accélère, notre iris s'agrandit et le petit diable de la gourmandise fait son apparition. "Mais si allez-y!".
Une discussion avec le sommelier pour confirmer notre envie:
- Une Syrah de 20 ans, ce n'est pas trop lardé, viandé? Je ne suis pas un grand fan de ces notes.
- Non pas du tout, pas sur ce vin.
Changement de verres, des grands, pour y faire respirer le vin.
Première gorgée... Je me tourne vers mon camarade de dîner:
- Euh je ne perçois pas grand chose... A part le visuel qui confine au transparent, je ne sais pas quoi raconter.
- Attends, si, ah bah non.
Dîtes-donc Monsieur le sommelier, ça peut faire cher le cl de vin passé. L'entrée se conclut et nous réattaquons le vin sur la viande. Et là, magie de l'aération: de la groseille, de la pleurote, de la fraise acidulée. Une finesse superlative et une veine centrale énergique. Aucune note animale. Des vagues de fruits rouges et de sous-bois qui reviennent sans cesse. Les tanins sont complètement fondus et il s'agit réellement du bon moment pour se délecter de ce vin.
Exc- et ce n'est "que" la Barbarine. Si quelqu'un pouvait s'interroger sur la capacité à vieillir de la production du domaine, qu'il balaie ses doutes.
Copyright première photo la RVF. Elle date, la prochaine fois je demande une photo du gendre