C’est avec grand plaisir que nous avons été reçus par Philippe Gimel à la découverte de ce beau domaine du nord du Vaucluse, entre le Barroux et Malaucène.
Voilà un peu plus de 10 ans que cet œnologue – et ancien pharmacien - a posé ses valises sur les contreforts du Mont Ventoux, sur de superbes terrasses très proches de la limite nord-ouest de l’appellation Ventoux (les Dentelles de Montmirail sont très proches à vol d’oiseau).
Le vignoble (et bientôt le chai !), d’une quinzaine d’hectares, est historiquement situé sur des pentes jouxtant la montée du chemin Saint Jean, à la sortie du village du Barroux, et sont majoritairement orientées nord-ouest, entre 300 et 400 mètres d’altitude. L’encépagement est très majoritairement issu du grenache, avec quelques zones en syrah, cinsault, carignan pour les rouges, et clairette, grenache blanc et bourboulenc pour les blancs.
D'un age moyen d'environ 35 à 40 ans, il s’est enrichi très récemment de parcelles situées sur le versant opposé, celui-ci étant exposé sud-est et à une altitude un peu moindre. Le millésime 2013 issu de ces parcelles est d’ailleurs en cave. Ces parcelles vont offrir un peu « d’air » à Philippe Gimel, car non seulement elles vont permettrent d’offrir à ses clients un peu plus de volumes, mais également d’enrichir sa palette de cuvées, les vins offrant des profils apparemment différents de ceux du secteur exposé nord-est. Rien ne semble arrêté pour l'instant, mais une nouvelle cuvée verra peut-être le jour ?…
Les terrasses
Ce qui frappe, c’est l’intégration du vignoble dans son environnement, très diversifié avec des bois, des vergers, et surtout de nombreuses haies séparant les parcelles – petites en raison du dénivelé et la structure en terrasses - peuplées d’arbres et d’arbustes favorisant la biodiversité, ainsi qu’une concurrence naturelle envers les vignes.
Philippe Gimel nous parlera d’ailleurs longuement de son plaisir à évoluer et favoriser le développement d’un tel type de vignoble, ainsi que de la formidable complexité des sols – majoritairement argileux - le composant, notamment les fameuses marnes bleues, propices à la structure des vins, et leur hydrologie souterraine favorisée par les contreforts du Mont Ventoux. Ces caractéristiques ont d’ailleurs orienté le nom de certaines des cuvées du domaine.
La discussion entamée dans le vignoble - non loin de l’emplacement du futur chai en partie souterrain, en haut des vignes – abordera tour à tour le mode cultural, la biologie, l’absence d’ébourgeonnage, son intérêt pour la complantation permettant d’apporter complexité et fraîcheur aux vins, le travail des sols… et se poursuivra en cave pendant deux belles heures, à déguster de superbes vins mais aussi et surtout à échanger sur de multiples sujets, avec cet homme passionné par son métier, et donc forcément passionnant, de par son pragmatisme et son bon sens : j’entends par là comme un côté décomplexé du poids de certaines pratiques semblant évidentes pour un vigneron héritant de nombreuses années de tradition viti-vinicole, sur des sujets comme la filtration, le bouchage des vins, etc… Tout en conservant une exigence sur la qualité des procédés, des matériels – de superbes cuves en ciment ont récemment été acquises. Une vraie bouffée de fraîcheur.
A la cave, difficile de décrire les modes de vinification et d’élevage, tant ils peuvent être nuancés suivant les circonstances, les envies de Philippe Gimel. A cela s’ajoute l’évolution naturelle de tout vigneron dans ses pratiques de vinification au fil des millésimes – par exemple quand Philippe Gimel nous parle de sa tendance à « soulager » de plus en plus ses fermentations et cuvaisons afin dévoluer vers plus de finesse sur les vins.
Pour résumer, il y a tout d’abord une certaine « ligne directrice » – actuellement les trois cuvées la Source, Argile et Pierre Noire pour les rouges, plus une seule cuvée (en principe ;-) de blanc. Ces cuvées sont élaborées non pas en fonction d’une logique parcellaire, mais en fonction de la taille des grappes vendangées : plus la taille de ces dernières sera petite – et donc sera grande sa densité, notamment en partie solide (pépins, peau vs le jus) – au plus elles seront dirigées vers la cuvée la plus ambitieuse en terme de structure, de complexité et de potentiel de garde.
Par exemple, pour la Pierre Noire, les grappes ne doivent pas dépasser environ 10cm de longueur ! Ainsi se verront dessinées les trois cuvées en fonction des passages successifs des vendangeurs. Les cuvaisons sont autant courtes, voire très courtes (par exemple 4 à 7 jours pour la Source - cela ne dérange pas Philippe de décuver un jus encore en fermentation alcoolique) que les élevages seront longs, en général de 24 à 36 mois dans divers contenants (très vieux fûts, cuves ciment, inox…) avant une mise en bouteille après filtration tangentielle – le meilleur moyen de stabiliser et d’harmoniser les lots selon Philippe, mais aussi simplement pour améliorer la qualité des vins.
Pour le blanc, selon les millésimes, en fonction des dégustations d’assemblage, soit le vin de cuve et le vin élevé en fût (non neuf) seront assemblés, soit ils pourront faire l’objet de deux mises séparées. Après cette ligne directrice donc, il y a les « exceptions »… qui eux représenteront les particularités potentielles de certains millésimes.
Certains lots vendangés, certaines cuves ayant fermenté d’une façon, disons particulière ;-), peuvent voir le jour sous des formes un peu atypiques, formant le prolongement de la curiosité et du goût du vigneron pour une multitude de produits différents : par exemple une solera de vin blanc, assemblage de plusieurs millésimes, élevée en vidange dans un fût développant de superbes notes oxydatives, un rosé élevé comme un blanc, en fût avec bâtonnage, ou encore la cuvée le Micro Climat, grenache avec un peu de SR… et bien d’autres choses rigolotes à venir !
[size=large]Les vins dégustés :[/size]
les blancs 2013 (juste mis en bouteille) et 2011
le rosé 2013 (cuve inox et fût)
les rouges : Source 2011 et 2010, Argile 2011 et 2010, Pierre Noire 2009 et 2006
la "Solera" (premier millésime en fût, 2003, complété par la suite par d'autre plus récents).
La conversation fût assez nourrie, les notes sont donc assez succinctes… Mais le souvenir global sur l’ensemble des vins est tout d’abord une qualité d’ensemble des cuvées assez impressionnante, en blanc comme en rouge.
Sur cette dernière couleur d’ailleurs, on ne peut pas dire que le gap qualitatif entre les trois cuvées soit flagrant, c’est essentiellement une question de concentration, et certainement de complexité à venir dans plusieurs années sur la Pierre noire notamment. Mais le plaisir est quasiment aussi grand sur les trois.
Autre trait déterminant : la fraîcheur, la finesse et le velouté des tannins. Jamais, même sur les vins les plus jeunes (2011 tout de même) je n’ai ressenti de fougue, de tannins accrocheurs. L’élevage prolongé y est certainement pour quelque chose, mais il était surprenant de voir à quel point la maturité sensorielle en bouche, le caractère déjà aimable des matières sur les rouges, contrastait avec la jeunesse aromatique des vins. Enfin, l’alcool n’est jamais perceptible, malgré des degrés « normaux » pour des grenaches récoltés mûrs – Philippe Gimel ramasse en général toujours parmi les derniers de son secteur, ver la mi-octobre mais cela est relatif à son terroir.
D’ailleurs, souvent les blancs sont les derniers raisins récoltés. Ces derniers offrent d’ailleurs aux vins des PH incroyablement bas (autour de 3) pour la région, semblables à des niveaux seulement rencontrés dans des régions très septentrionales, sur d’autres cépages que ceux utilisés au domaine.
La dégustation des blancs fût d’ailleurs en ce sens une réelle surprise, jamais à l’aveugle, sur le 2013, je n’aurai mentionné un vin de la moitié sud de la France. Seul le 2011 trahissait quelques notes olfactives dues au grenache blanc avec un peu de bouteille. Ils faisaient preuve en tout cas d’une densité assez impressionnante, de notes florales et fumées, et surtout d’une longueur bluffante sur une salinité très prononcée, « relevant » la fin de bouche d’une façon assez délicieuse.
Au niveau des rouges, 2010 est très complet, très fruits rouges, prêt à boire pour la Source mais pas tout à fait pour Argile. Les 2011 m’ont vraiment impressionnés, plutôt quant à eux sur le « noir » (fruits noirs, olive, garrigue), et des tannins légèrement plus moelleux. Argile m’a vraiment fait forte impression. Pierre Noire 2009, de par sa densité est encore un peu difficile d’approche, est certainement à laisser reposer plusieurs années, d’ailleurs le 2006 pète encore de jeunesse même s’il peut déjà être approché.
Un très grand merci à Philippe Gimel d’avoir pris du temps pour nous exposer librement sa vision du vin, et pour tous ces vins dégustés. Des vins d’ailleurs très hautement recommandables, n’hésitez pas si un jour vous les croisez.