Quand la simplicité de l'accueil n'a d'égale que la beauté du paysage environnant, il y a des moments plus difficiles à passer qu'une visite au domaine Gallety, en compagnie du père et du fils, du grenache et de la syrah, de béton et de fût, de passion et de sueur, et encore un peu de syrah.
Le père et le fils
Avant d'entrer dans les détails techniques sur la fabrication du vin au domaine, il faut s'arrêter avant tout sur cette relation charnelle entre le père et le fils, qui façonnent main dans la main, presque cœur dans le cœur, ce domaine atypique. Alain, le père, et David Alexandre, le fils, travaillent tous les deux à plein temps sur les quinze hectares d'un seul tenant du domaine. Il serait tellement réducteur d'associer leur activité au seul travail : ce vignoble ils y vivent, ils y respirent, ils y élèvent leurs enfants, ils y font et vendent du vin, et parfois même, en leur faisant franchir la troisième vigne à droite en sortant de la cour, ils y envoient leurs clients peu prévoyants et trop pressés de se soulager. L'entretien et l'amélioration du domaine est vécu comme un sacerdoce : cette foi tient autant à leur passion pour cette terre, qu'à cette envie de vivre une aventure ensemble, pour mieux partager leur complicité. Pour épauler ce tandem, la famille est parfois mise à contribution, lors de l'embouteillage par exemple. Des ouvriers sont également employés ponctuellement pour les périodes intensives de taille.
Alain Gallety est un homme à l'œil pétillant et rieur. Cet homme humble et discret dirige son domaine avec réalisme et optimisme, confiant dans l'avenir. A notre contact, il a fait preuve de beaucoup de gentillesse et de tolérance. David Alexandre représente le renouveau du domaine, déjà imprégné par une vingtaine d'années au milieu des vignes et des fûts. Sous l'influence de son père, il a intelligemment mis son ambition au service du vin, en toute simplicité. On ne peut qu'admirer cette complémentarité du père et du fils : la sagesse du premier et l'enthousiasme du second se mêlent aussi bien qu'un assemblage de grenache et de syrah.
Vinification et élevage
Acheter par le père d'Alain au début des années 70 pour en faire sa résidence secondaire, le domaine jouissait à l'époque de vignes dont les raisins étaient livrés à la cave coopérative de St Montan. Le premier millésime du domaine remonte à 1979 et Alain commence l'aventure au coté de son père lors du millésime 1981. David Alexandre, présent depuis tout petit dans la vie du domaine, fixe sa véritable entrée en matière au millésime 2004.
Quand on pénètre dans la cave du domaine, on monte les escaliers. Impression étrange de démarrer la visite à l'envers. Nous tombons sur une grande salle semi enterrée où chaque cuve d'un rouge grenache est couronnée par un fenestron qui donne directement sur le dessus de la cuve. Voila déjà la première illustration de la philosophie du domaine, où la mise en cuve par gravité permet de respecter au mieux l'intégrité du raisin. Quatorze cuves béton se succèdent, accueillant chacune les futurs vins du domaine, cépage par cépage, parcelle par parcelle. Les grappes sont partiellement éraflées, dans une proportion déterminée par la maturité de la rafle et le millésime. Comme souvent dans le vin, tout est question d'équilibre et les Gallety préfèrent parler de grandes lignes dans la fabrication du vin, plutôt que de recette unique et universelle. Ils s'adaptent en fonction des dégustations, et ce jusqu'à la mise en bouteille. Les cuves bétons sont recouvertes à l’intérieur d'une résine époxy qui préserve le vin d'intrants étrangers. Chaque cuve est séparée l'une de l'autre par un joint isolant de silicone pour éviter les transmissions de température et assurer une bonne régulation thermique, cuve par cuve, en fonction de l'état du vin. Peu interventionnistes, Alain et David Alexandre laissent le vin se faire tout seul, sauf en cas de dépassement du seuil critique de température lors de la fermentation. Non Alain, nous sommes convaincus que vous n'êtes pas fainéant !!!
A la suite de la fermentation, le vin est élevé plus ou moins longtemps en cuve avant d'être mis en fût. La salle des barriques, un étage plus bas, permet un nouveau transfert du vin par gravité. Ici, il y a des barriques neuves pour accueillir la Syrare, et des tonneaux de deux ou trois ans pour la cuvée Domaine. Là encore il n'y a pas de règle absolue concernant l'élevage : Alain et David Alexandre utilisent des tonneliers différents suivant la cuvée et le millésime, et les vins restent en barrique aussi longtemps que les maîtres des lieux l'estiment nécessaire, au fil des dégustations. Chez Gallety, c'est le vin qui commande.
Mise en bouteille et stock
Le vin est ensuite mis en bouteille d'un seul tenant. Le procédé, qui n'est pas spécifique au domaine, mérite d'être décrit tant il reflète le respect des Gallety pour le vin et leurs clients. Les bouteilles, après un rinçage à l'eau, sont remplies d'azote afin de chasser l'air et éviter tout risque d'oxydation lors de la mise. Le vin n'est PAS filtré lors de cette opération. Un vide est ensuite pratiqué avant le bouchage, pour aspirer l'air situé entre la surface du vin et le bouchon. Ce procédé permet de conserver tout le fruit du vin et de le déguster en bouteille comme il se présente en cuve. L'embouteilleuse ne tourne que huit jours par an, mais posséder ce genre de machine est un passage obligé pour maîtriser tout le processus de fabrication et retrouver un grand niveau de qualité dans la bouteille.
Les vins d'Alain et David Alexandre sont conçus pour être consommés dès l'ouverture de la bouteille. Une aération préalable ne fera que bonifier le vin. Ces dernières années, en plus de la recherche de fruits, ils ont axé leur travail sur la texture du vin, recherchant la finesse et la longueur. On ne peut que les encourager dans cette démarche et les 2008 que nous avons goûtés confirment le travail fait dans ce sens.
Avant de passer à la dégustation, nous admirons le stock de bouteilles qui sont toutes vérifiées avant l'étiquetage afin de s'assurer qu'elles ne présentent pas de coulure sur le bouchon. Le domaine produit 55000 bouteilles par an, dont 2000 à 2500 de Syrare. Cette dernière ne verra pas sa production augmentée car tous les raisins rentrant dans sa composition proviennent d'une parcelle unique et parfaitement identifiée. Nous nous retournons et découvrons des bouteilles de blancs liquoreux. "C'est quoi ?" s'étonnent les faux naïfs aux sourires mi-intéressés, mi-provocateurs. "Allez circuler y'a rien à voir !" Ces raisins-là, il n'y a que les lapins qui ont le droit d'y goûter
Le bio-Gallety
Depuis 30 ans, la famille Gallety a vu passer toutes les modes du bio, sans jamais succomber à ses excès. L'expérience acquise grâce aux vinifications parcellaires a permis de forger quelques certitudes sur les bonnes pratiques à mettre en oeuvre pour faire du bon vin. Alain a sélectionné dans toutes ces méthodes bios celles qui convenaient le mieux à son vin et à son terroir, tout en s'autorisant certaines années à être un peu plus interventionniste en fonction des conditions de culture : c'est ce qu'il appelle le bio-Gallety. Il faut bien comprendre que la démarche bio des Gallety n'est portée que par la recherche d'une qualité supérieure dans leurs vins. S'ils n'étaient pas convaincus que cette démarche améliorait la qualité du vin, ils ne s'y engageraient sûrement pas, ou beaucoup moins. Alain explique très bien cette nécessité de savoir concilier la production d'un vin de qualité et la pérennité économique d'un domaine. Il y a des choix à faire, et l'approche pragmatique et passionnée des deux hommes permet de traverser des moments difficiles, comme ceux qui ont suivi la maigre récolte 2008, sans remettre en cause la qualité de leurs produits.
Les moines de Gallety
Pour continuer à progresser sans remettre en question les cuvées existantes, Alain et David Alexandre vont planter une nouvelle parcelle au printemps sur un très beau terroir situé sur les hauteurs du domaine. Cette parcelle a été identifiée par Alain grâce à son expérience de 30 ans sur des sols proches ou équivalents. Cette approche empirique, façonnée par les vinifications parcellaires, lui permet de sélectionner quelques micros parcelles à très fort potentiel, dans le même esprit que les climats bourguignons identifiés par les moines au Moyen Age. On souhaite la même destinée à leurs vins. Le rapprochement est d'autant plus tentant que David Alexandre ne veut pas entendre parler de tracteur à cet endroit : c'est à cheval, à l'ancienne, qu'il s'occupera de cette parcelle microscopique (0.5 hectares), planté en forte densité de 1m par 1m. La spécificité de ce terroir permettra d'exprimer une autre forme de vin, dont les cépages ne sont pas encore totalement définis, culture du secret monastique oblige
Ce projet illustre encore une fois l'approche d'Alain et David Alexandre : s'engager dans une telle aventure est une décision mûrement réfléchie car il faudra attendre entre 8 et 10 ans avant de voir les fruits de leur investissement. Il s'agit donc de ne pas se tromper et de conduire le domaine en vigneron passionné ET responsable.
Dégustation
Nous dégustons la cuvée Domaine 08 sur cuve (assemblage quasi définitif), et la Syrare 08 sur fût neuf (depuis novembre 08). Ce millésime a été très difficile, notamment en raison des nombreuses attaques de mildiou qui ont fait chuter le rendement, en particulier sur les grenaches. Il n'y aura donc pas de Ligure 08 pour les amateurs. Les vendanges ont eu lieu début octobre.
Domaine Gallety 2008
Le nez est déjà très ouvert sur le fruit et la réglisse. La bouche présente une grosse trame syrah. C'est épicé, rond, on retrouve la réglisse et l'on jubile à déguster ce vin d'une grande buvabilité. Cette cuvée, moins opulente que sa grande soeur de 2007, joue plus dans le registre de la fraîcheur et de la finesse. Elle possède dans sa composition une légère dominante grenache, qui lui permet d'atténuer la fougue de la syrah pour atteindre un équilibre vraiment convaincant. Un vin gourmand dès maintenant, et qui se gardera longtemps.
Syrare 2008 (100% syrah)
Le vin présente une très grosse intensité aromatique. C'est encore très jeune, les arômes ne sont pas totalement définis. La bouche possède une solide structure, une matière encore un peu brute qui mérite d'être polie par le temps. On note une légère touche de grillé et de beaux arômes de menthe et d'after eight. Nos hôtes, qui ont appris à connaître ce genre de bébé joufflu, nous assurent que ce vin sera très grand. Nous n'en doutons pas.
Un deuxième échantillon, prélevé d'une barrique fabriquée par un autre tonnelier, s'annonce plus rond, plus opulent. La cuvée finale sera constituée de l'assemblage de ces différents vins très complémentaires. Elle aura la matière et l'acidité pour se garder longtemps.
Alain et David Alexandre évoquent le millésime 2009, récolté début septembre grâce à des conditions optimales lors de la deuxième quinzaine d'août. Un très beau millésime en gestation.
Domaine Gallety 2007
Un nez très fin et élégant, marqué par le fruit. Le vin gagne en complexité aromatique à l'aération. Le glycérol tapisse la bouche, rendant le vin gras et plus opulent. C'est un vin gourmand, encore un peu fermé ou plutôt, selon Alain, au début de son évolution. Très grand millésime qui, toujours selon Alain, se présente déjà plus fin et plus élégant dans sa jeunesse que le remarquable millésime 90 au même âge.
Syrare 2007
Le nez est moins explosif que lors de notre dernière dégustation. Le fruit est plus en retrait et ce sont des arômes de Chartreuse, de racines des montagnes, de "bons propres" qui se dévoilent. En bouche, c'est gras, équilibré et terriblement jeune. La matière est dense, juteuse, épicée et poivrée, portée par une trame acide jusque dans la finale. A attendre impérativement pour profiter de l'évolution, mais les amoureux de syrah pourront déjà se faire plaisir dès maintenant avec cette très belle bouteille.
Quentin a parfaitement résumé mon impression du domaine Gallety 1985, un vin délicieux, loin d'être mort, tout en puissance sur les arômes tertiaires. Merci David Alexandre !
Remerciements
Cela devient une habitude, là où j'adore le vin, je ne peux pas en acheter. Néanmoins les amateurs et les curieux pourront passer au domaine au mois d'août pour goûter et acheter les vins de la gamme. Je tiens à remercier chaleureusement Alain et David Alexandre pour leur accueil amical et sincère, ce fut une très belle expérience humaine et œnologique pour moi. Et merci à Seb pour l'organisation de cette journée pleine d'enseignements
Sylv1
Histoires de vins