Voici le compte-rendu que j'ai fait de ces trois jours passés en Bourgogne.
La première fête du livre organisée au cœur du vignoble bourguignon s’appelle « Livres en Vignes ». Elle se tient au Château du Clos de Vougeot. Elle rassemble de nombreux écrivains répartis en deux groupes, ceux qui ont écrit ou écrivent sur le vin, et des auteurs célèbres, romanciers, historiens, écrivains généralistes, qui viennent signer leurs livres.
Jour 1 - dîner chez Bouchard
La veille de « Livres en Vignes », nous sommes invités par Michel Crestanello, directeur des ventes de la maison Bouchard Père & Fils, à visiter la cave qui est la plus belle cave au monde de vieux vins de Bourgogne. L’apéritif est pris au salon du Château de Beaune. Il s’agit d’un champagne Henriot blanc souverain sans année d’une très belle présence. Les gougères et feuilletés mettent en valeur ce champagne bien sec et typé alors que nous conversons les uns avec les autres. Nous dînons ensuite à l’orangerie du château. Le menu est ainsi composé : bavarois de sandre et tartare de saumon, vinaigrette d’herbes / pintade rôtie au pied de porc, mesclun aux herbes, jus de viande et sa garniture / plateau de fromages / ananas rôti au gingembre, sorbet au fromage blanc. La cuisine a été réalisée par le chef du restaurant « Loiseau des Vignes » à Beaune, succursale de la maison Bernard Loiseau que Dominique Loiseau a récemment créée.
N’ayant pas pris de notes au cours de ces trois jours, les souvenirs seront imprécis. Le Chablis Grand Cru Les Clos William Fèvre 2004 évoque l’eau sauvage qui coule sur de gros galets alors que le Chevalier-Montrachet Bouchard Père et Fils 2003 est une explosion de puissance et de générosité. C’est le chablis qui se marie le mieux au tartare de saumon, alors que la force du Chevalier écrase le plat. Ces deux vins très dissemblables sont aussi intéressants l’un que l’autre. Le chablis m’a conquis par son élégance.
Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard P&F 1999 est splendide. Il impressionne par sa race pugnace. Stéphane Follin-Arbelet, directeur général de la maison Bouchard ne cache pas son grand amour pour ce vin emblématique de la maison. Je relate aux écrivains présents le souvenir de la confrontation de ce Beaune Grèves dans les millésimes 1865 et 1947 qui fut un éblouissement dans ma vie d’amateur de vins anciens.
Le Corton domaine Bouchard P&F en magnum 1976 est un grand vin, mais un peu plus discret du fait de son millésime.
La qualité de l’accueil de la maison Bouchard est légendaire. Cette première soirée fut une réussite.
Jour 2 - déjeuner au chateau de Gilly et chapitre de la confrérie du Tastevin
Nous arrivons le lendemain matin au château de Clos de Vougeot par un soleil radieux, au milieu des vignes dont les feuilles ont les merveilleuses couleurs de l’automne, du vert encore vivace au rouge sang et pourpre. Les vendangeurs arpentent les travées avec leurs paniers. La vendange bat son plein.
Nous allons déjeuner au château de Gilly, dans une vénérable salle gothique aux piliers élancés et aux voûtes graciles. La cuisine servie pour un groupe nombreux est acceptable : tourte de caille à la Nuitonne / suprême de volaille cuit à l’os, aux champignons et au vin Jaune, petit riz Basmati / petite salade et fromage de Cîteaux / soupe de fruits rouges au cassis, glace au Gilly frais.
Les vins ne furent pas beaucoup plus inspirés que la cuisine : Savigny-lès-Beaune blanc domaine Pierre André 2006 aimable et direct, et Mercurey premier cru Pierre André 2005 sans véritable imagination. Il se peut que la fatigue de la veille explique mon manque d’enthousiasme. Je ne serai donc pas définitif.
Il faut se faire beau, smokings et robes longues, pour le Chapitre de la confrérie des Chevaliers du Tastevin, intitulé chapitre de l’équinoxe, de la plume et du vin. Pendant près d’une heure et demie nous entendons que l’on intronise des chevaliers provenant du vaste monde, y compris les antipodes. Les mots d’accueil personnalisés sont spirituels et charmants. Nous quittons la salle des pressoirs pour prendre un verre de Crémant blanc ou rosé. Je m’empresse de reposer le mien car ce n’est pas mon goût. Les grands champagnes m’ont trop déformé. Nous pouvons entrer dans l’immense salle du chapitre qui accueille six cents personnes.
Le menu est traditionnel : le persillé de sandre et saumon sauvage / les fines quenelles de perche excellence / les œufs en meurette vigneronne / les mignons de veau fermier au jus de truffe / les bons fromages de Bourgogne et d’ailleurs / l’escargot en glace / la tarte Tatin glacée aux pêches de vigne / les petits fours. Servir des œufs en meurette pour autant de personnes est un exploit, comme celui d’assurer tout au long de la soirée un service d’une précision d’horlogerie.
Les vins qui sont indiqués sur le menu ne précisent jamais le propriétaire, car les donateurs agissent bénévolement en mettant leurs vins à disposition de la confrérie. Il n’est donc pas question de juger des vins autrement qu’au niveau de leurs appellations. Le Bouzeron 2004, dans sa simplicité franche, me plait beaucoup. A l’inverse, le Meursault 1er Cru les Genévrières 2001 qui joue dans une catégorie supérieure, n’exprime pas tout ce qu’il pourrait. Autour de moi, il est très apprécié. Le Saint-Romain 2005 est un peu simplifié, et la complexité commence à s’afficher avec le Beaune 1er Cru Hospinces de Beaune, Cuvée Dames Hospitalières 2004.
A ce stade de la soirée, la chaleur dans la salle est devenue étouffante. Une romancière à succès, ma voisine, veut quitter les lieux. Cherchant à lui rendre service, je sors de la pièce pour trouver un véhicule. Quand je veux revenir, le choc thermique est tellement fort qu’il ne m’est plus possible de suivre le cours du repas. Je bois quelques gorgées du Grands Echézeaux Grand Cru Tasteviné 2000 absolument charmant et intense. J’échapperai sans l’avoir voulu au Crémant de Bourgogne brut rosé.
Je suis toujours impressionné que le public cosmopolite s’émerveille de jeux de mots, astuces et plaisanteries qui sont incompréhensibles pour un étranger. C’est une des magies de ce lieu que de dégager un enthousiasme chaleureux dépassant les stade de la compréhension mot à mot. Les cadets de Bourgogne chantent particulièrement bien, dans un style qui rappelle les Compagnons de la Chanson. Ma femme et moi quittons la salle en catimini, dans le sillage de la romancière. Plaisanteries et forts discours se poursuivront tard dans la nuit.
Jour 3 - déjeuner au restaurant Chez Guy
Le lendemain, studieusement, nous revenons à nos pupitres pour signer les livres dont une foule importante attend les dédicaces. Les auteurs connus sont les plus recherchés.
Le déjeuner se tient au restaurant Chez Guy à Gevrey-Chambertin où je m’étais déjà rendu lors de mon voyage en Bourgogne du mois de février. L’accueil est chaleureux, plus concerné que celui du château de Gilly. J’ai préféré ce déjeuner à celui de la veille.
Le menu : mises en bouche / marbré de lapin au foie de canard, mesclun à l’huile de noix / noix de joues de bœuf cuites 12 heures à basse température au pinot noir, carottes confites à la cardamome / pot de crème chocolat, chocolat chaud à boire et sorbet chocolat / mignardises.
Le marbré est idéal pour mettre en valeur un Bourgogne Hautes Côtes de Nuits Naudin Ferrand blanc 2006, assez simple mais avenant. La joue de bœuf est boucanée mais tendre et le Fixin Pierre Gelin 2003 est, après les vins de la maison Bouchard, le vin que je préfère de ceux bus pendant notre séjour. Car ce qui frappe instantanément, c’est son authenticité. Naturel, simple, direct, il me convainc par sa franchise.
Nous retournons à nos tables. Est-ce dû à ma bonne humeur, est-ce le temps merveilleux qui rend les vendanges joyeuses, les demandes de signature de mon livre se multiplient, sans pour autant que je risque la crampe des écrivains.
Au fil de ces rencontres des relations se sont créées. Des promesses de se revoir s’échangent. La première édition de « Livres en Vignes » fut un grand succès.