Salut à tous
Voici un petit compte rendu de ma dégustation de primeurs 2012 sur Toulouse, ça s'appelle :
La cuisse d'Alienor et le théatre bordelais
(en cliquant sur le titre vous trouverez le récit illustré sur mon blog).
La cuisse d'Aliénor et le théatre bordelais
Les trois coups viennent de retentir, le rideau se lève et la queue de paon bordelaise peut se déployer. La mécanique est rodée, blazers, cravates et tailleurs de rigueur, personnel de service dévoué à entretenir la panse acheteuse d'un public, oscillant entre curieux, gros bonnets, ou buveurs en manque de reconnaissance sociale.
Ce jeudi soir, lors de cette dégustation toulousaine des primeurs bordelais 2012, l'étalage bling-bling était de sortie, car chez ces gens-là, on n´cause pas, Monsieur, on n´cause pas, on montre... et on compte. La curiosité n'étant pas un si vilain défaut, j'étais là aussi, au milieu de cette faune endimanchée, déambulant de stand en stand, sur la moquette pourpre du casino toulousain.
Oui, car maintenant, les Bordeaux ça se boit au casino, entre deux machines à sous et un vigile... si tu veux de la caricature, ben là, t'es servi !
Hier, donc, nous avons dégusté... et si l'on demande son avis au Petit Robert, voilà ce qu'il nous dit :
Déguster, verbe transitif
Sens 1 : Goûter afin d'apprécier la qualité d'un aliment, d'un vin, d'une liqueur. Synonyme : goûter.
Sens 2 : Savourer quelque chose. Synonyme : savourer.
Sens 3 : Subir, endurer un mauvais traitement. Synonyme : endurer.
Reste donc à se mettre d'accord sur le sens que l'on souhaite accorder à ce verbe. Car, malgré les joies de la parenté, les bordelais doivent bien concéder qu'ils ont accouché de bébés assez difficiles en cette année 2012. En effet, dans nos verres, cette visite à la maternité girondine à vite tournée au baby blues. Évidemment, je me dois de confesser que je ne suis pas forcément rompu à l'exercice de la dégustation des primeurs, la crédibilité à accorder à mon propos, cher lecteur, sera donc toute relative, mais sache tout de même qu'à mes yeux, un grand vin se doit d'assumer son statut en toutes circonstances, moquette molletonnée ou pas.
Alors certes, nous n'avons pas eu droit aux étiquettes les plus chères grandes, mais tout de même : entre Pichon Baron, Figeac, Lascombes, Pape Clément, Léoville Poyferré, Cantenac-Brown, et une quarantaine d'autres représentants régionaux, nous n'étions pas dans la cour de récréation en train de tailler la bavette avec des perdreaux de l'année ! Les vins sont d'une dureté extrême, souvent déséquilibré, marqués par des amertumes hallucinantes... Au bout d'une petite heure de découverte, la pause est la bienvenue, ma langue a pris l'apparence d'un gros steack meurtri par les échardes, et la déception pointe son nez... Il y a bien quelques satisfactions, comme Léoville Poyferré, un des rares échantillons possédant un bel équilibre, et dont le fruit (base du vin me semble-t-il...) promène nos papilles de façon agréable, sur fond d'élevage discret et charmeur. Quelques blancs très prometteurs aiguisent aussi notre curiosité, levant soudain un semblant d'enthousiasme, vite éteint à la vue de la grille tarifaire, espèce de guillotine pour volontariste illuminé, finissant, s'il en est, d'étouffer tout éventuel pulsion acheteuse. Oui, Domaine de Chevalier blanc, c'est très bon, ... mais envisager de mettre plus de 70 euros dans ce jus fermenté, m'amène immédiatement à penser que quelques frêles écuyers ligériens, se chargeront de défendre avec panache, j'en suis sûr, les armoiries du sauvignon au sein de ma modeste forteresse vinicole...
Devant ce manque d'enthousiasme que certains qualifieront peut-être de positionnement facile (c'est tellement tendance de critiquer Bordeaux...), je tiens à signaler que quelques unes de mes plus belles émotions vinicoles furent bordelaises, mais qu'en toute objectivité, ce jeudi soir, le compte n'y était pas.
Car même si la version Babygros de ces Bordeaux fut, vous l'aurez compris, difficilement louable, l'organisation, qui avait peut-être prévu le coup, avait installé au centre de la salle, le version acnéique de tous ces grands crus... Pas moins d'une trentaine d'ados boutonneux étiquetés 2006, 2007, 2008. La jeunesse est une étape difficile de la vie, nous le savons tous, et ce jeudi soir, révéla malheureusement les travers de l'adolescence. Les 2007 manquaient globalement de matière, révélant des vins fluets aux élevages trop imposants. Les 2006, jouaient dans un registre végétal peu charmeur, avec des fins de bouche libérant des structures tanniques d'une grande dureté. Les 2008, dont on attendait mieux, affichaient un sérieux déficit de pep's avec des notes grillés souvent encore mal digérées...
Bref, difficile de se faire plaisir en l'état, la patience est mère de toutes les vertus, certes, mais l'on ne me fera pas croire que la majorité des canons dégustés ce soir là, seront les dignes ambassadeurs de la viticulture française dans une décennie ou plus, et ceux malgré les tambours et trompettes accompagnant, cette année encore, l'arrivée des nouveaux nés bordelais.
Quelques satisfactions tout de même, avec un très beau Gazin 2008 gourmand et bien équilibré ou encore Haut-Marbuzet 2006, dont le fruit apportait un peu d'affection au milieu de vins tous plus stricts les uns que les autres... Au pays du classicisme à la bordelaise, difficile de ne pas se faire chier un verre à la main... Excusez-moi ce terme, mais c'est exactement ce que j'ai ressenti ce soir-là.
Malgré tout, l'enthousiasme de l'assistance devant tout ce déballage pailleté ne laissait aucun doute... Les commandes ne paraissaient pâtir aucunement de la faiblesse avérée du millésime, les étiquettes étant restées les mêmes, un soupçon d'illusion supplémentaire, façon festivités cannoises, semblait suffire à combler un public ciblé, dont l'achat compulsif d'un soir était l'aboutissement annuel de la tradition pinardière familiale. Chacun possédant son chouchou, on se plait à gouter son protégé pour ensuite se récréé à critiquer la concurrence, scène amusante et redondante de cette pièce bordelaise, jouée pour nous, ce soir, sur les bords de la Garonne, entre les murs de ce casino.
Alors parfois je me plais à imaginer que si la cuisse d'Aliénor d'Aquitaine n'avait pas fricotée avec la couronne d'un Plantagenêt, peut-être que ce cirque bordelais retrouverait un peu de son humilité, permettant ainsi à tout un chacun de repositionner son regard sur la seule viticulture girondine, sans ses apparats, car aujourd'hui le prestige de l'étiquette jette un voile sur toute une production qualitative, au combien intéressante, malgré sa modestie. Les privilèges possèdent souvent une saveur des plus plaisantes, il est donc important d'entretenir ceux-ci et ce afin de pérenniser une image légitimant plus ou moins des prix gonflés à la particule nobiliaire d'un autre temps, car pour certains, si l'habit ne fait pas le moine, il permet au moins de rentrer dans l'église et d'y rester... Mais pour combien de temps encore ?