Visite au domaine Bruno Cormerais
C’est Marie-Françoise Cormerais, l’épouse de Bruno, qui nous accueille et va nous faire vivre une très belle dégustation, avec uniquement du Muscadet Sèvre et Maine, mais qui va nous faire voyager…
Marie-Françoise est à la fois franche, directe et intarissable. On va commencer par l’origine du melon de Bourgogne, le terroir de Clisson, et l’esprit pionnier de Bruno, poursuivre par la très belle dégustation entrecoupée par des anecdotes sur des clubs de dégustation belges, ou sur Jean-Pierre Coffe et Jean Carmet, pour finir sur les accords mets-vins, la diversité des vins du domaine permettant d’explorer des pistes très variées.
Nous apprenons ainsi que le melon est issu d’un croisement entre le gouais blanc et le pinot, mais ce n’est pas le seul puisque c’est aussi le cas du chardonnay !
Le domaine de 30 ha est entièrement situé sur le terroir de Clisson, avec donc du granite. Il s’agit d’un granite très dur, le même que celui de Bretagne, et différent de celui que l’on trouve dans d’autres terroirs du Muscadet. Il est plus ou moins décomposé selon les parcelles. Celles utilisées pour constituer les différentes cuvées sont différentes chaque année, en tenant compte de leurs spécificités. C’est pourquoi aucune cuvée ne porte le nom d’une parcelle.
Le granite de Clisson sous différentes formes
Très tôt, Bruno Cormerais s’est rendu compte que le vin profite vraiment de la lie par temps chaud. Faire du Muscadet sur Lie avec une mise en bouteille en mars de l’année qui suit la vendange est une hérésie ! C’est pourquoi, même les cuvées classiques (Chambaudière, Vieilles Vignes et Prestige) ne sont mises en bouteilles qu’après 15 mois d’élevage sur lie fine. Mais il a poussé le raisonnement plus loin et a proposé dès les années 1980 le classement en crus communaux, à la fois avec des terroirs qui le méritent et un élevage sur lie plus long que ce qui était fait classiquement. Ce ne sera finalement qu’en 2011 que le cru Clisson sera reconnu mais comme le cahier des charges avait été respecté auparavant, l’appellation Muscadet Sèvre et Maine Clisson a pu être obtenue par le domaine dès le millésime 2009 pour une partie de sa production.
Bruno a aussi été un pionnier en proposant de nombreuses cuvées très différentes.
La philosophie du domaine est très pragmatique : quand on peut appliquer les principes de la biologie ou de la biodynamie sans risque, on ne s’en prive pas. Ainsi la viticulture est très raisonnée, les traitements sont limités au strict nécessaire et le calendrier lunaire est suivi pour tous les travaux en cave. Mais aucune certification n’est recherchée.
Aujourd’hui le domaine est dirigé par Maxime, le fils de Bruno et de Marie-Françoise. Il n’a apporté que des modifications à la marge dans la conduite du vignoble, son secteur de prédilection. Ainsi il laisse plus d’enherbement pour concurrencer la vigne, mais en contrôlant la pousse de l’herbe, ce qui nécessite donc du désherbage mécanique.
Il doit y avoir pas mal de travail à la vigne en ce moment ? Oui, avec la succession de pluies et de périodes ensoleillées, la vigne pousse très vite… Mais cela a commencé dès le printemps et les personnes qui y travaillaient ne savaient plus où donner de la tête. La vigne est en avance et on s’attend à des vendanges très précoces, vers fin août !
Allez, on commence la dégustation ! Les trois premières cuvées du millésime 2018 ont été mises bouteilles en décembre 2019 mais seule Chambaudière sera dégustée. En effet les deux autres sont en bouteilles mais ne sont pas jugées prêtes et nous ne dégusterons que les cuvées mises en vente, ce qui constitue déjà un bel échantillon de dix cuvées… Et nous allons remonter assez loin dans le temps puisqu’au domaine on aime les élevages très longs !
La gamme de cuvées « relativement » classiques
Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Chambaudière – 2018
Pour cette cuvée, les vignes ont une moyenne d’âge de 15 ans et l’élevage de 15 mois sur lie fine se fait en cuves.
2018 a été une année exceptionnelle, alliant comme un peu partout en France qualité et quantité. Les jus titraient 12,5 ° de potentiel, le rendement sur cette cuvée a été de 55 hl/ha, soit au niveau du rendement moyen de l’appellation tous millésimes confondus, ce qui n’était jamais arrivé. Le domaine s’est même payé le luxe de choisir des jours fruits pour les jours de vendange.
Le vin s’exprime sur une aromatique très avenante de fruits blancs, teintée d’une note minérale. La bouche est plaisante et suffisamment vive, la finale révélant à nouveau un peu de minéralité.
Bien +
Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Vieilles Vignes – 2017
Pour cette cuvée, les vignes ont une moyenne d’âge de 40 ans et l’élevage de 15 mois sur lie fine se fait en cuves. 2017 est une année plutôt fraîche et le rendement est de 35 hl/ha.
Le nez affiche plus de minéralité (effets millésime et VV) sur le caillou mouillé. Le volume et la structure de la bouche sont également supérieurs, et l’allonge intéressante.
Bien ++
Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Vieilles Vignes – 2016
2016 est un millésime solaire mais c’est aussi l’année d’un gel très important d’où un rendement de seulement 15 hl/ha.
Le nez très intense et profond est empreint d’une belle minéralité. La bouche est concentrée et se conclut sur une belle finale saline.
Très Bien
Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Prestige – 2016
Cette cuvée est issue de très vieilles vignes, âgées de 40 à 70 ans, et l’élevage de 15 mois sur lie fine se fait pour deux tiers en cuves et un tiers en vieux fûts. En raison du gel le rendement était également excessivement faible, de l’ordre de 15 hl/ha.
Le nez fruité paraît très riche. La bouche se déroule en deux phases : l’attaque est bien ronde, conforme à l’attendu du nez, puis elle bascule vers un profil tendu qui l’allonge.
Bien ++ / Très Bien
Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Prestige – 2015
Le rendement est plus conforme à ce qui est obtenu habituellement sur ces très vieilles vignes, soit 40 hl/ha.
Le nez est de la même veine, un peu moins puissant mais plus élégant. La bouche est plus fondue et cohérente, d’un bel équilibre, à la fois pleine et vive, dotée d’une belle finale tonique.
Très Bien
Avant de passer à l’appellation Clisson, Marie-Françoise Cormerais nous donne les grandes lignes du cahier des charges.
Bien entendu les parcelles ayant droit à l’appellation sont délimitées, mais comme celles que le vigneron souhaite inclure dans une cuvée de l’AOC Sèvre et Maine Clisson peuvent varier d’une année sur l’autre, des carottages sont réalisés chaque année pour vérifier la qualité du sol. Le rendement est limité à 45 hl/ha et deux visites sont réalisées par plusieurs vignerons pour vérifier le nombre de grappes afin de pouvoir éventuellement agir assez tôt pour respecter ce rendement : une à la fin juin et une avant les vendanges. Enfin l’élevage sur lie fine doit durer au moins deux ans.
Muscadet Sèvre et Maine Clisson – 2013
L’élevage sur lie fine a duré 51 mois en cuves.
Le beau nez allie un fruité fin à une minéralité teintée d’épices.
La bouche est marquée par une formidable acidité qui la tend comme un arc. La belle matière lui procure de la largeur mais c’est son allonge qui est surtout remarquable.
Très Bien actuellement, mais peut encore être attendu.
Muscadet Sèvre et Maine Clisson – 2011
L’élevage sur lie fine a duré 71 mois en cuves.
Le nez est étonnant, ne ressemblant à aucun des autres vins dégustés. Pour moi, il est marqué par un peu d’acidité volatile de type acétique que je vais retrouver en bouche. Pour mon partenaire de dégustation, l’ami Michel, les arômes fumés et épicés dominent.
Je ne donne pas de note à ce vin qui, d’après moi, avait un léger défaut.
Nous terminons la dégustation par trois cuvées exceptionnelles, qui ne sont produites que certaines années, exceptionnelles également.
Le cru Clisson et la gamme de cuvées exceptionnelles
Muscadet Sèvre et Maine – Bruno – 2010
Le sol est constitué de granites peu dégradés. Il s’agit de la deuxième mise en bouteilles. La première avait eu lieu après six ans d’élevage sur lie fine et celle-ci après neuf ans ! D’ailleurs le vin avait à ce moment-là mangé toutes ses lies.
Je n’ai pas demandé pourquoi cette cuvée, comme les deux suivantes, n’avait pas l’appellation Clisson ni même l’appellation « sur Lie ».
Le nez intense et classieux propose de belles notes fumées qui apportent de la complexité aux arômes fruités et de silex. La bouche ample et racée est tenue par une belle acidité, pas trop prononcée, et termine sur une belle et grande persistance.
Très Bien +
Muscadet Sèvre et Maine – Maxime – 2016
Le sol est constitué de granites très dégradés. Le vin a été élevé trois ans sur lie fine, dont un an en barriques.
Le nez exhale un fruit étincelant et de belles notes florales.
L’attaque est toute en finesse mais la deuxième partie de bouche et la finale sont en fanfare, d’une grande densité et d’une formidable sapidité.
Très Bien (+)
Muscadet Sèvre et Maine – Tess – 2012
Le sol est constitué de granites très peu dégradés, permettant un enracinement au plus proche de la roche. Le vin a été élevé six ans sur lie fine, en cuves.
Tess est le prénom de la fille de Maxime, née en 2012.
Marie-Françoise nous dit que Maxime a réalisé cette cuvée en espérant qu’elle pourra le boire pour ses 20 ans, 30 ans, voire 40 ans !
Le nez affiche une très belle intensité, sur des fruits presque exotiques et une touche fumée, qui oriente vers l’Alsace et le pinot gris.
La bouche est d’un profil presque sphérique, dotée d’une très belle matière. L’acidité est certainement présente pour lui servir de colonne vertébrale mais elle ne m’a pas marqué, ce qui m’interroge sur la longévité de ce vin : 20 ans oui, plus à voir… Mais c’est très bon !
Très Bien
Quelle superbe dégustation éclectique pour des vins issus d’un même terroir et d’un même domaine ! Un grand merci à Marie-Françoise Cormerais qui nous a guidés avec passion sur ce parcours inconnu pour nos palais. En effet les derniers vins ne ressemblent pas à du Muscadet mais ils ne ressemblent pas non plus à d’autres vins, même si j’ai pu parfois évoquer une lointaine parenté avec du Chablis ou de l’Alsace…
Edit : j'ai oublié de signaler, mais Franck l'a rappelé ci-dessous, le superbe rapport qualité-prix de l'ensemble de la gamme.
En gros les cuvées classiques sont à moins de 6 €, sauf la prestige à 6 € (!), les cuvées Clisson à 11 € et les cuvées exceptionnelles entre 13,50 € et 14 €. Et dans tous les cas cela les vaut largement.
Jean-Loup