Quand j’ai proposé à Matthieu Delaporte de venir présenter son Domaine et ses vins à Paris dans un des clubs de dégustation où je sévis, il m’a tout de suite dit oui.
Mais il a précisé : c’est d’accord parce qu’à cette époque de l’année c’est très critique et, s’il le faut, je peux être en deux heures dans mes vignes… Une conscience professionnelle à ce point-là, c’est rare ! D’ailleurs je le soupçonne de dormir dans ses vignes assez souvent…
C'était dans le cadre d'un cycle "Sancerre" introduit par une dégustation relatée
ici
et suivi par une dégustation des vins d'Alphonse Mellot relatée
là
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Le voilà en retard, mais très vite excusé tellement l’assemblée est captivée par son naturel, son discours simple et efficace, … puis par ses vins ! C’est la totalité de ses cuvées qu’il nous propose, dans un ordre inédit pour moi, celui de la montée en gamme, mais qui s’est avéré très judicieux.
Nous aurons donc droit aux trois cuvées « Chavignol » en blanc, en rosé et en rouge, puis aux deux cuvées parcellaires de rouges et enfin aux deux cuvées parcellaires de blanc. Matthieu a en effet la chance d’avoir des vignes sur les trois terroirs de Sancerre : Caillottes pour les cuvées « Chavignol », Silex pour les cuvées … « Silex » et Terres Blanches pour les Culs de Beaujeu et les Monts Damnés. Plus simple, c’est difficile !
Je ne vais pas trop m’étendre sur les commentaires des vins pour me réserver pour la description du vigneron ; sachez seulement que nombreux ont été les dégustateurs à m’avoir dit qu’ils avaient préféré ses vins à ceux d’Alphonse Mellot, surtout en rouge. Excusez du peu… Je n’irai pas forcément jusque-là mais il n’en est plus très loin. Et avec lui, pas trop de risques que les louanges le poussent à trop augmenter les prix.
Sancerre blanc – Chavignol – 2016
Robe or clair.
Nez très expressif et intense mêlant agrumes et fruits blancs, touches mentholées et de buis.
La bouche est pleine, au fruité très pur. Un très léger perlant est sensible à l’attaque, la belle vivacité procure un bel équilibre, la finale de mi-longueur est sur la finesse.
Un joli vin de plaisir. Cela tombe bien : ce sera le vin de mariage de ma fille dans six semaines.
Bien +(+)
Sancerre rosé – Chavignol – 2016
Robe saumonée assez claire.
Joli nez, très intense et gourmand, sur de beaux petits fruits rouges.
La bouche se montre à la fois charnue (il y a du vin là-dedans !) et friande (cela se boit tout seul !). Une belle tension lui procure de l’allonge.
Un très beau rosé qui peut aller sur un barbecue mais qui mériterait un beau plat asiatique.
Ce vin a d’ailleurs été désigné meilleur rosé du monde par Decanter, qui s’est basé sur tous les rosés disponibles chez les cavistes londoniens, autant dire une sélection de plus de deux cent vins parmi effectivement les meilleurs du monde ! Mais ce n’est pas Matthieu qui le signalera, car il est trop modeste pour cela…
Bien ++
Sancerre rouge – Chavignol – 2015
40 % de vendanges entières dans ce vin ! Il faut avoir une sacrée matière pour accepter ce choix de vinification, complètement inattendu pour un Sancerre « de base ».
Robe assez sombre, surtout pour un Sancerre, aux beaux reflets violine.
Nez très ouvert, sur un fruité précis alliant framboises et cerises, bien complété par des notes fumées et de ronce.
La bouche présente un demi-corps et une chair ronde et très fruitée. L’ensemble est très digeste, la finale restant sapide et salivante.
Un rouge étonnant pour l’appellation, montrant du caractère.
Bien +(+)
Sancerre rouge – Silex – 2015
Mise en bouteille il y a quinze jours.
Même robe que le Chavignol.
Le nez est très réduit, sur des arômes très soufrés et d’écurie. Après une longue aération, les fruits apparaissent mais ont de la difficulté à prendre le dessus. D’après Matthieu, cela arrive parfois peu de temps après la mise et cela peut durer quelques semaines mais le vin récupère ensuite sa pureté naturelle. Je lui fais confiance.
La bouche, au contraire, impressionne par sa profondeur et son ampleur, bâtie sur une matière généreuse de maturité (fruits noirs mais aussi arômes de café !) et en même temps animée par une superbe tension. On a l’impression que le vin rebondit plusieurs fois en bouche !
Un vin au très beau potentiel, qu’il faudra attendre un peu.
Très Bien (+) en l’état mais va aller plus haut lorsque le nez défectueux aura disparu et lorsque le vin sera épanoui.
Sancerre rouge – Culs de Beaujeu – 2015
Mise en bouteille il y a un mois.
Robe sombre, plus que les deux autres cuvées, aux reflets bien jeunes.
Aucun problème sur le nez, bien au contraire ! Il est bien ouvert et très élégant, déroulant une aromatique complexe de fruits noirs et de touches mentholées, et mâtiné de notes de cuir noble et même de châtaigne, comme me souffle ma voisine qui a raison !
L’équilibre de la bouche est somptueux, autant par sa matière noble que par sa finesse (on dirait de la dentelle). L'impact de la finale, toute en densité et en persistance, est remarquable.
On approche le grand vin, peut-être dans quelques années ? La Bourgogne a du souci à se faire car on doit être au niveau des meilleurs Chambolle-Musigny premiers crus.
Très Bien ++ / Excellent
Sancerre blanc – Silex – 2016
Robe paille, donc sans doute plus claire que celle du Chavignol, mais je n’ai pas pu les comparer en même temps.
Nez très intense et cristallin à la fois, sur des fruits blancs et une touche d’agrumes, mais surtout ces fins arômes de pierre à fusil caractéristiques du terroir.
L’attaque en bouche est ample et ronde avant que la minéralité ne prenne le dessus, procurant une trame énergique et longiligne jusque dans la finale très saline.
Ouaah !
Très Bien ++
Sancerre blanc – Monts Damnés – 2015
Robe dorée.
Nez puissant à la richesse de parfums où les fruits blancs dominent, avec de la poire bien mûre mais aussi de la pêche, relevés par des nuances d’épices nobles.
La bouche est sphérique, bâtie sur une matière très mûre, et une fraîcheur équilibrante (malgré une température de service un peu élevée), un toucher à la fois dense et velouté. La persistance est encore une fois très belle et la finale saline signe le grand terroir.
L’accord avec les magnifiques crottins de Romain Dubois (merci Matthieu pour ce plus !) est superbe car ceux-ci aussi allient puissance et finesse.
Un (déjà) grand vin, bien différent du précédent par la combinaison des effets du terroir et du millésime.
Très Bien ++ / Excellent
C’est la première fois que j’ai eu l’occasion d’échanger aussi longtemps (nettement plus de deux heures) avec Matthieu et le moins que je puisse dire est que je n’ai pas été déçu ! Au-delà de la qualité des vins (mes notes sont nettement supérieures à celles de juin 2016, certes pas sur les mêmes millésimes et certes j’ai tendance à inflationner ma notation), ce sont les qualités de l’homme qui me sont encore plus apparues de façon évidente.
Je citerai d’abord la simplicité. Face à environ vingt-cinq personnes de tous âges, et pour certaines intimidantes, et n’ayant eu que très rarement l’occasion de présenter ainsi son Domaine et son travail autrement qu’au travers de ses vins, Matthieu s’est montré particulièrement à l’aise. Il a par exemple utilisé le plus souvent le tutoiement de généralisation, à la place du « on » plus impersonnel. Plutôt que de dire « si on n’a pas une bonne équipe, on ne peut assurer un bon résultat » il a préféré « si tu n’as pas une bonne équipe, tu ne peux pas assurer un bon résultat ». Ses choix du respect au maximum (et pas à tout prix) de l’environnement et du contenu de son vin ont également été exposés de manière simple et pragmatique. Ainsi sa très forte allergie (au sens médical du terme) au soufre, à certains produits phytosanitaires ou à certains gaz s’échappant lors des fermentations expliquent ses options en viti et viniculture.
Les échanges ont d’ailleurs été nombreux après la dégustation et certainement parmi les plus longs avec les vignerons venus nous rendre visite. Il a pu ainsi affirmer sa reconnaissance envers ses aïeux d’avoir hérité de si beaux terroirs et envers son père de l’avoir laissé immédiatement libre de ses choix, à moins de 22 ans !
Je citerai également sa conviction et sa force de conviction : il a une confiance absolue dans sa vigne et les raisins qu’elle produit, car il les connaît parfaitement. Il y passe certainement beaucoup plus de temps que l’immense majorité des vignerons. C’est de cette connaissance et de cette confiance qu’il tire la conviction que, même si la vinification ou le vin en bouteille montrent des périodes de relative faiblesse, le vin finira par révéler tout son potentiel de départ. Et sa force de conviction lui a permis d’imposer ses choix par rapport à son entourage, sa conviction s’étant alors révélée contagieuse !
Mais même s’il est convaincu de faire le plus souvent les bons choix, il affirme avoir toujours quelque chose de bon à tirer lors d’une rencontre, quelle qu’elle soit. Quelle belle philosophie ! Celle-ci peut paraître galvaudée mais quand tu le vois et que tu l’entends, tu sais qu’il est sincère.
Car Matthieu Delaporte est avant tout une personne vraie. Merci à lui pour cette superbe soirée qui a donné envie à beaucoup d’aller faire un tour du côté de Chavignol…
Amitiés oenophiles,
Jean-Loup