Quand Patrick B., alias citox1960, organise une verticale de Grange des Pères rouge et qu'il a la gentillesse et la générosité de m'inviter (alors qu'on ne s'était encore jamais rencontré), deux idées me viennent à l'esprit ; qu'il est des invitations qu'on ne peut pas refuser (et pourquoi le ferait-on ?), et que LPV, rien que par les rencontres qu'il facilite, vaut décidément largement l'investissement en temps qu'on lui consacre.
Pour rappel, situé sur la commune d'Aniane (tout comme Mas Daumas Gassac), Grange des Pères rouge est constitué d'un assemblage à parts égales de Syrah et de Mourvèdre, auxquels viendra s'adjoindre une part de Cabernet Sauvignon (20 %), planté en 1994, si les renseignements glanés sont exacts. Je ne décrirai pas les robes, qui sont toutes d'intensité moyenne (surtout pour ce type d'assemblage et pour la région) et qui annoncent un style où l'on ne cherche pas l'extraction à tout prix. Nous voilà donc partis pour la découverte des 12 derniers millésimes produits, ne manquaient que les deux premiers pour avoir le tour complet de la production en rouge de cet encore jeune domaine.
Domaine de la Grange des Pères 1994 - ***
Le nez est encore étonnamment fruité, sur la cerise confite, avec de belles notes florales, de cuir, une touche sanguine et chocolatée, du foin coupé, soulignés par une pointe de volatile. En bouche, L'attaque est fraîche mais l'alcool se fait dominant en milieu de bouche pour être à nouveau dépassé par l'acidité en finale, de très belle longueur, avec des tannins encore présents, peut-être un poil rustiques. Pas véritablement de sensation d'harmonie ici, les composantes semblant se succéder les unes après les autres sans se fondre réellement, donnant une petite sensation d'inachevé. Beau vin tout de même qui, à défaut d'être grand, démontre par sa relative jeunesse les capacités de garde du cru.
Domaine de la Grange des Pères 1995 - ****(*)
Le nez est ici plus sauvage, animal, marqué par le mourvèdre, avec un beau fruité noir et mûr, du cuir et de la réglisse. En bouche, l'équilibre est remarquable, la puissance parfaitement domptée par une fraîcheur bienvenue, sans que ni l'un ni l'autre ne dominent un ensemble d'une grande élégance et d'une grande longueur. Tannins fins et ciselés, pour un vin qui ne fait pas son âge, assurément à placer dans les grandes réussites du domaine. Superbe !
Domaine de la Grange des Pères 1996 - *
Nez très marqué par la volatile, manque de maturité assez net, notes végétales, fruits rouges. En bouche, l'acidité écrase tout, pas de plaisir, bouteille défectueuse ou apogée largement dépassée...
Domaine de la Grange des Pères 1997 - **(*)
Le plus évolué de la série, le nez est marqué par des notes de sous-bois, de cuir, de baies de genévrier, avec un fruité un peu cuit. La bouche manque de profondeur, semble un peu trop fluide, avec une acidité qui domine une finale de longueur moyenne. Aurait déjà du être bu.
Domaine de la Grange des Pères 1998 - ****(*)
Bien plus jeune d'aspect, il se montre au nez totalement réduit et rebute même quelques dégustateurs avec ses notes animales et fumées dominantes, mais après une aération énergique il se montre sous un plus beau jour, avec un beau fruit mûr, du chocolat et du cuir. En bouche, c'est le plus puissant et le plus tannique de la série, sans doute aussi le plus difficile à goûter à ce stade, mais tout semble là pour faire une remarquable bouteille dans quelques années, tant l'équilibre et la longueur sont superbes. A attendre impérativement ou à carafer longuement.
Domaine de la Grange des Pères 1999 - *(*)
Tant la robe que le nez semblent anormalement évolués, avec de la volatile et un caractère oxydatif prononcés. La bouche confirme qu'il s'agit probablement d'une bouteille défectueuse, l'acidité trop marquée rendant le vin difficilement buvable. A revoir sur un autre échantillon.
Domaine de la Grange des Pères 2000 - ****
A l'aspect bien plus jeune et au nez légèrement réduit, ce 2000 nous réjouit davantage, avec ses notes fruitées rouges, fumées, de pierre à fusil, et légèrement viandeuses. La bouche est très fraîche, équilibrée, avec des tannins encore un peu saillants mais de belle finesse, et une belle longueur. Sans doute pas le millésime le plus profond, mais une très belle bouteille tout de même qui peut se boire en prenant soin de lui donner un peu d'air.
Domaine de la Grange des Pères 2001 - ****
Le nez est superbe, très parfumé, évoquant une syrah septentrionale, avec un beau fruit sur la griotte, un côté floral marqué sur la violette, des épices, et peut-être une pointe végétale sur le foin qui font émettre des doutes à certains sur la réelle maturité de la vendange. La bouche est très fraîche, un peu bourguignonne dans le style, florale, avec un équilibre axé sur la fraîcheur et une belle longueur. Un vin qui n'a pas fait l'unanimité, mais que j'ai pour ma part beaucoup apprécié.
Domaine de la Grange des Pères 2002 - ***(*)
Si la robe trahit quelque peu la faiblesse du millésime, le nez est flatteur sur un fruité doux, des notes de crème brûlée, d'écorce d'orange, avec peut-être un petit trait de vert. La bouche est dans un style assez léger et fluet, mais reste très agréable et donne bien du plaisir, preuve que le vigneron a parfaitement su tirer le meilleur parti de ce millésime particulièrement délicat. Dans ce contexte, une réussite !
Domaine de la Grange des Pères 2003 - ***
Le nez présente le fruité très mûr typique du millésime, de la cerise confite, de l'écorce d'orage et du chocolat amer. En bouche, si l'attaque est volumineuse, ample et grasse, elle déçoit malheureusement par son manque flagrant de longueur et ses tannins un peu secs, eux aussi typiques de ce millésime caniculaire. A choisir, le 2002 offre bien plus de plaisir.
Domaine de la Grange des Pères 2004 - ****
Le nez présente un fruité exubérant, très plaisant, accompagné de notes d'écorce d'orange, avec un petit côté salin et floral qui apporte de la complexité à l'ensemble. La bouche est facile d'accès, avec une belle acidité mais également beaucoup de souplesse, bien équilibrée et longue, sans aucune agressivité dans la trame tannique. Sans doute pas le millésime avec le plus grand potentiel de garde, mais il offre dès aujourd'hui beaucoup de plaisir.
Domaine de la Grange des Pères 2005 - *****
Le dernier né et mon petit préféré de la soirée présente un magnifique nez discrètement boisé où se mêlent des notes de fruits rouges frais, de fraise, de violette et d'épices. En bouche, tout ce qui fait une grande bouteille est présent, équilibre parfait, finesse et élégance combinées à une belle maturité, grande longueur, inutile de dire que j'adore ! Grand potentiel mais également grand plaisir dès aujourd’hui, n’est-ce pas la marque des grands vins ?
Au final, une dégustation très instructive, qui nous a permis de faire un tour d’horizon quasi complet de la production du domaine en rouge, d’en définir le style et d’en mesurer la régularité.
C’est sans doute sur ce dernier point qu’il y aurait le plus à redire, avec un nombre à mon sens trop élevé de bouteilles qui ne sont pas au niveau attendu, même si on peut supposer que l’une ou l’autre était défectueuse.
Le style ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut, certains reprochant un manque de profondeur ou de puissance pour un vin du sud. Les noms et les prix de vente de quelques-unes des bouteilles les plus souvent commentées sur LPV (les oreilles d’Olivier Jullien ont dû siffler) ont fusés pour rendre injustifiable aux yeux de certains celui demandé le plus souvent pour cette cuvée par trop médiatique. Pour ma part, j’apprécie beaucoup ce style et pour rien au monde je ne laisserais à d’autres l'allocation annuelle que me réserve mon caviste.
Mon trio de tête, je pense assez largement partagé autour de la table, est constitué des 2005, 1998 et 1995, qui combinent toutes les qualités demandées à de grands vins de garde. 2001 pourrait sans doute également y prétendre, mais un doute persiste néanmoins sur la réelle maturité de la vendange et donc sur le potentiel de garde.
2004 et 2000 sont deux bouteilles gourmandes à souhait qu’on peut boire dès maintenant car elles ne me semblent pas avoir autant de potentiel que celles précédemment citées. 1994 était sans doute dans la même veine, mais aurait à mon sens déjà dû être bu. 2002, et dans une moindre mesure 2003, montrent que même en millésime délicat, il y a moyen de produire de jolis vins de plaisir immédiat.
Les trois bouteilles restantes, 1996, 1997 et 1999 sont soit défectueuses soit passées, avec des volatiles importantes, sans qu’on puisse définir ici s’il faut mettre en cause des approximations dans la vinification, ou une mauvaise évolution en bouteille. Je regoûterai prochainement le 1999 pour en avoir le coeur net.
Un très grand merci encore à Patrick pour cette très belle soirée !
Luc