CABERNET SAUVIGNON, DOMAINE LE CIEBO, 1997, Vallée de l’Aconcagua, ERRAZURIZ
Aboutissement d’une petite expérience en ce vendredi soir tranquille. J’avais décidé il y a quelques années déjà de garder une bouteille de ce vin que j’avais bien apprécié en jeunesse. Il s’agit d’un vin d’entrée de la gamme d’Errazuriz, aujourd’hui identifiée par la dénomination anglaise “Estate”. Je voulais voir ce qu’un vin aux ambitions tout de même modestes, mais auquel je trouvais une bonne structure, pouvais donner si on le gardais plus longtemps que ce que tous les experts suggèrent. Allait-il se bonifier, tenir la route en se transformant, ou bien se défaire totalement comme portent à croire les idées généralement reçues. À date, mes expérimentations m’ont montré que des vins Chiliens de niveau Reserva du même millésime sont toujours en pleine forme et ont gagné en finesse ce qu’ils ont perdu un peu en puissance. Cet automne, j’ai aussi ouvert un Don Maximiano Founder’s Reserve, 1997, qui représente le sommet de la hiérarchie des vins de cette maison et il était tout simplement superbe avec encore beaucoup d’avenir devant lui. Donc, qu’allait me démontrer cette modeste bouteille? Voici ce que j’ai perçu.
La robe est sombre et encore très colorée sans être totalement opaque. À l’ouverture, le nez est très discret avec un arôme un peu végétal et peu agréable que je ne peux malheureusement identifier. Le temps arrangeant parfois les choses, bien que dans ce cas-ci j’aie de sérieux doutes, je décide de laisser le vin reposer 45 minutes avant d’y revenir. Bonne initiative, car le vin s’est totalement transformé et l’arôme indésirable a disparu. Le tout est maintenant bien plus expressif et dominé par des arômes très délicats de fruits noirs de belle qualité, auxquels viennent se mêler de fines notes de bois de cèdre, d’épices douces, de menthol et de café. La bouche n’est pas du tout en reste. Elle présente une attaque très franche, d’une très belle amplitude. Le vin remplit admirablement la bouche en jouant à fond dans le registre fruits et chocolat noirs. Les saveurs d’une juste concentration sont intenses et éclatantes, les tannins sont fins, mais tout de même bien présents au niveau de la texture et s’imposent lors d’une longue finale ou une amertume élégante l’emporte sur le fruit laissant une belle impression.
Je savais déjà que les vins de Cabernet Sauvignons Chiliens de bon producteurs pouvaient se transformer élégamment avec 5 à 7 ans de garde. Je dois toutefois avouer que les résultats obtenus avec celui-ci me surprennent et me déçoivent à la fois. Ils me surprennent à cause du niveau qualitatif tout à fait renversant que j’ai retrouvé dans cette bouteille. Vous lisez ma description sans savoir de quel vin il s’agit et jamais vous ne pouvez penser qu’il s’agit d’un vin Chilien d’entrée de gamme vendu il y a 5 ans autour de $12 CAN, environ 8 Euros. Certains d’entre vous penseront peut-être même que j’enjolive les choses intentionnellement. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien. Ce vin manque certainement de concentration par rapport à des vins vendus beaucoup plus cher. Toutefois, la concentration est parfois un obstacle à l’équilibre d’un vin. Dans celui-ci le niveau de concentration est en équilibre avec les autres composants. De plus, au-delà de la concentration, il faut considérer la qualité des divers éléments constitutifs. C’est ce qui m’a en fait le plus surpris. Pour parler de ce vin, malgré son prix et tout étant relatif, on peut employer des qualificatifs comme équilibré, complexe, fin et élégant. Ce qui me déçoit, c’est que c’était ma dernière bouteille et qu’il me sera donc impossible de voir jusqu’où il aurait pu aller.
En terminant, une autre chose qui me déçoit, c’est le manque de stabilité dans l’identité des vins chez les producteurs Chiliens. Ce vin est issu de raisins provenant du domaine El Ciebo. Les raisins pour le Cabernet Sauvignon “Estate” 2003 actuellement vendu proviennent d’un autre vignoble d’Errazuriz dans la vallée d’Aconcagua, le Max V. Donc, il est souvent impossible de suivre des vins à l’identité constante année après année. Le même problème s’est posé pour le Shiraz “Estate” d’Errazuriz. Il était autrefois fait avec des raisins de l’Aconcagua, aujourd’hui il est fait avec des raisins de la vallée de Rapel. Étant donné l’image des vins Chiliens et le marché visé, les producteurs doivent se dire que seuls des illuminés dans mon genre pourraient se montrer intéressés à suivre l’évolution d’un vin de ce niveau. En un sens, ils semblent sous-estimer leurs propres vins, à moins que ce ne soit le consommateur international moyen qu’ils savent bien jauger. Néanmoins, ils disent sur leur site, que le Cabernet Sauvignon “Estate” 2003 devrait évolué favorablement au cours des 4 ou 5 prochaines années. Mon expérience valide cette prétention.